Culture \ Cinéma Claudine Nougaret : »Au festival de Cannes, je ne crois pas que l’on ait encore eu le retour de l’effet des mesures pour la parité. »
Claudine Nougaret est ingénieure du son, productrice et réalisatrice. Féministe de longue date et aujourd’hui vice-présidente à la Commission Supérieure de la Technique de l’Image et du Son, elle a pour ambition de valoriser la places des femmes dans les métiers techniques de l’Image et du son au cinéma. Cette visée se présente sous la forme de la création du prix de la Jeune Technicienne qui sera desservi pour la première fois cette année lors de la 74ème édition du Festival de Cannes.
Dans quel contexte est née cette initiative et quel en a été le déclencheur ?
Le prix a été crée dans un contexte de faible représentation des femmes dans notre association à la Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son (CST). Nous avons réfléchi à la façon dont nous pouvions inciter les femmes à venir à la CST pour participer à la recherche d’une excellence technique. J’ai alors proposé de créer un prix qui valoriserait les jeunes femmes techniciennes de cinéma. Ce nouveau prix complète « le prix de l’Artiste Technicien » remis chaque année pour les films de la compétition internationale. Le prix de « la Jeune Technicienne », est un prix qui concerne toutes les techniciennes chef de poste de moins de trente-cinq ans en sélection officielle Française du festival de Cannes. C’est un prix temporaire, l’idée étant de pointer les inégalités jusqu’à ce qu’elles disparaissent.
Quelle valeur est-ce que ce prix ajoute au prix précédent et en quoi est-ce qu’il paraissait nécessaire de le créer ?
J’ai eu une carrière d’ingénieure du son et de productrice et comme beaucoup de femmes, arrivée à trente- cinq ans, c’était compliqué de conjuguer ma vie familiale et mon métier d’intermittente. En 2021, le constat reste affligeant : sur les 31 films annoncés, il n’y a qu’une seule femme chef opératrice du son. C’est une fonction majoritairement tenue par les hommes. Les femmes ont du mal à durer et faire valoir leurs expériences. Le cinéma est un milieu très genré et sur les plateaux, les femmes sont soit script soit costumières ou en postproduction. Il y a très peu de femmes cheffes opératrices image ou son. Du coup, à la CST, nous voulons valoriser les femmes là où la parité n’est pas respectée comme dans l’image, le son et la décoration. Ce sont des secteurs où il y a un vrai manque.
La création de ce prix dédié aux femmes techniciennes est-elle une réelle avancée dans l’intérêt de proposer un autre cinéma qui soit davantage axé sur l’égalité professionnelle ?
Oui, effectivement. C’est un premier pas. Nous n’allons pas obliger les productions à embaucher plus de femmes mais nous les incitons à valoriser les techniciennes. En tant que productrice, j’ai composé des équipes techniques paritaires depuis longtemps parce que je pense que c’est important de trouver un équilibre des regards sur les personnes filmées. La confrontation des points de vue est enrichissante. C’est un appauvrissement d’être dans un entre-soi.
Vous sentez-vous concernée par ce manque de reconnaissance des femmes techniciennes dans le cinéma ?
Oui et depuis longtemps. S’il manque des femmes cheffes opératrices, c’est parce que nous ne leur donnons pas leur chance. Ce prix au festival de Cannes est révélateur et s’inscrit dans un mouvement profond de la société française. Je peux me permettre d’en parler parce que je n’ai pas de lien de subordination. Les femmes ingénieures du son ou cheffes opératrices ne peuvent pas toujours prendre la parole sans risquer des représailles dans leur carrière. Nous voulons les valoriser et mettre un focus sur leurs qualités. Je suis contente que nous ayons pu trouver une solution pour parler de ce problème.
Qu’en est-il de votre rapport personnel au sujet de l’égalité entre les genres dans le cinéma lorsque vous même, en tant que vice-présidente, vous vous retrouvez entourée d’hommes au conseil d’administration de la CST ?
En 2017 j’étais présidente du jury désigné par la CST pour décerner le prix de l’Artiste Technicien, je n’étais entourée que d’hommes, aujourd’hui le jury est paritaire et c’est une évidence pour tout le monde. Le problème est que les hommes se sentent capables de réinventer leur métier alors que les femmes, elles, ont souvent peur de mal faire. Nous avons tous à gagner à avoir des regards variés sur les films, et à ce que les femmes s’emparent de la technique et qu’elles arrêtent de croire que c’est un métier réservé aux hommes. Il suffit d’aller acheter un casque audio dans une boutique spécialisée pour percevoir sous forme de regards condescendent les forts préjugés sur les femmes et la technique. Dans la société française, la technique est majoritairement représentée par des hommes il est encore inconcevable pour certains de penser qu’une femme puisse avoir un métier technique. À nous de faire changer les regards.
Ce n’est pas gagné, la pandémie risque de renvoyer les femmes à la maison, il faut rester vigilantes. Pour ce 74 ème festival de Cannes, on ne sent pas encore les effets des mesures prisent par le CNC pour la parité des équipes. Ce sont des films conçus en 2018 qui arrivent sur nos écrans, à l’avenir nous aurons plus de candidates pour le prix, c’est une évidence, ce n’est qu’un début !
Propos recueillis par Chloé Lambert 50-50 Magazine
50-50 Magazine est partenaire du prix de la Jeune Technicienne