Articles récents \ Monde Fawzia Baba-Aissa : « nous devons inciter les gouvernements à agir maintenant» 

À quelques semaines du Forum Génération Egalité (FGE), les associations féministes ne relâchent pas la pression, bien au contraire. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs décidé de lancer la campagne #StopTalkingStartFunding. Un tour du monde féministe est également organisé par le Collectif Générations Féministes dont le Fonds pour les Femmes en Méditerranée est partie prenante. Fawzia Baba-Aissa chargée du développement pour le FFMed nous parle de cette région où les droits des femmes sont particulièrement menacés. 

Comment a débuté votre engagement féministe ?

J’ai commencé à militer pour les droits des femmes en Algérie alors que j’étais étudiante. Mais en réalité je me suis sentie très tôt concernée par cette cause, peut-être en sentant les regrets et la tristesse de ma mère quand elle nous parlait de son rêve contrarié d’être enseignante parce que  son père l’avait retirée très tôt de l’école. Ce fut la même chose pour l’une de mes meilleures amies que son père a marié de force. Cela m’a incité de façon irrévocable et déterminée à m’engager dans le lutte pour défendre les droits des femmes. 

Et pourquoi avoir décidé de rejoindre le Fonds pour Les Femmes en Méditerranée ? 

J’ai vite réalisé que pour mener nos luttes et faire avancer les droits des femmes en Algérie, il fallait des moyens financiers. Parce que finalement en tant que membres d’une association et militantes, nous faisions beaucoup de volontariat. Et nous a vu la différence, dès que nous avons réussi à obtenir des fonds et pu organiser une grande campagne pour les droits des femmes. J’ai vraiment pris conscience que les femmes étaient sous-financées et que cela était un obstacle majeur pour atteindre l’égalité.

La situation n’a guère évolué depuis, et des études récentes (2021) montrent que 50% des organisations féministes ont des budgets inférieurs à 30 000 $, et seulement 6 % d’entre elles ont des budgets supérieurs à 300 000 $, et 2 % d’organisations dans le monde dépassent le million de dollars.

Plusieurs raisons expliquent cette situation : le système patriarcal dans lequel nous vivons. Les femmes sont encore bien minoritaires dans les instances décisionnelles, peu d’entre elles parviennent à lutter contre ce système car il leur faut affronter un grand nombre de difficultés. La première d’entre elles sont les violences (verbales, physiques…) qu’elles subissent de la part des Etats, de leur famille, de leur entourage en tant que défenseuses des droits des femmes. Enfin, quand elles y parviennent, il leur faut aussi surmonter une dévalorisation d’elles-mêmes (souvent intériorisée et pas forcement consciente) pour aller oser demander de l’argent pour elles-mêmes, et donc elles se retrouvent souvent à faire du bénévolat. 

C’est la raison pour laquelle le Fonds pour les Femmes en Méditerranée a été créé, pour soutenir financièrement les organisations de femmes et féministes et particulièrement les plus petites qui n’ont pas les moyens ni la solidité pour s’adresser aux gros bailleurs. Or les petites associations représentent la majorité écrasante des organisations de femmes.

Quelles sont les spécificités de la région Méditerranée pour les droits des femmes ?

La culture patriarcale est très ancrée dans la région, berceau de trois grandes religions monothéistes. C’est une zone de conflits où les femmes ont été utilisées comme arme de guerre, de régimes fondamentalistes et/ou autoritaires et/ou conservateurs. Et il est clair que les droits des femmes vacillent, et sont souvent les premiers à être remis en question.

Pourquoi et comment participez-vous au Forum Génération Egalité ?

Il faut savoir que la dernière Conférence mondiale pour les femmes qui a eu lieu à Pékin date de 1995, c’était il y a 26 ans !  Depuis les Etats n’ont pas réussi à se réunir pour organiser une cinquième conférence mondiale sur les questions d’égalité de genre, c’est un indicateur significatif du manque de volonté, voire de la forte opposition de certains Etats, à avancer dans ce domaine. D’ailleurs on peut le constater à travers les tentatives de certains gouvernement de revenir sur des acquis en faveur des droits des femmes ou concernant les minorités de genre.

Si le Fonds pour les Femmes en Méditerranée s’est engagé au sein du Collectif Générations féministes et a rejoint le secrétariat c’est parce que nous partageons la même approche que la soixantaine d’associations féministes qui le composent et visons pour le FGE les mêmes objectifs. En effet le collectif Générations Féministes a une approche inclusive, intersectionnelle et intergénérationnelle et a pour objectif de faire entendre les voix de toutes les féministes dans leur diversité au FGE, de faire en sorte que les Etats prennent des engagements fermes pour augmenter les budgets et les  financements en faveur de l’égalité de genre.

Quel est l’enjeu principal de la campagne #stoptalkingstartfunding ? 

Comme je l’ai dit, il est important qu’à l’issue du FGE, nous sortions avec des engagements forts de la part des Etats. Or le contexte politique actuel dans lequel est organisé cet événement, présidé par la France et qui aura lieu du 30 juin au 2 juillet, n’est pas des plus favorables. A cela s’ajoute la crise mondiale sanitaire, qui ne facilite pas la mobilisation des féministes et particulièrement celles des petites organisations qui ont subi des secousses énormes et sont encore plus fragilisées.

C’est la raison pour laquelle nous avons longuement réfléchi au sein du collectif Générations Féministes à la meilleure façon de concentrer nos forces autour d’une thématique prioritaire. Il s’avère que la question des violences basées sur le genre dans le contexte actuel est celle qui mobilise le plus les organisations de femmes.

C’est ainsi qu’en partenariat avec le collectif NousToutes, qui lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous avons décidé de mener la campagne commune #StopTalkingStartFunding contre les violences sexuelles et sexistes. Cette campagne a pour objectif d’interpeller dans le monde entier les  chef·fes d’État via Twitter, pour qu’elles/ils s’engagent lors du FGE à dédier 0,1% de leur PIB pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes.

Nous avons enregistré un message en plusieurs langues, il suffit de cliquer sur la page dédiée du site de la campagne internet, afin d’envoyer un tweet directement à la ou au leader politique de son pays. Un clic pour changer la donne.

Toujours dans le cadre cette campagne, un tour féministe mondial de 24h est organisé du 23 au 24 juin : il y a aura des discussions, formations, débats, performances artistiques… afin que les États prennent des engagements financiers concrets pour mettre fin aux violences basées sur le genre. 

On a l’impression que la France est en retard sur ce sujet, qu’en pensez-vous ?

C’est très difficile de comprendre le positionnement de la France. Emmanuel Macron estime que les violences sont inacceptables, mais visiblement les actes ne suivent pas. Dans de nombreux pays il y a encore tant de choses à faire. La France aurait dû avoir une position de leader sur cette problématique. 

En Espagne la mobilisation des féministes a permis de débloquer des fonds pour lutter contre les violences sexuelles. C’est donc ce qui nous reste à faire pour obtenir des engagements forts.

Propos recueillis par Chloé Cohen 50-50 Magazine

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