Articles récents \ France \ Société Andrée Michel, une féministe antimilitariste et militante anticolonialiste

Née en 1920, Andrée Michel s’est éteinte paisiblement le 8 février à 101 ans. Ayant vu le jour dans une famille traditionnelle, elle s’est très jeune érigée contre les diktats de la religion catholique et du patriarcat, représenté par un père traditionnel et autoritaire bien qu’aimant.

Refusant un avenir tout tracé d’épouse soumise et de mère oblative, elle a d’abord fait des études de philosophie avant de passer un doctorat de sociologie au CNRS en 1959. Sa thèse portait sur la famille, l’industrialisation et le logement. Depuis l’enfance elle ne supportait pas l’injustice et elle l’a combattue toute sa vie à travers ses thèmes de recherche : discriminations, inégalités de classe et de sexe, militarisation et citoyenneté, rapports Nord-Sud et lutte anticolonialist). Elle se penchera tout d’abord sur les conditions de vie indignes des travailleurs algériens dans les foyers et logements vétustes de Montreuil où elle est allée s’installer et où elle vivra presque toute sa vie, avant de soutenir l’indépendance de l’Algérie en intégrant le réseau des « porteurs de valises ».

L’égalité des sexes : le combat de sa vie 

Mais c’est la question du sort des femmes, toujours discriminées de par leur sexe, qui sera au cœur du combat de sa vie. Andrée Michel ne séparera jamais sa recherche de ses activités militantes, les deux devaient contribuer à une amélioration du sort des plus démuni·es. Militante du planning familial et chercheuse au CNRS, elle fonde en 1974 le Groupe d’études sur les rôles des sexes, la famille et le développement humain dans son unité de recherche. En 1972, Andrée Michel écrit Sociologie de la famille et du mariage, et Que sais-je ?  Le Féminisme. Elle y définit le patriarcat comme « un système qui utilise, ouvertement ou de façon plus subtile, tous les mécanismes institutionnels et idéologiques à sa portée (le droit, la politique, l’économie, la morale, la science, la médecine, la mode, la culture, l’éducation, les médias, etc.) afin de reproduire les rapports de domination entre les hommes et les femmes, de même que le capitalisme les utilise pour se perpétuer. »

Première chercheuse en sciences humaines à faire partie du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire, elle s’associe à sa fondatrice Monique Sené pour publier en 1985 l’un de ses textes majeurs sur les rapports entre militarisation et violences faites aux femmes.

À la même époque, elle s’intéresse à la notion de complexe militaro-industriel. « Ce système, en tant que système patriarcal, était tabou. Cela me paraît aberrant de ne pas travailler cette question. Il regroupait des hommes dans des réseaux informels ou officiels, où se prenaient les décisions de production, de vente d’armes et de guerre. Quel est le rôle des femmes là-dedans ? Que font les femmes embauchées dans les usines d’armement ou dans des fonctions prestigieuses du complexe militaro-industriel ? » Dans ces travaux, elle étudie la production de rapports sociaux inégalitaires et l’augmentation de la division sexuelle du travail. Le développement de la culture de guerre a des conséquences directes : prostitution, viols, trafic, pillage des ressources, généralisation des violences contre la population civile… Culture de guerre encore à l’œuvre aujourd’hui comme au Congo ou en Syrie, au Yémen et dans de trop nombreux pays. Culture de guerre soutenue également par tous les pays qui fabriquent et vendent des armes au détriment de populations privées de paix et de développement (accès à l’eau potable, aux soins et à l’éducation, transports, logements, justice…),

Révoltée contre le massacre de Srebrenica, Andrée Michel publie en 1995 Justice et vérité pour la Bosnie-Herzégovine. Elle y définit les enjeux d’un conflit où les génocidaires sont assurés de l’impunité grâce aux mensonges et aux droits du plus fort. Elle publie la même année Surarmement, pouvoir, démocratie, ouvrage dans lequel elle démontre comment le système patriarcal, à travers les notions de « sécurité » et de « défense nationale » qui justifient la production et les ventes d’armes, parvient à opprimer les peuples, tout particulièrement les femmes. Elle publiera un dernier ouvrage en 2012 : Féminisme et antimilitarisme, préfacé par Jules Falquet.

Dans notre époque où le masculinisme se rengorge et le bruit des bottes se fait entendre, les travaux d’Andrée Michel sont d’une actualité qui nous engage à les (re)lire et à les méditer afin d’interpeller nos politiques sur ces questions qui sont loin d’être annexes. La « dissuasion nucléaire » capte à son profit 72,9 milliards de dollars par an dans le monde. La France pour sa part dépense 4 milliards d’€ par an, soit 11 415 € par minute pour son arsenal nucléaire, et continue de s’opposer à la mise en œuvre du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Cette somme permettrait d’installer des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et d’embaucher des milliers d’infirmières, d’aides-soignantes et de médecins, ou de faire d’autres choix concernant l’éducation (à l’égalité) ou l’environnement…

L’intelligence, l’humanité et le charisme d’Andrée vont nous manquer, sachons nous montrer digne de son héritage et faisons vivre son matrimoine !

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

Photo © Marie-Hélène Le Ny

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