Articles récents \ Monde \ Pays Arabes Fawzia Zouari : « oui on peut être féministe et musulmane laïque »

La franco-tunisienne Fawzia Zouari a travaillé à l’Institut du monde arabe, au magazine Qantara et à Jeune Afrique. Lauréate de nombreux prix dont le Comar d’or et le Prix des cinq continents de la Francophonie, elle a publié plusieurs romans sur la thématique des femmes maghrébines. Elle rêve d’un féminisme universel, d’une révolution laïque où les droits de toutes et de tous seraient respectés. Elle prône une révolution des mentalités avec la séparation entre le religieux du politique et la naissance de l’individu féminin qui doit passer par la révolution sexuelle. 

10 ans après le printemps arabe, peut-on parler d’avancées positives pour la condition des femmes du Maghreb ?

Le printemps arabe est né en Tunisie de revendications contre le pouvoir politique de l’époque et notamment contre la corruption. De nombreuses femmes sont descendues dans la rue pour revendiquer l’égalité et la dignité aux cotés des hommes. On pensait que ces révolutions iraient conforter les droits des femmes aussi bien en Tunisie qu’en Égypte. Aujourd’hui, nous assistons à une débâcle politique, une absence d’État, des élèves qui ont quitté l’école, une économie en ruine, un taux de chômage qui explose et une montée en puissance des islamistes qui se sont installés dans les rouages de notre pays. Ils œuvrent sur la place publique et en coulisse. Ce n’est pas pour rien que les Tunisiens comptent parmi les clandestins les plus nombreux. Beaucoup sont partis grossir les rangs de Daesh et des jeunes filles sont parties en Syrie pour faire le Jihad sexuel. Il faut être désespéré pour en arriver là.

Cette révolte populaire n’a pas conforté nos acquis mais les a remis en question. Heureusement, Nous, les filles de Bourguiba (1), avons un héritage, une transmission d’égalité grâce à la loi qui nous protège. Nous avons 50 à 60 ans de liberté. Ma génération a été instruite, nous travaillons et nous occupons des postes de pouvoir. Les islamistes ont conscience qu’ils ne pourront pas agir de la même façon comme ils le font en Libye par exemple où les femmes sont peu instruites. Cependant, les mentalités se sont islamisées en 10 ans avec des questions qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène comme la remise en cause de l’avortement et du travail des femmes ainsi que la polygamie, ou le fait de maintenir ou non le planning familial. La révolution arabe a fait reculer nos droits dans certains pays du Maghreb à cause des islamistes. Ils ont fabriqué une société de plus en plus ancrée dans l’Islam. Pour moi, la révolution arabe est un échec. Il n’y a eu que des soubresauts, cette révolution est une imposture car les droits ont reculé de manière générale.

Je reste cependant positive pour l’avenir grâce aux militant.es, aux réseaux sociaux, aux jeunes générations même si revendiquer n’est pas leur priorité actuellement. Et surtout les mentalités n’ont pas été islamisées. Les Tunisiennes ont le taux d’instruction le plus élevé du Maghreb et nous le devons à notre héritage. La vraie révolution doit séparer le religieux du politique. Elle doit être laïque avec une reconnaissance de la femme et de la liberté sur son corps.

Peut-on être féministe et musulmane ?

On peut être féministe et musulmane au sens culturel et non religieux. On ne peut pas se revendiquer féministe et musulmane pratiquante et encore moins féministe islamiste. Une femme qui porte le voile et qui se visualise féministe est une forme d’imposture. Le port du voile est un signe de soumission. Ces femmes acceptent les règles imposées par l’homme comme le fait de ne pas apparaître dans l’espace public si elles ne sont pas voilées ou sans tuteur. Pour ces femmes soumises, on naît femme et on restera femme. Elles avalisent le dogme islamiste. Elles pensent que la soumission au féminin est transmise génétiquement, et il s’agit de s’en libérer. Il faut donc un double d’effort pour s’en émanciper. L’islam est une culture. Il faut séparer la religion de la pratique publique, de la vie temporelle, c’est-à-dire qu’on se comporte en tant que citoyenne, sans signe extérieur religieux et à la maison on fait ce que l’on veut. Donc, oui on peut être féministe et musulmane laïque.

Étant Tunisienne, je lutte pour les droits des femmes autour du bassin méditerranéen en tant qu’espace géographique et non politico-religieux car pour moi, le féminisme doit revenir à sa source, il est universel et doit s’inspirer des grandes figures de l’histoire de la Méditerranée et allier la conception du féminin aux droits des femmes. Nous ne sommes pas en lutte contre les hommes. Je ne veux pas défendre un modèle particulier de féminisme, je m’inscris dans un féminisme avec un grand F, c’est-à-dire un féminisme universel.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 magazine

1 Habib Bourguiba (1903-2000) : homme politique qui a œuvré pour l’indépendance de la Tunisie et l’émancipation des femmes.

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