Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Monique Dental-Esparraguera : «l’histoire du patriarcat se confond avec l’histoire des colonisations»

On me pose souvent la question : pourquoi votre association féministe est-elle signataire de l’appel du Collectif 17oct61 ?

Je répondrai succinctement sur ce point : parce qu’il existe une similitude de condition dans l’oppression et la domination que vivent les femmes et les colonisé.es qui s’origine dans l’histoire.

En effet, l’histoire du patriarcat se confond avec l’histoire des colonisations dans son principe d’organisation de la société qui repose sur le maintien de dominants et de dominés. Les femmes ont longtemps été colonisées par le système patriarcal. Durant des siècles, elles ont subi cette double contrainte et ont dû lutter pour obtenir une juste égalité qui ne nous est pas encore totalement acquise.

C’est pourquoi nous sommes solidaires de tous ceux et toutes celles qui ont été colonisés, opprimés et dominés et de celles et ceux à qui on refuse encore aujourd’hui la reconnaissance de ce passé douloureux.

Nous sommes aussi signataires de l’appel pour que ne soient pas oubliés les manifestations de femmes algériennes en France qui ont riposté à la violence policière en organisant des rassemblements à partir du 20 octobre 1961 pour réclamer la vérité et la justice sur les massacres de leurs maris, de leurs fils ,de leurs filles, comme la jeune Fatima Bédar (1).

C’est au grand jour que doivent se dire et s’inscrire ces moments noirs d’histoire où des hommes et des femmes ont souffert pour le profit et le confort d’autres hommes qui se croyaient leurs maîtres. Le contexte de l’époque est celui d’une forte politisation liée à la guerre d’Algérie. C’est l’époque de dénonciation de la torture en Algérie où des organisations prônent l’insoumission.

Personnellement, ma rencontre avec la guerre d’Algérie s’est produite en 1960, j’avais alors un peu plus de 17 ans, par l’intermédiaire d’un militant nationaliste algérien de base que je cache à mon domicile durant plusieurs mois pendant la période du couvre-feu. Je deviens sa « complice clandestine ». Je me suis jetée à corps perdu dans ce mouvement collectif, tout en réalisant la capacité qu’ont les femmes et les hommes de s’opposer à l’arbitraire.

Pour celles et ceux qui ont vécu ces heures tragiques du 17 octobre 1961, résonne l’écho de la brutalité intolérable et injuste de cette triste journée.

La question de la réponse politique au massacre du 17 octobre 1961 a été oubliée, sinon occultée, et la plupart des ouvrages et des films qui y ont été consacrés passe sous silence le rôle singulier du PSU dans la riposte à cette sanglante répression, sauf le livre de Jean-Luc Einaudi.

On entend dire que les Français·es, à cette époque, ne se sont guère intéressé.es à cette affaire et ont laissé faire le massacre. C’est faux et c’est une contre-vérité. Et c’est faire preuve de si peu de reconnaissance à l’égard de nombreux militant.es qui, dans la discrétion et l’opiniâtreté et sans jamais s’en vanter ont au contraire manifestés, de diverses manières, leur solidarité avec les Algérien·nes en lutte pour leur indépendance. Selon les sources, il semble d’ailleurs que la mention « Ici, on noie les Algériens » sur le Pont Saint-Michel a été faite le lendemain par un membre de la section PSU de Nanterre Hugues Carpentier accompagné de Jacques Bronstein.

Après avoir vainement proposé au PCF et à la SFIO dans les jours suivant la répression du 17 octobre une manifestation commune contre celle-ci, le PSU a organisé seul Place Clichy une manifestation pour la dénoncer le 1er novembre 1961.

Pourtant une chape de silence se pose très vite sur les exactions commises, remplacée par des rapports mensongers sur ce qui apparaîtra par la suite comme un crime d’Etat.

C’est pour réparer cet oubli que nous nous sommes employé.es à réaliser un cahier à partir d’archives de l’époque et de témoignages d’anciens et d’anciennes membres du PSU dans la mobilisation contre la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Nous avons aussi le souci d’expliquer aux jeunes générations comment et pourquoi est advenu le 17 octobre 1961. C’est notre apport à l’action du Collectif 17oct61.

Si la violence policière a causé la mort de nombreux algérien·nes dont nous commémorons la mémoire, le crime d’Etat auquel cette violence a donné lieu reste un des points aveugles de l’histoire de France. C’est parce que nous refusons qu’il soit occulté que nous sommes encore ici cette année. C’est ce qui fait sens.

Toutes celles et tous ceux qui ont eu la dignité de se révolter, de s’insurger à cette époque se sont souvent retrouvé·es à travers les luttes dans des mouvements différents. Ce souvenir partagé nous a permis de tisser des solidarités.

Il est temps que la reconnaissance de cet épisode de notre histoire et de celle du peuple algérien soit reconnue sans ambiguïté : ce crime d’Etat doit être nommé et inscrit comme tel dans les mémoires de toutes et de tous. Pour les générations actuelles, pour celles à venir, ces souvenirs de nos sœurs et de nos frères doivent ouvrir nos yeux, nos cœurs et nos consciences, ainsi que les chemins d’une possible égalité, juste et partagée.

C’est le sens des revendications que nous partageons avec le Collectif 17Oct61 : reconnaissance du crime d’Etat, ouverture des archives, mention dans les manuels scolaires.

Monique Dental-Esparraguera, militante féministe, fondatrice et animatrice du Réseau Féministe Ruptures, ancienne militante du Parti Socialiste Unifié, membre de l’Institut Tribune Socialiste 

Déclaration du 13 octobre 2021 à la conférence de presse du collectif 17oct61

1 Fatima Bedar est une militante indépendantiste algérienne, morte à l’âge de 15 ans lors du massacre du 17 octobre 1961

 

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