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Maternité, Paternité, Parité est un livre-plaidoyer, court et documenté, écrit par Violaine Dutrop. Entre carrières fragmentées, partage des tâches domestiques et écart de rémunération, quel est l’impact de l’arrivée d’un enfant dans la vie d’une femme en couple ? Fonder une famille est souvent une injonction pour les femmes, présentée comme une fin en soi. Pourtant, la maternité n’est pas sans conséquence sur la vie professionnelle des femmes, qu’elles aient des enfants ou non. Ce qui pourrait être un beau projet familial peut bien vite se transformer en une charge qui accentue les inégalités femmes/hommes au niveau de toute la société.

Les femmes à la maison pour s’occuper des enfants et les hommes au travail pour nourrir leur famille. Voilà la vision des sphères sexuées et séparées qui a été instaurée au 19ème siècle dans nos sociétés. Ce n’est qu’au siècle dernier que fut remis en cause ce modèle avec une nouvelle aspiration : l’émancipation des femmes de leur foyer. Les femmes font maintenant partie de la population travailleuse salariée dans tous les domaines et semblent avoir les mêmes droits que les hommes. Pourtant, les inégalités salariales demeurent, et la paternité ne paraît pas freiner l’évolution professionnelle d’une grande partie des hommes. Alors pourquoi cette situation perdure-t-elle ? Maternité, Paternité, Parité de Violaine Dutrop nous apporte une réponse : les femmes, assumant la majeure partie du soin et de l’éducation des enfants, en déchargent les hommes.

De nombreuses avancées ont été faites pour protéger la santé et l’emploi des femmes enceintes : congé maternité, garantie de percevoir toujours une partie de leur salaire, protection de l’emploi etc. Hélas, l’expérience vécue par les femmes au travail a abouti à la reconnaissance juridique des effets discriminatoires du congé maternité . En effet, le “risque maternité” s’avère une réalité dans de nombreux cas. Il prend des formes variées, comme leur éviter la possibilité de se positionner sur des postes à  responsabilité.

De plus, il est spontanément assumé dans notre société qu’après l’accouchement ce seront elles qui consacreront la majorité de leur temps au foyer et aux enfants. C’est effectivement ce qui arrive le plus souvent. Ainsi, selon une étude de l’Ifop de 2019, seulement 22% des femmes en couple déclarent que leur conjoint réalise autant de tâches ménagères qu’elles. De plus, avec seulement 59 places en accueil petite enfance pour 100 nouveaux né·es, la moitié des familles se retrouvent à confier leur enfant à la mère, alors que seulement 29% souhaitaient prolonger un accueil parental. Cela est d’autant plus vrai au sein des familles aux bas revenus. Par conséquent, pour nombre d’entreprises, avec l’arrivée d’un enfant, la vie domestique des femmes prend le pas sur leur vie professionnelle.

Il est évident que cette représentation genrée de la parentalité nuit aux femmes, mais elle nuit également aux hommes. En effet, le congé paternité est bien trop court pour que le jeune papa puisse créer des liens solides avec son enfant. D’ailleurs, 63% des 18-24 ans étaient favorables à son allongement avant l’instauration des quatre semaines du 1er juillet dernier. De plus en plus, il y a une remise en question des rôles sexués : de nombreux hommes voudraient aussi s’occuper de leurs enfants, mais attendent que la norme change vers un meilleur partage et une acceptation de l’implication des pères par leur milieu professionnel. La mise en place d’un congé paternité plus long permettrait aux jeunes papas de s’impliquer davantage dans la prise en charge de l’enfant. Cela diminuerait la charge que les mères doivent assumer aujourd’hui.

La situation en France est particulièrement injuste, même si la Cour de cassation française reconnaît aux salarié·es le droit à “une vie personnelle et familiale”. En effet, les femmes s’extraient longtemps du travail pendant leur grossesse et après la naissance tandis que les hommes peuvent encore opter pour une paternité discrète : ils ne sont que 4% des bénéficiaires du congé parental qui peut être posé après le congé maternité. Mais même si le congé paternité était allongé, Violaine Dutrop avance qu’il faudrait en rendre huit semaines obligatoires, comme pour les femmes, pour s’assurer que la coupure professionnelle créée par une naissance serait équivalente pour les femmes et les hommes. En effet, avant l’allongement du congé à un mois dont une semaine obligatoire, seulement 70% des pères exerçaient tout ou en partie de leur droit à congé paternité. L’État ne peut donc pas se contenter de donner l’opportunité aux hommes de prendre leur congé. Il faut les y forcer, pour protéger la carrière professionnelle des femmes, mais également pour protéger leur santé mentale : elles ont besoin d’un soutien important que le père pourrait davantage être invité à apporter à ce moment crucial de réorganisation de la vie familiale. Car une plus juste répartition des tâches domestiques et familiales au sein du couple bénéficierait à l’ensemble de la société : femmes, hommes et enfants. De plus, de nouvelles relations, plus étroites, entre les pères et leurs enfants s’instaureraient alors.

Si l’allongement conséquent et l’obligation du congé paternité n’ont toujours pas été mis à l’ordre du jour par les politiques, c’est notamment parce que l’on considère que les conséquences économiques seraient trop importantes. Pourtant, le financement d’une telle mesure est à la portée d’un gouvernement qui serait fermement engagé pour l’égalité des sexes. Si les gouvernements étaient plus prompts à protéger la vie professionnelle des femmes, alors elles bénéficieraient peut-être enfin de libertés plus égales avec celles des hommes. La part des femmes et celle des hommes dans l’éducation des enfants doit être équilibré pour que les femmes ne soient plus victimes de discriminations professionnelles liées à la parentalité, hypothétique ou avérée.

Des progrès ont certes été réalisés sur le sujet, ainsi le congé paternité est passé de 11 à 25 jours le premier juillet 2021, mais la thèse de Violaine Dutrop est qu’ils ne suffisent absolument pas. Elle appelle à continuer la révolution de l’émancipation domestique et familiale des femmes grâce à une émancipation des hommes du travail. La parentalité concernant toute la société, les femmes autant que les hommes doivent en assumer le quotidien et la charge mentale. Le monde du travail doit s’y adapter désormais et certaines entreprises semblent ouvrir cette voie.

Ce livre est une excellente porte d’entrée vers ces thématiques là. Les chapitres sont documentés et parfaitement sourcés tout en restant extrêmement clairs, même pour celles et ceux découvrant ces sujets. Violaine Dutrop nous fait un compte-rendu concis de la situation en mettant l’accent sur les solutions. L’ouvrage nous enjoint à organiser une implication paritaire des femmes et des hommes dans leur rôle parental, en même temps que dans leur place au travail.

Célia Rabot 50-50 magazine

Violaine Dutrop Maternité, Paternité, Parité Ed du Faubourg 2021

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