Articles récents \ Culture Marie Docher : L’impensable candidature à l’Académie des Beaux-Arts !

Partant du triste constat de leur quasi invisibilité sociale et professionnelle et des difficultés que cela leur impose tout en privant le monde de regards et points de vue différents, Marie Docher œuvre depuis 2014 à promouvoir la visibilité des femmes photographes. C’est dans cette optique qu’en juin dernier, elle a soumis sa candidature à l’Académie des Beaux Arts qui n’est pas encore prête, comme elle le  constatera, à accueillir sous la coupole une artiste féministe engagée.

Marie Docher a effectué de méticuleux comptages de la part des œuvres de femmes dans les expositions et collections des grandes institutions ainsi que des nombreux festivals dédiés à l’image photographique. Les chiffres parlaient d’eux-mêmes et ont instillé une saine colère dans les veines de la photographe. Elle a ouvert un blog sous le pseudonyme de Vincent David (une parole d’homme reste plus écoutée qu’une parole de femme…) dans lequel elle a commencé par interpeller Jean-Luc Monterosso, alors directeur de la Maison Européenne de la photographie (MEP) : « (…)Vous êtes un acteur, un promoteur incontournable de la création photographique contemporaine. Votre influence, vos responsabilités sont importantes, et c’est pourquoi nous souhaitons vous faire part de l’une de nos préoccupations.

Depuis 1996, la MEP a présenté 280 expositions individuelles, et 82,5% d’entre elles présentaient des travaux réalisés par des hommes. »(…)

Homme de bonne volonté et un peu honteux de constater que l’entre-soi masculin perdurait dans le monde de la photographie alors que les femmes étaient majoritaires parmi les étudiant·es des écoles d’art et de photographie depuis plusieurs années, Jean-Luc Monterosso a répondu à Vincent David en lui proposant une collaboration. Il a ouvert une brèche dans laquelle Marie Docher s’est engouffrée en réalisant des films et des débats, à la MEP d’abord puis à Paris photo et dans de nombreux autres lieux. Elle a également continué à nourrir son blog atlantes et cariatides de précieux articles chiffrés et très documentés concernant les expositions, les prix, les festivals, les bourses et la présence des femmes photographes dans l’histoire de l’art ou dans les médias.

Parallèlement Marie Docher poursuivait un travail photographique d’autrice exigeant, nourri par son vécu de femme dans un monde encore pensé par et pour les hommes dominants, pétris de normes et de stéréotypes sur la façon de représenter le monde, et plus particulièrement les femmes et celles et ceux issu·es de « minorités » peu visibles.

En 2019, grâce au soutien d’Aware et du Ministère de la Culture, Marie Docher a finalisé le projet Visuelles.art : ce que le genre fait à l’art, qui présente des entretiens vidéo qu’elle a réalisés avec des spécialistes de différents domaines sur les mécanismes et les causes de la faible représentation des femmes.

Contrairement à la plupart des artistes, Marie Docher la joue collectif ! En 2020, elle est partie prenante de la création du collectif La part des femmes, qui s’engage en faveur de la visibilité et de la reconnaissance des femmes photographes.

C’est donc avec la volonté de soutenir la création des femmes photographes chevillée au corps qu’en 2021, Marie Docher a candidaté à l’Académie des Beaux-Arts où le siège du photographe Bruno Barbey était vacant. À première vue cette vieille institution plutôt conservatrice et misogyne ne paraît guère attractive, mais tenter de l’intégrer pour contribuer à la transformer de l’intérieur était un challenge intéressant pour une photographe militante. La première étape était d’écrire une lettre aux académicien·nes qui ne la connaissaient pas. Aucune photographe n’y ayant encore été admise, l’enjeu était symboliquement puissant et l’aventure risquée. Quatre candidatures ayant été retenues, dont trois féminines, la réussite lui semblait possible sinon probable. Sans se laisser intimider, et forte de nombreux soutiens, Marie Docher a préparé sérieusement l’étape suivante : sa présentation auprès de la très masculine assemblée des immortel·les.

Se montrer nue à 50 ans passés est carrément iconoclaste

Pour promouvoir sa candidature elle a donc réalisé d’une part une « profession de foi » en vidéo,  revenant sur son parcours et expliquant pourquoi elle se présentait à cette élection, et d’autre part une œuvre spécialement conçue pour ce lieu très conservateur dont la mission est cependant de soutenir la création artistique vivante.

Dans Ceci n’est pas un nu, (un autoportrait nu à la pomme qui fait référence aux Eve tentatrices et pécheresses de l’histoire de l’art), Marie Docher interroge d’abord la représentation du corps des femmes par les hommes, surtout quand il ne correspond pas ou plus aux injonctions de jeunesse, de minceur et de désirabilité par les hommes, quotidiennement assénées par les médias, que ce soit dans la publicité, l’art ou le cinéma… Les hommes ont toujours décidé de la manière dont il convenait de réifier le corps des femmes, que ce soit dans les images ou dans la société, la loi, les coutumes, les mœurs et bien sûr la sexualité. Se proclamer sujet autonome est déjà un acte de rébellion quand on est une femme, mais se montrer nue à 50 ans passés est carrément iconoclaste. Ce faisant, elle confronte ses juges à la vulnérabilité qu’implique toujours la nudité, en particulier pour les femmes à qui on l’impose, et dont les hommes disposent.

La candidature et le corps de Marie Docher ne les renvoyant en rien aux stéréotypes et aux « canons » institués de la beauté féminine à l’usage des hommes, elle les oblige à (re)penser leur regard sur toutes les femmes, réelles comme Marie qui leur fait face, ou représentées comme sur la photographie de Marie, que les académicien·nes ont pu « découvrir » le 23 juin dans leur palais, avant de procéder au vote. Accueillir Marie Docher parmi eux aurait ouvert des questionnements esthétiques et éthiques dont cette vénérable institution ne semble pas encore tout à fait prête à débattre. La journée a été éprouvante pour Marie qui s’exposait davantage que les autres candidat·es. Si la plupart des personnes présentes étaient bienveillantes, l’insulte misogyne rodait cependant sur la moquette feutrée de l’Académie qui accueille encore des gardiens de l’ordre établi. Espérons qu’ils finiront par disparaître, tous, pour que tous les talents puissent enfin être reconnus et promus.

Mais rassurez-vous, ils ont sauvé la face, ils ont tout de même élu une femme photographe, la première autorisée à siéger parmi eux  : Dominique Issermann. Grande dame de l’image, reconnue depuis des décennies pour son travail dans la mode et ses portraits dans le monde du cinéma et de la musique, elle a su développer un style personnel bien que très classique, loin de la photographie dite « plasticienne » et de ses enjeux dans l’art contemporains. Quand elle photographie les femmes pour les magazines de mode, ce sont des femmes jeunes, minces et belles, soumises aux désirs des hommes. Nos académicien·nes n’ont pas pris le risque de se remettre en question en découvrant le monde par les yeux de Marie Docher. Même si quelques un·es ont entendu sa différence, sa candidature est restée impensable pour la plupart des académicien·nes en présence.

Son courage et son audace rejaillissent sur toutes les femmes, et nous ne doutons pas que Marie Docher continue le combat pour que la part des femmes leur soit enfin reconnue !

Marie-Hélène 50-50 Magazine

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