Articles récents \ Monde \ Asie Pour Nargis Anwari, il ne faut pas reconnaître le pouvoir des talibans sur la scène internationale

Les talibans ont repris Kaboul en août dernier, imposant leurs visées religieuses et politiques radicales à l’ensemble du pays, et plus cruellement encore aux femmes, par la contrainte armée. Cependant ils n’avaient jamais cessé d’y mener des actions, comme nous l’a rappelé Nargis Anwari, une jeune journaliste sportive réfugiée en France depuis le 22 août dernier.

Passionnée de sport, Nargis Anwari a voulu défendre les femmes dans un domaine dont elles étaient exclues et c’est à la radio qu’elle a démarré sa carrière de journaliste sportive il y a une douzaine d’années, avant de la poursuivre à la télévision. Sur Tolo TV, une chaîne privée lancée en 2004 par un homme d’affaires afghan naturalisé australien, elle devient cheffe de projet et s’investit dans la promotion de droits des jeunes filles et des femmes. La chaîne soutient la création d’une ligue féminine de football pour les 13/18 ans, une nouveauté pour les jeunes filles puisque cette discipline leur avait toujours été interdite par les talibans. Pourtant elles sont nombreuses à admirer les grandes figures du football et à s’investir dans cette pratique, même si elles doivent jouer couvertes de la tête aux pieds, sans pouvoir s’inscrire dans des compétitions internationales car elles ne peuvent pas quitter le pays, même se déplacer d’un ville à l’autre est prohibé !

Bien sûr aujourd’hui toutes les activités sportives sont interdites aux femmes et très réglementées pour les hommes par un régime qui interdit tout divertissement. Les contacts que Nargis maintient avec ses collègues encore à Kaboul ne sont guère encourageants, la mémoire du sport féminin est effacée et les femmes exclues de toute activité liée au sport.

Nombre de sportives professionnelles et/ou de haut-niveau ont quitté un pays dans lequel elles étaient rarement nées, certaines se sont réfugiées en Iran ou dans les pays voisins. Les joueuses de cricket, sport très populaire en Afghanistan, sont également touchées par ce diktat. Le combat quotidien de ces joueuses qui se battaient depuis plus de vingt ans pour récupérer leur place, tant dans l’espace public que dans les stades qui leur avaient été interdits à la fin des années 1990, avait d’abord porté ses fruits avant de voir leur équipe dissoute en 2014 pour des raisons de sécurité face à la menace talibane. L’équipe s’était ensuite reconstituée petit à petit (en s’entraînant dans les pays voisins) mais aujourd’hui tous leurs espoirs sont anéantis.

Aussi les regards se tournent donc maintenant vers l’équipe masculine qui devait affronter l’Australie à la fin du mois de novembre. Certain·es, comme Nargis Anwari, souhaitait que l’Australie fasse monter la pression contre les talibans. Ce qu’elle a fait, Cricket Australia (CA) vient en effet de reporter le match test de l’Afghanistan à Hobart prévu le 27 novembre, précisant que : « CA s’est engagé à soutenir la croissance du jeu pour les femmes et les hommes en Afghanistan et dans le monde, cependant, étant donné l’incertitude actuelle, CA a jugé nécessaire de reporter le match test à une date ultérieure lorsque la situation sera plus claire. » D’autres, comme Tuba Sangar (ex-directrice en charge de la section féminine de cricket afghan réfugiée au Canada) pense que ce n’est pas une bonne idée de boycotter l’équipe masculine. Cette équipe en pleine ascension a beaucoup fait ces dernières années pour l’image du pays, et surtout elle apportait un peu d’espoir aux Afghan·nes qui en manquent cruellement. Tuba Sangar pense aussi que les pays qui veulent soutenir les joueuses afghanes devraient plutôt les accueillir et leur donner l’opportunité de pratiquer leur discipline en jouant pour l’Afghanistan depuis un pays tiers.

Les talibans n’ont ni projet politique global ni compétences économiques

Le sport est donc une activité qui, tant dans les pratiques personnelles que dans sous la forme de compétitions internationales, peut servir à évaluer la radicalité des talibans, et à tenter de faire pression sur eux. Cependant pour Nargis Anwari ils n’ont pas changé depuis 20 ans et sont toujours aussi brutaux et cruels. En 2016 ils avaient mené une attaque contre Tolo TV, tuant 7 de ses collègues. Aujourd’hui encore ils n’hésitent pas à faire irruption dans des fêtes de mariage et à brutaliser les convives au motif que la musique et la danse sont interdits. Pour elle, il ne faut pas reconnaître le pouvoir des talibans sur la scène internationale mais au contraire les isoler afin de les affaiblir. La plupart des administrations sont désorganisées, les talibans n’ayant ni projet politique global ni compétences économiques. Guidés par une vision archaïque et patriarcale du monde et une lecture réductrice des textes coraniques, ils sont incapables d’administrer le pays à long terme. Leur pouvoir s’appuie sur la violence envers la population et l’oppression brutale des femmes qui ne peuvent plus exercer aucune activité professionnelle librement. Pourtant elles sont nombreuses à disposer de compétences et savoirs essentiels à la vie du pays. Elles sont également privées du droit d’aller à l’école ou d’étudier au même titre que les garçons, réduites à nouveau à leur sexe et privées de tout libre arbitre. Aujourd’hui beaucoup d’Afghan·nes ont faim, certain·es sont même amené·es dans certaines régions reculées à vendre leurs fillettes pour nourrir le reste de la famille.

Nargis est sortie seule de cet enfer dont sa famille reste prisonnière à Kaboul. Les talibans ont tué son père il y a 10 ans et elle s’inquiète beaucoup pour sa mère et ses frères et sœurs cloîtré·es chez eux. Après avoir passé deux jours et une nuit à l’aéroport avec une petite valise, elle a pu être rapatriée par la France qui la savait en danger, comme nombre d’autres femmes engagées dans des carrières professionnelles qui leur sont aujourd’hui interdites. Accueillie en France par des collègues journalistes, elle a aujourd’hui pour ambition de poursuivre ses activités en France tout en défendant la cause des Afghanes. Elle a déjà commencé à apprendre le français. Elle souhaite que la France (et d’autres nations) donnent des visas aux Afghan·es qui le demanderont afin qu’elles/ils puissent se mettre à l’abri des persécutions et du danger de mort que leur font courir les talibans. La plupart des anciens dirigeants du pays se sont réfugiés à l’étranger, l’opposition sur place étant impossible face à l’arbitraire du nouveau régime. Cependant les pays voisins ne sont guère accueillants, l’Iran traite plutôt mal les réfugié·es afghan·es et le Pakistan exige 2500 $ pour un visa…

Comment mettre en œuvre une chaîne de solidarité, ou plutôt de sororité, internationale pour les Afghanes afin de les mettre à l’abri de la barbarie des talibans et les aider à prendre part à la construction d’un autre avenir pour leur pays que celui qu’ils voudraient leur imposer ?

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

 

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