Articles récents \ Île de France \ Société Salia David : « Je m’assure que l’ensemble des droits des victimes soit respecté »

Salia David est intervenante sociale. Employée par l’association d’aide aux victimes des Hauts-de-Seine (ADAVIP 92), elle assure une permanence au commissariat de police de Nanterre depuis 14 ans. Sa mission ? Accompagner les femmes victimes de violences conjugales lors de leur venue au poste. 

En quoi consiste votre métier ? 

Le rôle d’une assistante sociale en commissariat, c’est de recevoir toute personne en difficulté sociale qui se présente auprès des services de police. Il peut s’agir d’une demande d’information comme d’une évaluation complète de la situation de la personne, qui sera dirigée vers les partenaires extérieurs si besoin. Le but est d’apporter une réponse complémentaire à celle de l’activité policière, car les victimes viennent souvent chercher une réponse qui relèverait plutôt des services sociaux, municipaux ou de la sphère associative. Quand les policier·es acceuillent une personne, elles/ils font état de la demande et orientent la personne pour que je la reçoive.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ? 

Dans le travail social, on va être sur de la prévention, l’accès aux droits, à l’information… alors que la police serait plutôt de la répression. Mais finalement, devenir intervenante sociale en commissariat m’a permis de me débarrasser de ces représentations et de découvrir qu’il y avait aussi de la prévention dans l’action de la police. C’était un domaine que je ne connaissais pas, mais qui allait complètement en concordance avec ma démarche. 

Quel est votre rôle auprès des femmes victimes de violences conjugales ? 

Au niveau de ma permanence, une fois orientées par les services de police, sociaux ou les associations, j’accompagne les personnes vers le dépôt de plainte. Au moment de leur venue, elles sont en grand besoin d’une première écoute active : elles se confient sur ce qu’elles ont vécu et cela ne se fait pas en un seul entretien. Ici au commissariat, il y a aussi une psychologue donc je m’appuie sur ma collègue pour que les femmes bénéficient ensuite d’un soutien psychologique. On discute de la question des enfants, du logement, de l’emploi, de la séparation, de la famille au sens large du terme… En général, j’accompagne les femmes jusqu’au moment où elles ont pu voir un·e avocat·e, qu’un·e juge aux affaires familiales a été saisi pour divorcer, ou bien jusqu’au moment où il y a une audience correctionnelle pour le conjoint. Je m’assure que l’ensemble de leurs droits soient respectés.

Quelles relations entretenez-vous avec les policier·es ? Comment travaillez-vous ensemble pour répondre à la situation des femmes victimes ?

Je suis entourée de policier·es vraiment très sympathiques avec un grand respect de ma profession. J’aurai pu être mise à l’écart parce que je ne suis pas policière, avec les représentations que l’on a en France de « l’assistante sociale, le bureau des pleurs”… Mais ma place m’a été offerte. Je dispose d’un bureau, cet espace là est déjà respecté. Ma mission en tant qu’intervenante sociale, c’est avant tout d’être proactive, d’aller vers les policier·es pour qu’ils/elles m’envoient vers telle ou telle personne. Ils et elles me tiennent au courant de l’évolution de la procédure. Si le conjoint est en garde à vue, j’aime bien en parler avec la femme. Cela lui permet de se préparer par anticipation, de partir quelque temps si nécessaire et de savoir que cette démarche de venir dénoncer les violences aboutit à la convocation du conjoint et à une décision de justice. Nous faisons du sur-mesure. C’est possible parce que nous travaillons très bien ensemble.

Les policier·es reçoivent-ils/elles une formation aux violences sexistes et sexuelles pour mieux accueillir les victimes ?

Ils/elles ont déjà des cours dans leur cursus initial, et ont un stage de deux jours lorsqu’ils/elles ont pris leur fonction : des associations spécialisées interviennent la première journée, et le pôle psycho-social accompagné d’avocat·es et magistrat·es le deuxième jour. Tous·tes les policier·es qui arrivent reçoivent cette formation, et celles/ceux déjà en fonction peuvent reprendre ces deux journées pour actualiser leurs connaissances ou discuter sur la base du volontariat. C’est un temps d’échange qui est important. 

Comment qualifieriez-vous l’accueil réservé à ces femmes ?

Nous prenons le temps qu’il faut. Je m’attache à suivre leur rythme. Il faut le temps de la réflexion et celui de l’action pour pouvoir les remettre au cœur de l’intervention. Je sers juste de levier pour initier des démarches qui vont changer leur situation. L’accueil est optimal même si “tout est perfectible” pour citer mon commissaire. Nous savons qu’il peut y avoir des lacunes. Normalement on sonne, un·e policier·e répond à l’interphone et demande la raison de la venue pour des questions de sécurité imposées par le plan vigipirate. Nous avions fait le constat que c’était vraiment dégradant, voire impossible pour les femmes d’avoir à dire la raison de leur venue seules sur le trottoir, avec des personnes autour. Ce n’était pas sécurisant du tout. Nous avons donc commencé à réfléchir sur comment améliorer l’accueil : l’idée d’un visiophone pour Nanterre nous est venue, avec une signalétique qui permet aux femmes de sonner. Un·e policier·e décroche, elles ne disent pas pourquoi elles viennent et ce/cette dernier·e vient leur ouvrir sans qu’elles n’aient besoin de parler. Quand elles entrent, le deuxième écueil que nous avions constaté était qu’elles devaient attendre leur tour entre une personne qui venait pour une voiture emmenée en fourrière et une autre pour un vol de carte bleue. Alors comment améliorer l’attente ? De la même façon, elles n’attendent pas dans le haul commun, on les fait entrer dans un bureau. C’est seulement dans ce bureau qu’elles expliquent la raison de leur venue. Cet outil-là a été actionné par une soixantaine de personnes depuis le début de l’année. Il gagne à être connu.

Comprenez-vous les femmes victimes qui refusent de porter plainte par peur d’être mal reçues ?

Je comprends. C’est pour cela que nous avons essayé de flécher le parcours de prise en charge. Ce n’est pas facile parce que c’est venir parler de quelque chose d’intime auprès d’une institution qui peut être impressionnante et qui représente l’autorité publique. Parler de soi face à un·e policier·e est compliqué, d’autant plus pour une femme en situation de fragilité qui vient d’être frappée par son mari le matin même, la veille ou trois jours avant. Elles ont ça sur le cœur et veulent en parler. Parfois, elles viennent spontanément parce qu’elles ont peur pour leur vie ou celle de leurs enfants. Si elles réussissent à passer la porte du commissariat, il faut les prendre en charge, le meilleur accueil leur est dû. Ici à Nanterre, nous avons la chance d’avoir un commissaire très impliqué et à l’écoute des propositions, des améliorations, et des partenaires extérieurs. Avec en plus des équipes de jeunes policier·es. Tous ensemble, on y arrive. 

Certain·es portent une critique assez virulente de la police, par son inaction dans des affaires de féminicides où la victime avait déjà porté plainte plusieurs fois sans jamais avoir été mise à l’abri. En tant qu’intervenante sociale qui est sur le terrain, qu’en pensez-vous ?

La coordination au commissariat de Nanterre est telle que je suis systématiquement informée des situations. Il y a une confiance entre nous. Si je leur demande sur quelle procédure elles/ils travaillent en ce moment, elles/ils m’en font état. Je peux aussi m’auto-saisir d’une sitation et décider par moi-même de contacter la victime. Je ne reste pas dans mon bureau la porte fermée en attendant. Je pense à une situation où le conjoint était interpellé, allait être évincé du domicile et l’épouse se retrouvait sans ressources. J’ai forcément proposé à cette dame de venir.

Nous organisons un rendez-vous pour l’accès aux droits : nous appelons le service du RSA, ou la CAF et les services sociaux. L’indépendance financière est un premier début d’autonomisation pour elles. Donc sur les féminicides, il faut voir la chaîne dans son ensemble. Oui, il y a les services de police, mais il y a aussi les services de justice et les professionnel·les extérieurs… Par ailleurs, les limites que j’ai constaté, c’est l’herbergement d’urgence. Les seuls dispositifs que l’on a à disposition, ce sont les coordonnées des associations spécialisées qui peuvent mettre à l’abri en urgence. Mais quand il n’y a plus de place et que la structure est fermée… Que fait-on ? Si quelqu’un nous dit “je ne veux plus rentrer chez moi”, on devrait pouvoir proposer un hébergement d’urgence à la femme, mais cela ne se fait pas systématiquement. 

Comment améliorer encore la prise en charge de ces femmes ?

Je reçois des femmes toutes origines et de tous pays. Ce qui est prégnant dans mon intervention, c’est l’aspect interculturel de leurs situations. J’avais réfléchi à créer un groupe de femmes relais, c’est-à-dire des femmes qui auraient elles-même été victimes de violences conjugales, en seraient sorties, auraient pu s’autonomiser et retrouver leur liberté. Elles pourraient ainsi les accompagner. Parfois, il y a en plus la barrière de la langue… Toutes les étapes de la procédure peuvent être traduites mais malgré tout je crois beaucoup en la prise en charge collective. Quelqu’un qui est déjà passé par là saura sans doute mieux expliquer qu’un·e professionnel·le de quoi il retourne à une autre personne qui le vit.

Propos recueillis par Louise Lucas 50-50 Magazine

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