Articles récents \ Île de France \ Société Le planning familial aux côtés des exclues de l’IVG
Le planning familial lutte activement depuis 2019 pour l’allongement du délai légal de l’IVG. Les actions de l’association se traduisent par des récoltes de fonds, des évènements et des mobilisations organisées en faveur des femmes forcées d’aller à l’étranger pour avorter.
« Vous y croyez, vous, aux annonces de Castaner ? » lance Camille à ses collègues du planning familial. Nous sommes le 7 octobre, et Christophe Castaner, président des députés LREM, a annoncé dans Le Parisien du jour réactualiser à l’Assemblée Nationale la proposition de loi allongeant le délai légal pour avorter de douze à quatorze semaines.
Ce jour-là, elles sont une petite dizaine, salariées et bénévoles, à déjeuner dans les locaux du planning familial du 10 rue Vivienne, dans le deuxième arrondissement de Paris. Installé dans un vieil appartement parisien, ce centre de planification fait partie, avec deux autres antennes, du planning familial du 75. Situé au premier étage d’un immeuble haussmannien, le centre de la rue Vivienne donne dès le premier abord une impression de cocon intime où l’on peut parler librement. Car ici, pas de tabous : les mots vulve, pénis, préservatif, MST, sida, sexe sont présents sur toutes les affiches collées aux murs. À l’image des slogans qui les entourent, les animatrices du Planning ont le ton libre et affirmé. Elles parlent sans complexe de capotes qui craquent, de règles qui donnent mal au ventre, de pilules contraceptives qui affectent la libido. À l’heure du déjeuner, elles se retrouvent dans l’une des salles de réunions du local et sortent les tupperwares et les salades.
Camille travaille au planning familial depuis huit ans. Avec ses collègues, elle milite en faveur de la fin du délai pour avorter, « comme c’est le cas au Canada », dit-elle. La jeune femme au ton dynamique et au sourire chaleureux reconnaît que « chaque semaine gagnée est une victoire », mais que la lutte doit continuer, car « le seul critère doit être le choix des femmes ». « Chaque année, cinq à six mille femmes quittent la France pour avorter, et c’est cinq à six mille femmes de trop ».
Aujourd’hui, 75 % des femmes qui avortent ont eu recours à une contraception au moment du rapport. Selon Nathalie, bénévole au planning familial de Paris, les avortements tardifs sont de plus en plus nombreux. « La contraception n’est pas à 100 % efficace, que ce soit les pilules, les stérilets, les préservatifs… et en plus, il y a énormément de désinformation sur le sujet. Les femmes qui viennent me voir me disent parfois qu’elles ont arrêté la pilule pour ‘reposer leur corps’, ou qu’elles pratiquent la technique du ‘retrait’ car celle-ci est saine et aussi efficace que n’importe quelle contraception… » Pour les femmes enceintes de plus de douze semaines qui souhaitent avorter, le planning familial les aide à faire le voyage jusqu’aux Pays-Bas, où le délai pour une IVG est de vingt-quatre semaines. « Nous avons des partenariats avec des cliniques vers lesquelles on envoie les femmes. Depuis 2019, nous avons lancé une cagnotte en ligne dont les fonds servent à payer le voyage pour les hors-délais. » détaille Florence, une retraitée bénévole au planning depuis trois ans, ayant elle-même avorté dans les années 80. « Finalement, on se transforme un peu en agence de voyage ! » rit-elle. Camille, assise de l’autre côté de la table réplique en ajoutant le sushi qu’elle tient au bout de ses baguettes japonaises : « mais non, on n’est pas une agence de voyage. Ce sont les femmes qui sont actrices, qui font tout le chemin. Nous, nous ne faisons que les accompagner dans leurs démarches ».
Mathilde, venue poser des questions au médecin du centre sur sa contraception fume une cigarette dans la cour de l’immeuble en attendant de monter au premier, là où se trouve le centre. Elle est partie se faire avorter aux Pays-Bas l’année dernière. « Le planning familial m’a aidée dans le choix de la clinique et a payé mon déplacement en train grâce aux fonds récoltés lors de leur campagne contre les inégalités face à l’IVG. C’est vraiment bien fait, je connaissais une fille dans le même cas que moi qui avait passé la nuit chez une habitante que le planning familial avait contactée pour qu’elle se repose après l’intervention ».
Au-delà des déplacements à l’étranger, le planning familial organise également des évènements culturels et des conférences pour informer sur le sujet, à l’image de la rencontre de 2018 à la Mairie du 10ème arrondissement de Paris, où plusieurs actrices françaises avaient lu les témoignages de femmes parties subir une IVG à l’étranger.
Les animatrices du planning familial luttent également en faveur d’une meilleure éducation à la sexualité dans les établissements scolaires ainsi qu’une vulgarisation des informations sur la contraception pour rendre les femmes maîtresses de leur sexualité. « La majorité des femmes que nous recevons ignorent qu’elles peuvent tomber enceintes même si elles sont sous pilule et que leurs saignements mensuels ne sont pas des règles, mais simplement liés à l’action hormonale de la contraception. Les médecins n’expliquent même pas ce qu’ils prescrivent… » proteste Nathalie, les mains dans les documents administratifs destinés aux IVG. « C’est vrai, quand j’ai pris la pilule, le gynéco n’a fait que me donner une ordonnance et puis c’est tout ! » ajoute Danielle, la bénévole doyenne du groupe. « Oui mais toi tu as pris la pilule dans les années canoniques… » lui répond Camille avec un sourire tendre.
Il est 14 heures et la salle d’attente du 10 rue Vivienne s’est bien remplie. Au programme de l’après-midi : accueil collectif sur la contraception. Il règne un silence gêné et l’on évite de croiser le regard de la personne assise en face de soi. Dans la pièce d’à côté, Camille, Danielle, Nathalie et Florence débarrassent leurs couverts et s’apprêtent à rendre à l’aise leurs visiteurs grâce à leurs blagues légères et leur bienveillance.
Victoria Lavelle 50-50 Magazine