Articles récents \ Culture \ Arts Les Femmes s’exposent

Créé par Béatrice Tupin, le festival photographique Les femmes s’exposent se tient pour la quatrième année consécutive à Houlgate du 1er juin au 5 septembre. Les organisatrices se sont mobilisées afin que le travail des photographes qu’elles ont choisi de défendre puisse être exposé malgré une conjoncture économique et sanitaire si néfaste, pour l’ensemble du milieu culturel et en particulier pour les femmes photographes. Elles sont très nombreuses à avoir vu leur activité professionnelle s’effondrer tout en ayant des charges familiales et domestiques accrues, et il est plus que jamais nécessaire d’alerter sur les inégales opportunités professionnelles entre femmes et hommes dans le monde de la photographie.

Treize photographes exposent leurs images dans les jardins et sur le front de mer d’Houlgate, dans des dispositifs conçus pour être accessible à toutes. Nul besoin de pousser la porte d’une galerie ou d’un musée pour découvrir des travaux de grande qualité, souvent engagés, qui nous aident à comprendre le monde dans lequel nous vivons.  Ils nous rappellent aussi combien l’humain est le garant de son équilibre et de sa beauté, mais aussi le premier prédateur de la nature, et bien souvent à l’origine d’injustices flagrantes et silencieuses que certaines photographes nous donnent à voir et à connaître.

Béatrice Tupin présente son festival

Avec « Jusqu’à ce que le maïs repousse », Lys Armengo, photographe d’origine espagnole, nous entraîne au Guatemala. Diplômée en relations internationales et titulaire d’un master de journalisme, Lys Armengo s’attache à faire connaître la situation des plus démuni·es et des sans voix, qui sont trop souvent oublié·es de tou·tes et broyé·es par un capitalisme sauvage. Pour cela elle n’hésite pas à partager pendant plusieurs semaines leur vie quotidienne très rude, suivant également leur migration de travailleuses/travailleurs agricoles pauvres.

Quant à Émilienne Malfatto, photojournaliste de l’AFP, c’est en Irak, pays qu’elle connaît bien et dont elle parle la langue, et avec une population également isolée et méconnue, qu’elle a réalisé sa série « Le dernier Éden ». Elle nous fait découvrir la vie des Arabes des marais, installés depuis des générations dans les marais de Mésopotamie où ils élèvent des buffles, mais dont la surface n’a cessé de se réduire ces dernières décennies, mettant en péril leur culture si particulière. En effet de nombreux barrages sont construits en amont, alimentant la Turquie, la Syrie et l’Irak, menaçant cette oasis de paix millénaire.

Diplômée de sciences politiques et membre du collectif Divergence depuis 2019. Charlène Flores a documenté les mouvements et manifestations pour la démocratie qui ont eu lieu à Hong Kong en 2020.  Sa série « Ils ne peuvent pas tous nous tuer » témoigne de la détermination tranquille des Hongkongais·es face au géant de la Chine continentale dont les stratégies d’absorption sont de plus en plus violentes et liberticides.

Quand à Lynn Wu, spécialisée en photographie sous-marine, elle nous entraîne au fond des mers de Chine et des Philippines, dans une zone corallienne de l’océan Pacifique aujourd’hui très menacée, où vivent de minuscules créatures qu’elle photographie en macro.  Elle nous permet de découvrir tant la beauté que la fragilité de ces espèces marines en danger, qui sont pourtant garantes de l’équilibre des écosystèmes marins. La destruction des récifs de corail et des ressources biologiques marines qui en dépendent pourrait accroître les risques de conflit en mer de Chine.

Avec « L’épaisseur du temps », Irène Jonas, sociologue et photographe, nous emmène dans son petit village côtier du pays bigouden dans lequel elle a saisi le sentiment d’étrangeté qui flottait dans l’air pendant ces périodes de confinement-déconfinement-reconfinement…  En particulier les jours de brume ou de pluie qui jetaient comme un voile sur les paysages déserts qu’elle a photographiés en noir et blanc avant de les retravailler avec de la peinture à l’huile.

Enfin, Germaine Chaumel, photographe de notre matrimoine était « racontée » par sa petite fille venue nous faire découvrir son travail, en particulier les nombreuses photographies qu’elle a prises à Toulouse pendant l’occupation allemande et présentées sous le titre « La France occupée ». Alors que beaucoup d’hommes étaient partis au front et les femmes photographes de presse encore assez rares, le journal local  fait le pari de prendre une femme et elle a ensuite beaucoup travaillé pour ce titre. Avec un regard toujours empathique, elle a souvent photographié les pauvres gens, les chemineaux, les gitan·nes… Réalisant très peu de photos volées, elle discutait avec les gens, ne les prenant jamais par surprise, désireuse d’obtenir leur accord. Elle ne voulait pas photographier la déchéance de manière gratuite, elle cherchait à magnifier les gens, jamais à les rabaisser. Quand elle a dû photographier des défilés militaires pour les journaux, elle s’est efforcée de photographier la milice ou les forces pétainistes de Toulouse avec des angles ou des arrières-plans particuliers.

En marge du festival, des projets pédagogiques ont été menés en collaboration avec la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Normandie. Ils permettent à leurs jeunes participant·es de découvrir les métiers de l’image et d’affûter leur regard sur le monde qui les entoure. Quelques jeunes du CPCV (1) étaient présents avec la photographe Delphine Blast qui les a accompagnés dans la réalisation d’un très beau travail de portraits d’habitants d’Houlgate dont ils nous ont parlé.

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

1 Organisme Protestant de Formation, le CPCV est une association loi 1901, créée en 1944.

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