Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Au Chili, la première Assemblée constituante paritaire au monde s’instaure

Après une année de crise sociale, à laquelle se sont ajoutées les conséquences économiques de la pandémie de coronavirus, le Chili a élu, le 15 et 16 mai 2021, les membres d’une Convention constitutionnelle chargée de rédiger une nouvelle Constitution. En plus des membres de l’Assemblée constituante, les Chilien·nes ont aussi élu leurs maires, conseillers municipaux et gouverneurs (élection locales et régionales). Dans un contexte d’isolement du président Sebastian Piñera, ces élections ont eu valeur de test avant la présidentielle du mois de novembre 2021.

Elles ont également ouvert la voie vers une profonde rénovation du système politique chilien. Dans un contexte de forte abstention, avec moins de 39% de participation aux élection de la Convention constituante, le scrutin a enregistré une sévère défaite de la coalition des partis de droite et de droite radicale mettant à nouveau en exergue l’impopularité du Président actuel qui incarne la droite conservatrice chilienne. De même, les candidatures indépendantes, la gauche alternative (Front élargi) et le Parti communiste chilien, ont été préférées à celles des partis traditionnels de l’opposition de centre-gauche. Ces deux forces progressistes ont donc été les grandes gagnantes des élections constituantes.

La nouvelle Loi fondamentale rédigée uniquement par des citoyen·nes sera totalement paritaire. Plus de 45 % des sièges seront obligatoirement occupés par des femmes et 17 sièges sont réservés à des représentant·es autochtones. Ceci constitue une première au monde, et représente un nouveau jalon de démocratisation dans ce pays, régis jusqu’aujourd’hui par la constitution héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). La conformation paritaire de l’Assemblée constituante représente par ailleurs un triomphe des mouvements féministes chiliens.

La place des droits de femmes s’était installée avec force lors de la mobilisation sociale contre les inégalités d’octobre 2019 qui a conduit la classe politique à s’accorder sur l’organisation d’un référendum sur un changement de Constitution. Le soulèvement d’octobre 2019 s’était inscrit dans une succession d’affrontements qui mettait en évidence les contradictions du capitalisme chilien. Déjà en 2011 une mobilisation étudiante avait déclenché la radicalisation d’une génération militante qui a depuis dynamisé les luttes syndicales, féministes et écologistes.

Sous l’impulsion de cette nouvelle génération, une loi sur les quotas avait été votée en 2016. Le 8 mars 2018, une grève féministe qui avait rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes avait conduit à la création de la Coordinadora 8M. Depuis, les collectifs féministes sont devenus un puissant moteur de mobilisation, appelant à réinventer les répertoires d’action politique. La mobilisation féministe s’est progressivement structurée autour de bannières comme le droit à l’avortement, la lutte contre les abus sexuels, la nécessité de mettre en place une éducation moins sexiste et un système politique démocratique dans lequel le féminisme pourrait obtenir gain de cause.

L’un des défis majeurs de cette nouvelle Constitution est d’intégrer une véritable perspective féministe dès son premier article. Il s’agit aussi d’inclure de manière transversale dans l’agenda social et dans le débat public la participation des femmes. La future « Carta Magna » sera une occasion unique pour redéfinir le contrat sexuel qui permettra au pays de s’orienter des prochaines années vers la parité réelle.

Expertise France, par le biais du programme de l’Union européen EUROsociAL+ et dans le cadre de l’initiative « Forum Chili-Union européenne », dont l’objectif est d’échanger d’expériences de part et d’autre de l’Atlantique sur les éléments communs aux constitutions des États membres de l’Union européenne, accompagne ce nouveau jalon de démocratisation au Chili. Un cycle de débats « Dialogues Chili-UE » a déjà été lancé par l’intermédiaire de la Bibliothèque du Congrès national chilien et de la délégation de l’Union européenne au Chili. L’agence participera également à l’organisation de conférences sur le genre, de mini-cours sur le processus constituant et la mise en place d’un système d’accompagnement pour les femmes candidates à la Convention constituante.

Francisca Miranda Docteure en Anthropologie sociale et ethnologie EHESS. Chargée de projets senior Programme EUROsociAL+, composant Politiques d’égalité de genre.

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