Articles récents \ France \ Société Violences conjugales : Sylviane, une femme forte

Victime de violences conjugales au bout de 25 ans de mariage, Sylviane s’est démenée pour obtenir justice. Entre démarches juridiques incessantes, violences économiques, internement forcé et isolement, elle a fini par sortir la tête de l’eau. Rencontre avec une femme aussi forte que blessée.

Saint-Brieuc, juin 2021. Sylviane arrive à notre point de rendez-vous d’un pas hésitant. On se salue sous la pluie battante, avant de trouver refuge dans un café du centre-ville. À peine assise, elle commence son long récit d’une petite voix : celui de sa vie. Une vie semée d’embûches, de violences, d’épreuves et de luttes… depuis ses 45 ans.

Car l’histoire de Sylviane, c’est d’abord celle d’une femme qui rencontre, lorsqu’elle a une vingtaine d’années, un homme dont elle tombe amoureuse. “Très complices”, ils se marient en 1965 sous le soleil marseillais, avant de donner naissance à deux enfants. C’est un homme qu’elle a “beaucoup apprécié pour sa douceur, son calme” confie-t-elle, presque nostalgique. Mais voilà, après 25 ans de mariage, celui qui est aujourd’hui son ex-mari la trompe. Un dimanche soir, une femme, qui s’avère être la fameuse maîtresse le dépose en voiture tout en klaxonnant, à la vue de Sylviane. Cette dernière, agacée, tente d’initier une discussion. “J’aurai été capable de comprendre, on peut parler, on est des adultes”, m’explique-t-elle. Ces reproches, son ex-mari ne les supporte pas : il lui administre les premières gifles. L’engrenage est lancé. 

Elle commence tout de suite les démarches pour porter plainte, et salue l’accueil qui lui est réservé au commissariat. Il lui est conseillé de déposer d’abord une main courante. Pourtant, les choses empirent de jour en jour. Son ex-mari la pousse contre le frigo, lui laissant le bras couvert de bleus. Une autre fois, il la jette par terre, puis lui donne de grands coups de chaussures dans la tête et dans tout le corps. Étendue sur le sol, elle ne peut plus bouger jusqu’au lendemain. “Il aurait pu me tuer”, livre-t-elle.

Ces violences, Sylviane les subit seule dans la détresse la plus totale, vivant dans les Yvelines, loin de sa famille qui est restée en Bretagne. Malgré ses envies suicidaires, elle n’ose pas en parler à son entourage. “Juste une fois”, concède-t-elle. Une amie comprend ce qu’il se passe, appelle un médecin et l’accueille chez elle le temps d’un après-midi. Ne voulant pas s’immiscer davantage, l’amie en question la redépose chez elle. 

Je me croyais assez forte pour affronter ça seule… La violence masculine, c’est la seule supériorité que je reconnais” déclare Sylviane, le regard dans le vide. Elle finit par se séparer de son ex-mari, qui refuse de l’aider financièrement. Il est pourtant propriétaire d’une maison d’édition, et elle est au chômage. Commence alors un marathon juridique qu’elle mènera jusque dans les plus hautes sphères de l’État. 

Un parcours juridique éprouvant

Deux ans après sa plainte, Sylviane obtient gain de cause. Son bourreau est condamné à 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 6 000 francs à titre de dommages et intérêts… Non sans contestation. 

Elle se redresse sur sa chaise et rejoue la scène, faisant fi des autres client·es assis dans le café. Son ex-mari qui se lève dans le tribunal pour riposter, rabroué par un procureur imperturbable. “Monsieur, votre attitude est une injure à magistrat. Vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait subir à votre épouse ?” rapporte-t-elle sans hésitation, comme si c’était hier. Les yeux écarquillés, elle n’en revient toujours pas : quelqu’un osait s’opposer à lui, l’homme qui niait tout fait de violences et essayait de la faire passer pour folle, en dépit d’un certificat médical prouvant l’incapacité de Sylviane à travailler, d’un traumatisme crânien attesté par le Centre Hospitalier de Versailles, d’une hospitalisation suite à ses blessures. Il juge ces documents “mensongers”. Et elle délivre au tribunal un test psychologique pour attester de sa santé mentale qui permet “de réfuter les allégations du prévenu”, selon le rapport du jugement au Tribunal de Grande Instance de Versailles, daté du 21 octobre 1991.

Par la suite, le divorce est prononcé, et Sylviane rentre en Bretagne.

Mais voilà, les mois passent et à chaque fois même constat : son ex-mari ne verse pas la pension alimentaire qu’il devait lui payer. Pas question pour Sylviane de rester les bras croisés. Son frère, qui dirige le port de pêche de Saint-Malo et qui connaît bien le député maire de l’époque René Couanau, lui conseille d’écrire à ce dernier. Ami de Pierre Méhaignerie, garde des Sceaux du gouvernement Balladur (1993 à 1995), il serait sans doute à même de l’aider. 

Je n’ai pas baissé les bras !” s’exclame Sylviane en brandissant les précieux documents. Car Mr Couanau accepte d’adresser une lettre à son ami ministre pour lui faire part de la situation. Et le 17 juin 1994, près d’un an plus tard, Mr Méhaignerie finit par lui répondre alors qu’un énième procès à eu lieu, condamnant une nouvelle fois l’ex-mari. Le ministre promet que le juge d’application des peines de Paris veillera à ce que la pension soit versée, sous peine de révoquer le sursis. Rien de plus, rien de moins.

Une victoire pour Sylviane, qui garde encore un goût amer de cet ultime procès. En effet, son ex-mari rassemble des faux témoignages pour tenter de la discréditer, des gens qu’elle ne connaissait pas. “Je n’ai pas pleuré, j’ai trouvé ça tellement stupide que j’ai souri de la bêtise” poursuit-elle avec assurance. C’est à ce moment-là qu’elle commence à se démener pour que son histoire soit relayée dans les médias. Elle les appelle un à un et se rend dans toutes les rédactions parisiennes, sans grand succès. Elle ira même jusqu’à s’adresser à Laurent Mauduit, journaliste de Mediapart, lorsqu’elle se rend compte ce dernier joue au tennis à Saint-Quay, non loin de chez elle. Il lui promet de faire le nécessaire. Sylviane attend toujours.

Internée de force

En 1996, installée dans un petit village paisible grâce à l’aide d’une association, Sylviane se casse une jambe. Elle réussit tant bien que mal à se rendre à l’hôpital de Draguignan et y est prise en charge. Selon elle, c’est à ce moment-là qu’une médecin serait venue lui annoncer son internement en psychiatrie. Elle rejoint donc ce service, où elle est placée sous curatelle renforcée pour qu’elle ne puisse pas quitter l’hôpital pour une durée de 2 mois. 

Les larmes aux yeux et la voix chevrottante, elle se remémore avec douleur cet épisode de sa vie : “Tout à coup je n’étais plus rien. […] Un choc terrible. C’est Draguignan qui m’a démolie”.

Là-bas, elle est d’abord reçue par un expert, qui échange avec elle. Il lui demande qui est le président de la République, et la libère. “C’était ça, l’expertise. Je n’ai jamais été diagnostiquée” déplore-t-elle avec colère. 

En proie à des idées noires, elle est convaincue d’être ici pour que son ex-mari n’ait plus à lui verser de l’argent : chaque journée est une épreuve. Elle ne se lave plus, mange moins, vit l’enfer. Heureusement, elle se lie d’amitié avec une autre femme, là pour des problèmes d’alcoolisme. De cette solidarité entre femmes, Sylviane se souvient de la “chaleur humaine” qui lui a donné la force de tenir le coup. 

Nouveau départ

Elle finit par sortir de Draguignan, avec en poche une somme d’argent qu’elle obtient à la suite du décès de son père. Commence alors une grande aventure pour elle, celle de visiter la France en sac à dos : pour s’évader, un peu, et oublier, beaucoup. 

Parce qu’au gré de toutes ces épreuves, Sylviane s’est retrouvée exclue du cercle familial. De ses deux fils qu’elle n’a pas revu depuis 25 ans et qu’elle “rêve de serrer dans ses bras”, à cet oncle qui l’a mise dehors alors qu’elle avait besoin d’aide. Elle est aujourd’hui extrêmement seule. Très émue, elle explique avoir essayé de revenir vers sa famille et ses enfants, bien trop frileux à l’idée de reprendre contact avec elle.  

Malgré cette solitude, elle reste portée par une force sans égale. Il y a quatre ans, elle se rend de nouveau à Draguignan, pour se réconcilier avec son passé sans doute. Un besoin viscéral qui l’a conduite à renouer avec cet épisode difficile. Sylviane s’était faite très élégante ce jour-là, comme une revanche. “Cela fait tant de bien de retourner sur les lieux où on vous a fait tant de mal, vous n’avez pas peur, vous osez, quelque chose s’emballe”, se remémore-t-elle pleine d’entrain.

En dépit de ses 76 ans, elle a encore de nombreux projets. Notamment celui d’écrire, après s’être plongée dans les livres toute sa vie durant. Des essais sur la justice qu’elle a dévoré, des écrits féministes, Eva Joly dont elle récite volontiers des phrases qui l’ont marquée, ou encore les classiques français. 

Désormais, Sylviane célèbre la vie. Celle qu’elle a peiné à se réapproprier mais qui est plus douce aujourd’hui. Elle achève notre discussion avec les mots de Camus qui ne cesseront de raisonner en elle : “L’obstination du témoignage doit répondre à l’obstination du crime”. 

De quoi se rappeler l’importance des “moi aussi”.

Louise Lucas 50-50 Magazine

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