Articles récents \ Monde \ Europe L’égalité femmes/hommes en principauté de Monaco, un combat récent

Effet #Metoo oblige, le gouvernement monégasque rattrape son retard en matière d’égalité femmes/hommes. Dépoussiérage des lois patriarcales, statistiques sur les violences conjugales ou les écarts salariaux, obligation des entreprises à promouvoir le leadership au féminin, formation pour déconstruire les stéréotypes de genre… la Principauté sur les rails.

En Principauté de Monaco, on dénombre environ 9.500 Monégasques sur une population de 38.100 résident·es. Plus de 53.000 personnes majoritairement des Français·es et des Italien·nes travaillent dans ce bassin de l’emploi concentré sur un territoire de 2km². En 2019, le PIB par habitant se chiffrait à 75 942 € à Monaco contre 35.960 € en France. 60 % des salarié·es sont des hommes officiant majoritairement dans le secteur tertiaire. La parité femmes/hommes est respectée dans les petites structures contrairement aux entreprises plus importantes. Le gouvernement actuel tend depuis quelques années vers des avancées en matière d’égalité. Des publications sur les violences faites aux femmes sont consultables depuis 2019. Pour la première fois, une étude est en cours pour mesurer les écarts salariaux. Les résultats sont attendus pour 2022. On relève davantage de femmes à des postes de direction dans les grandes entreprises ainsi que dans les ministères et administrations publiques.

Le poids de l’Église : avortement dépénalisé mais pas légalisé, la puissance paternelle change pour l’autorité parentale…

Cependant, même si la Principauté est réputée être à la pointe en matière d’urbanisme, la société monégasque reste profondément inégalitaire entre les femmes et les hommes. En effet, il aura fallu attendre 2003 pour que le droit monégasque remplace « la puissance paternelle » par « l’autorité parentale conjointe ». Depuis 2011, la Monégasque est autorisée à transmettre sa nationalité à son époux étranger au même titre que l’homme. L’avortement est dépénalisé seulement depuis 2019 mais toujours pas légalisé. Une Charte pour l’égalité femmes / hommes au travail a été enfin signée entre les acteurs et actrices de la vie politique et économique.

Dans cet esprit, en 2019, seulement 530 femmes monégasques fonctionnaires peuvent devenir cheffes de foyer si elles en font la demande. Elles reçoivent directement les allocations familiales et peuvent assurer leurs enfants à la sécurité sociale monégasque quel que soit leur statut. Les Monégasques du secteur privé, les résidentes ou les salariées domiciliées en dehors de la Principauté devront encore attendre pour cette égalité de traitement. Une véritable discrimination fondée sur le sexe reste toujours d’actualité puisque la totalité des hommes continuent d’être considérés comme chefs de foyer et donc, perçoivent les prestations familiales. Les femmes élevant seules leurs enfants sont dans l’obligation, pour que leur soient allouées puis maintenues les allocations familiales et la couverture maladie pour leurs ayant-droits, de spécifier chaque année leur situation familiale de célibataire, veuve, mariée, en couple, séparée… Une véritable inquisition touchant la sphère privée dont les hommes sont exempts qu’ils élèvent leurs enfants seuls ou pas.

Absence de charte déontologique auprès des recruteurs et des managers

Autre dérive sur le Rocher, l’absence d’une véritable charte déontologique mise en place auprès des directions des ressources humaines et de la formation de managers concernant les questions posées aux femmes lors d’entretiens d’embauche. En effet, la plupart des managers se permettent des réflexions sexistes, humiliantes et discriminantes. Lors du deuxième entretien d’embauche, Annabelle (*) qui postulait à un emploi d’assistante pour une banque suisse a rétorqué être stérile à la question : « Avez-vous l’intention d’avoir des enfants ? » posée par son futur manager. Loin d’être gêné par la réponse de la candidate, celui-ci lui a demandé si elle détenait un certificat de stérilité.  Zohra (*) s’est vue jugée « anormale » par le responsable des Ressources humaines d’une agence immobilière quand celle-ci a indiqué être célibataire et sans enfant après 40 ans. Une société de vente d’articles sportifs a clairement menacé une candidate « de s’en débarrasser » en cas de grossesse au cours des deux premières années d’exercice conformément à l’article 6 de son contrat de travail permettant le licenciement d’un·e salarié·e sans motif.

L’association monégasque féministe SheCanHeCan (SCHC) a pour objectif de lutter contre les stéréotypes imposés aux filles et aux garçons à la crèche et de promouvoir l’égalité femmes/hommes dans l’entreprise. Vibeke Brask en est la présidente. 

Avez-vous l’impression qu’à Monaco, l’égalité avance sur la parité au niveau des entreprises publiques et privées ?

Les disparités continuent. L’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE) a récemment publié une étude à ce sujet. On voit notamment que les femmes sont majoritaires dans les temps partiels, ce qui a un impact négatif sur leurs perspectives de carrière à long et moyen terme, ainsi que sur leur salaire. La charge de travail non rémunérée, en majorité assurée par les femmes contribue à cette situation. Les femmes restent aussi minoritaires au sein de la gouvernance d’entreprise. Sans législation sur ce sujet, la situation changera peu !

En ce qui concerne les inégalités salariales, elles existent mais restent difficiles à mesurer car les entreprises ne sont pour l’instant pas tenues de révéler leurs grilles salariales… La situation avance mais à vitesse d’escargot…

Qu’en est-il de l’avortement dépénalisé mais non légalisé ?

L’avortement a été dépénalisé en 2019. Auparavant, une femme et/ou son médecin pouvait être poursuivi, même si l’avortement avait eu lieu hors de Monaco, ce n’est jamais arrivé mais la possibilité existait jusqu’en 2019 !

Une légalisation ne semble pas à l’ordre du jour, en raison du Concordat entre Monaco et le Saint Siège. Nous saluons les changements déjà adoptés, mais en tant qu’association, nous militons, bien entendu, pour une légalisation complète de l’avortement, afin d’ancrer le droit des femmes à disposer de leur corps.

Le chef de foyer ou la cheffe de foyer pour toutes ? Est-ce à l’ordre du jour ?

La situation est plus compliquée pour les salariées non-monégasques de tous secteurs, notamment à cause d’un accord avec la France, qui doit être revu.

Savez-vous s’il existe une charte déontologique des managers et RH concernant les questions d’ordre privé.

A ma connaissance, une telle charte n’existe pas, mais le gouvernement, sous l’égide du Département des Affaires Sociales et de la Santé, a lancé en novembre 2019 la Monégalité, une charte volontaire pour les entreprises monégasques afin de promouvoir l’égalité femmes/hommes dans le secteur privé. Nous saluons cette charte mais souhaiterions connaître les avancées et les résultats de cette initiative. Quelles mesures concrètes ont été prises réellement ? Quelles sont les avancées et les difficultés à surmonter ? La charte reste volontaire pour l’instant, nous pensons qu’une obligation légale serait plus intéressante et pertinente à long terme.

Les actions de SCHC sont-elles entendues par le gouvernement ? Quelles sont-elles ?

Oui, la majorité de nos actions sont entendues et nous avons une collaboration étroite avec le Comité pour la Promotion et la Protection des Droits des Femmes. SheCanHeCan a lancé en Septembre 2019 « Les Engagements pour l’Égalité » : ceux-ci s’appliquent aux individus mais peuvent aussi être adaptés aux établissements scolaires et aux entreprises.

Nos actions sont nombreuses et couvrent la majorité des secteurs ayant trait à l’égalité, notamment le statut de chef·fe de foyer, l’avortement, l’égalité salariale, les violences faites aux femmes ainsi que nos projets spécifiques. Actuellement, nous travaillons intensément sur le Red Box Project Monaco, qui vise à briser le tabou autour des règles, à encourager l’utilisation des protections périodiques bio, et à encourager les entreprises et les établissements scolaires à fournir gratuitement ces protections aux élèves et aux salariées.

Nous collaborons depuis 2016 étroitement avec le Conseil National afin de marquer la Journée Internationale de la Fille le 11 octobre, notamment en invitant des étudiant·es au sein du Conseil afin de mieux comprendre le rôle et l’importance des femmes en politique. Finalement, nous organisons régulièrement des ateliers sur l’égalité, l’équité et l’inclusion. De tels ateliers sont indispensables afin de faire évoluer les choses.

Une Principauté qui rattrape son retard en appliquant sa devise, « Deo Juvante » avec l’aide de Dieu… ou sans.

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Sources : IMSEE

(*) : les prénoms ont été changés.

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