Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages « Bah si c’est une femme, je ne fais pas réparer mon vélo ici »
On va se marrer, Je vais vous raconter une blague pas drôle ! Mais ce n’est qu’une blague alors on peut bien en rire quand même. D’ailleurs si vous ne rigolez c’est sans doute que vous êtes un peu coincé·es. C’est l’histoire d’une jeune femme mécanicienne vélo. Retenez bien tous les adjectifs sinon vous n’allez pas comprendre la blague. Mais en fait, peut-être avez-vous déjà ri avec la première phrase ? Si oui, la suite va vous plaire car vous êtes un·e vrai·e farceuse/farceur ! Allez, on commence avec un classique !
La jeune femme mécanicienne est dans un atelier, en tablier et une clé à la main. Chaque jour des client·es passent et lui demandent la même chose : « Vous êtes la secrétaire ?« . Là on a plutôt affaire à du comique de répétition. De temps en temps la variante « Vous travaillez bien pour une femme » sera remarquée car le juste métier aura été identifié. Faut dire que c’est surprenant aussi, d’habitude c’est aux fourneaux ou avec les mioches qu’on les voit les femmes.
On enchaîne avec une vanne bien imagée. Un jour, dans l’atelier d’un magasin, elle nettoie un dérailleur et un client lui suggère de ne pas frotter trop fort parce que, bon, lui-même s’est déjà frotté toute la nuit. Pour rester dans la métaphore élégante, on appréciera également la version où on conseille à son collègue de formation de monter sur le vélo de la jeune femme. Mais attention, le vélo, pas la jeune femme hein. Vous suivez ? Excellent ! On continue alors ! Il y a aussi des blagues qui sont des bonjours, qu’on lance directement histoire de mettre à l’aise : « Bah si c’est une femme, je ne fais pas réparer mon vélo ici . » ou bien « Et sinon vous n’avez pas un collègue mécanicien ? » ou le court et efficace « Hé la miss !« . Hop hop hop, on vous voit les féminazies : calmez vous, ce ne sont que des blagues, on ne le pense pas vraiment. On vous l’a dit qu’on était féministe en plus, faut se détendre.
Certains jours le blagueur sera séducteur et ajoutera un petit « Vous avez de beaux yeux. Non vraiment » ou un clin d’œil appuyé à son ami qu’il laissera « en bonne compagnie« , charmante remarque qu’il claironnera dans le magasin. Un p’tit compliment ça fait toujours plaisir non ? Et puis, tant qu’à y être, on se permet le tutoiement et le contact physique histoire de bien sympathiser. Le jour des grandes imitations on entendra une voix aiguë et niaise parfois accompagnée de mimiques excessives : oui, bien vu, il s’agit d’une femme ! Hé ho dans le fond, vous êtes prié·es de rire, elle est quand même bien réussie cette imitation, on la trouve même plutôt réaliste. De toute façon « vous vous vexez pour rien » et « depuis #metoo on peut plus rien dire ! » C’est chiant aussi, faut nous comprendre, on a bien le droit de déconner.
A son premier jour de stage, on a dit à la jeune femme mécanicienne vélo : « C’est courageux de bosser en atelier quand on est une femme et qu’on est jeune. » Elle avait alors ri mais, loupé, ça n’allait pas être une blague. De toute façon elle n’a rien compris depuis le début celle-là. Il est où son sens de l’humour ? C’est comme son permis, elle l’a eu dans une pochette surprise ?
Vous l’aurez compris, ceci n’est pas une blague. Toutes les citations et situations ont été vécues. Peut-être êtes-vous surpris·es ? Pourtant chaque jour de chaque semaine de chaque mois de chaque année, les femmes entendent ce genre de blagues. Ces dernières changent en fonction des corps de métier, de l’âge, du contexte, etc. mais derrière les variantes de ces blagues, c’est toujours le même imaginaire qui pointe : il y a un sexe faible et un sexe fort.
La femme est faible. L’homme est fort. Elle est faite pour s’occuper du foyer. Il est fait pour bâtir le monde. Elle sera un objet sexuel disponible. Il sera un sujet disposant. Elle saura rester à sa place. Il saura prendre sa place. Seront également associés au sexe faible, et donc moqué·es, toutes celles et tous ceux qui ne porteront pas fièrement les soi-disant caractéristiques du sexe fort.
Y’en a assez de se faire sans cesse rabaisser au nom de l’humour ; de devoir rire d’être ridiculisé·es de peur de casser l’ambiance ; de se montrer compréhensives/compréhensifs avec les dominants qui ne pensent pas à mal ; d’accepter des mains baladeuses en souriant pour rester poli·es.
Nolwenn Guillaume Le Gall Une meuf pas drôle