Articles récents \ France \ Société Radicales et fluides : Les mobilisations contemporaines contre les injustices

Réjane Sénac présentait le 20 octobre son nouveau livre lors d’une conférence : Radicales et fluides, les mobilisations contemporaines contre les injustices. La conférence a rassemblé un panel d’intervenant·es activistes de bords différents. Ensemble, ces femmes et ces hommes nous ont montré que leurs combats, contrairement à ce qu’en disent les médias, n’étaient pas opposés les uns et aux autres, et que s’ils sont radicaux c’est au sens politique d’appréhender les injustices pas seulement dans leurs expressions, mais aussi dans leurs causes. Comment abordent-ils/elles la nécessité de faire nombre, voire convergence, pour être efficace dans leurs luttes ? 

La conférence débute par un constat paradoxal. D’un côté, on entend de toutes parts les injonctions de certains politiques, syndicalistes, médias et leaders à faire converger les luttes sociales. De l’autre, les divergences entre les militant·e.s, voire les difficultés à échanger celles-ci posent la question de savoir si et comment les mobilisations pour la justice sociale et écologique, contre le sexisme, le racisme et le spécisme peuvent se rejoindre, se compléter ou au moins, cohabiter calmement.

Pourtant, la convergence des luttes a été la condition des plus grandes avancées sociales françaises du XXème siècle. Ainsi l’élément décideur de l’obtention des congés payés en 1936 fut une grève générale de tous les milieux sociaux. De la même façon, mai 68 a été rendu possible par l’union des mouvements étudiants et ouvriers. Ensemble ils ont réuni 10 millions de grévistes, soit la plus grande mobilisation française qui ait jamais existé. Mais depuis cette union historique, plus rien au sujet de la convergence des luttes. Cette expression est passée dans le langage courant et est souvent présentée comme un objectif des mobilisations sociales mais aucun mouvement n’a pu la reproduire. La convergence des luttes, idéal des mouvements sociaux ou rêve inatteignable ?

Diviser pour mieux régner

Il est vrai que de premier abord, justice sociale et économique, antispécisme, écologisme, et féminisme  semblent bien éloignés. Pourtant, lorsque l’on retourne aux sources des revendications, on s’aperçoit que beaucoup de racines sont communes. Les politiques ont consciemment divisé ces mouvements similaires pour qu’ils perdent leur force. Elles/ils les ont présentés comme des mouvements radicaux et dangereux, empêchant dès lors tout dialogue entre les activistes. Au fil des ans, les militant·es elles/eux-même se sont enfermé·es dans cette division.

Pour illustrer cela prenons un exemple : le féminisme. L’une de ses revendications majeures concerne la place des femmes dans l’espace public. Les aménagements urbains sont quasiment monopolisés par les hommes et très rarement pensés pour les femmes. Une révision de la structure de nos villes est donc nécessaire. L’écologisme partage ce constat et milite pour une urbanisation plus verte. Plus de voies cyclables, plus de rues piétonnes, moins de pollution. Par ailleurs, ces problématiques urbaines doivent s’accompagner de mesures économiques et sociales : plus de logements sociaux, d’écoles, de vie culturelle et associative etc. Il faut également en finir avec les installations publiques qui oublient les personnes en situation de handicap. A Paris, seulement 9 stations de métro sur 303 sont accessibles, une honte ! Tous ces mouvements partagent un idéal commun : une vision plus juste de l’urbanisme.

De plus, le féminisme se bat contre les violences faites aux femmes et contre la violence masculine. Dans Le Coût de la virilité de l’historienne Lucile Peytavin, elle estime que La violence masculine représente à elle seule presque 100 milliards d’euros par an. Lutter contre la domination masculine permettrait donc d’allouer plus de fonds au service public qui subit chaque année un peu plus les coupes budgétaires. De la même façon, l’antispécisme condamne les violences envers tout être sentient, peu importe son espèce.

En somme, aucune lutte sociale n’est isolée des autres. Elles s’entremêlent, se complètent et se décuplent toutes contre un ennemi commun : le capitalisme.

Face à un tel constat, pourquoi cette absence de convergence en France depuis 40 ans ? 

Les mouvements ont conscience depuis longtemps de son importance mais peinent à l’appliquer sur le terrain à cause de différentes raisons. Le principal obstacle fut dressé par les politiques : la division. Les militant·es sont maintenant persuadé·es qu’une alliance est impossible parce que leurs revendications ne se complètent pas. Ce prisme biaisé a freiné les luttes pendant de nombreuses années. A cela, s’ajoutent les guerres d’ego qui pervertissent de l’intérieur les groupes d’activistes. On hiérarchise les causes, on considère que la sienne est plus légitime et que s’allier avec d’autres ne ferait que diminuer son importance. Les inégalités qu’on connaissait déjà se sont accentuées à cause de cette tendance à mettre des “frontières” entre les luttes. Les problèmes ne sont plus adressés dans leur globalité mais sous un angle précis qui empêche de trouver une solution complète. Cette incapacité à aboutir à des résultats concrets entraîne un découragement, une chute des adhérent·es et un repli sur soi-même : c’est un cercle vicieux. Les militant·es qui restent sont constamment décrédibilisé·es par les médias et présenté·es comme radicales et radicaux pour faire peur au grand public. Une fausse radicalité est orchestrée pour les séparer du reste de la population et les isoler des autres causes.

La convergence des luttes n’est ni un rêve ni une utopie. Elle est la condition sine qua none pour que les mouvements sociaux parviennent à porter leurs revendications. Cependant, il est bon de nuancer. Ce n’est pas une solution miracle et beaucoup d’activistes craignent qu’une convergence ne hiérarchise les luttes et efface celles des minorités. Une convergence est nécessaire, mais elle doit obéir à des règles strictes pour ne pas dériver vers un amalgame brouillon de tous les combats. Nous avons besoin de trouver des solutions pour pallier ces problèmes.  Et vite. Notre société a besoin de changements drastiques et immédiats. Les violences faites aux femmes, les injustices sociales et le dérèglement climatique ne peuvent attendre. Sans convergence, la société française va rater le coche et manquer de temps. L’heure n’est plus aux palabres. Il faut des actes. Maintenant.

Célia Rabot 50-50 magazine

Réjane Sénac Radicales et fluides, les mobilisations contemporaines contre les injustices Ed Presses de Sciences Po 2021

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