Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Pierre Colin : «Nous avons été les premiers à prendre une contraception hormonale et ça a très bien marché» 1/2

En 1978, des hommes créent l’Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine (ARDECOM). Pour la première fois en France la question de la contraception masculine se pose. En 2021, il reste un long chemin à parcourir pour que les hommes soient informés et acceptent de choisir une des méthodes de contraception. Pierre Colin est l’un des premiers avec Daniel et Philippe à utiliser un moyen de contraception masculine et se bat depuis plus de 40 ans pour que d’autres suivent cet exemple de solidarité et de recherche de l’égalité et de la remise en question des masculinités en direction des femmes. 

Nous (Philippe Lapôtre et Daniel Aptekier et d’autres) avons créé ARDECOM en 1978 à la suite des réflexions en groupes de parole d’hommes sur la masculinité, la fabrication des mâles. C’était grâce aussi à ce que les femmes faisaient à ce moment-là. Je vivais alors en communauté : les femmes étaient en groupes de paroles et remettaient en question le pouvoir « mâle ». Dans la communauté où j’étais, nous mettions l’argent en commun et nous analysions comment chacun selon son genre dépensait l’argent, quelles couleurs dans les chambres, quel type de bouffe, quel type de paroles, de réactions à la parole de l’autre, aux événements etc…Nous analysions tous les choses qui portaient la trace de la fabrication des femmes et des mâles dans notre société.
Il en résultait aussi que nous parlions de la sexualité, de la transmission et du désir d’enfant. A un moment donné, nous nous sommes dit que ce n’était pas normal que ce soient uniquement les femmes qui aient la charge contraceptive. Nous avons cherché à ce moment-là comment nous pouvions nous contracepter et nous sommes tombés sur le docteur Soufir à l’hôpital Bicêtre. Il avait été interpellé par une femme qui ne pouvait plus prendre de contraception parce qu’elle était diabétique et qui lui a dit «
c’est pas possible ! qu’est-ce que c’est que ça, il n’y a pas de contraception pour les mecs ???!!! ».

Le docteur Soufir a cherché et trouvé effectivement des recherches qui avaient été faites notamment sur des prisonniers en Russie et aux USA, où il y avait possibilité d’utiliser, comme pour les femmes, un progestatif qui arrête la production de testostérone et donc de spermatozoïdes, et de la testostérone par ailleurs sur le corps, en gel pour garder les caractères mâles. Nous avons été les premiers à prendre une contraception hormonale et ça a très bien marché.

Parallèlement, on a découvert le Dr Mieusset qui faisait remonter les testicules dans le corps à l’aide d’un slip appelé le Remonte Couilles Toulousain (RTC) en les passant de 34°C (température nécessaire pour la production de spermatozoïdes dans les bourses « à l’extérieur du corps ») à 37°C pour stopper la production de spermatozoïdes sans modifier la production de testostérone.

Le SIDA est arrivé et nous avons dû arrêter de militer parce que tout le monde était repassé à la capote. En 2012, les Dr Soufir et Mieusset ont sorti un livre La contraception masculine. A la sortie du bouquin, nous avons pris contact avec le planning familial et nous leur avons leur dit que ça serait bien qu’on travaille ensemble. Le début de notre collaboration avec le Planning Familial a commencé lors de la présentation du livre.

Nous avons organisé une permanence au planning rue Vivienne à Paris, le samedi. Et là, j’ai vraiment pris conscience des difficultés que rencontrent les femmes avec les méthodes de contraception. Même s’il y a 10-12 méthodes, c’est dur de trouver ce qui convient et même au bout d’un certain temps, cela ne convient plus ! Donc effectivement, il y a un relai qui se crée avec les hommes ; les femmes qui ne veulent plus d’hormones poussent leur mec à le faire. Rue Vivienne par exemple, il y a de nombreuses femmes qui viennent avec leur mec qui passe à la contraception masculine.

Les boules au chaud

ARDECOM a eu plusieurs réunions qui ont mené à la formation de deux groupes qui se sont autonomisés : Les Bretons (Christian et Aurélien) font du bon boulot, et ont créé une association qui s’appelle Thomas Boulou, les boules au chaud en breton !! Ils ont depuis créé ARDECOM 29, ont demandé des subventions à la région pour travailler sur l’information auprès des scolaires sur la sexualité et la contraception masculine. Ils font beaucoup de vulgarisation sur la contraception masculine. Ils sont trois et tiennent une permanence le premier samedi de chaque mois, à Quimper. Ils ont fait des tutos pour la fabrication des slips. C’est une réelle avancée car il devenait difficile d’avoir un rendez-vous avec le Dr Mieusset en allant à Toulouse au CHU.

Aujourd’hui, aucun industriel ne fabrique le slip contraceptif. Des hommes se sont mis à faire des ateliers couture et font des slips ou des « jockstrap » sur le même principe que les slips, avec un anneau pour faire remonter les couilles en tirant sur la peau des bourses à travers l’anneau, pendant15h pour que ça soit efficace pour arrêter la spermatogénèse. Comme pour toutes les méthodes, il faut prendre en compte la durée du cycle de la production des spermatozoïdes qui est de trois mois ; on a donc une efficacité au bout de trois mois, et on la mesure en faisant des spermogrammes. On doit être inférieur à 1 million de spermatozoïdes par millilitre pour avoir la même efficacité que les contraceptions féminines. Il est recommandé de consulter un médecin pour vérifier les contre-indications et suivre l’évolution de la descente de la spermatogénèse et l’apparition éventuelle d’effets secondaires (il n’y en a pas à notre connaissance mais certains hommes peuvent ne pas réussir à faire descendre leur nombre de spermatozoïdes !); ils doivent alors choisir l’autre méthode : la contraception hormonale !

La méthode hormonale consiste en une injection de testostérone, produit disponible en pharmacie, et utilisé pour les mecs qui sont en insuffisance hormonale. C’est un produit qui n’a pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) à des visées contraceptives Il y a quand même pas mal de médecins qui prescrivent cette méthode et de pharmacien.nes qui la donnent. Ce problème d’AMM doit être résolu avec le ministère de la Santé.

Il y a une deuxième association qui a été créée à Toulouse qui s’appelle Garcon, Erwan en est l’animateur. Il fait des ateliers couture et beaucoup d’interviews au médias, c’est un militant de la contraception masculine.

Une augmentation très nette de la demande

Maxime, un autre militant, s’est inspiré d’un anneau vu dans un sexshop, pour en faire un ayant la même fonctionnalité qu’un jockstrap ou que le Remonte Couilles Toulousain. Plus de 6000 exemplaires ont été vendus…

Il y a donc une demande qui se compte en milliers et non en centaines (pas encore en millions). Si il n’est pas condamné par le ministère de la Santé, on devrait atteindre prochainement les 10 000 hommes qui utilisent un moyen de contraception thermique ! C’est vrai que ça été une poussée importante, une facilitation pour les mecs de se contracepter. C’est donc une méthode non hormonale, l’hormone étant un frein psychologique pour certains hommes. Beaucoup de femmes arrêtent la contraception hormonale et donc les mecs ont les mêmes craintes. Il y a donc plus d’hommes qui vont se lancer dans la solution thermique que celle avec des hormones, bien que je pense que la testostérone est une substance qu’on produit et que chacun doit trouver la méthode qui correspond à son corps et son mode de vie !

Donc oui, il y a une augmentation très nette de la demande, grâce aussi aux médias. Il y a de plus en plus de femmes et de mecs qui sont au courant.
Mais on reste quand même en dessous du 1 % pour la vasectomie et à quelques milliers pour des mecs qui se contraceptent alors qu’on est plus de 30 millions, donc on a encore du chemin à faire !

Pierre Colin co-fondateur d’ARDECOM

Dr Soufir et Mieusset La contraception masculine Ed Springer 2012

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