Articles récents \ Monde \ Amérique du Nord Il y a 30 ans, un féminicide de masse à Montréal

Il y a 30 ans, le Québec assistait à un féminicide de masse. Le 6 décembre 1989, Marc Lépine est entré à l’école Polytechnique de Montréal pour tuer des femmes. En 20 minutes, il a abattu des étudiantes en criant « Je hais les féministes ! » puis a retourné l’arme contre lui. 14 jeunes femmes décèdent, 13 sont blessées et 2 survivantes se suicideront dans les mois suivants. Certains parents et compagnons, sombrant dans la dépression, se donneront également la mort quelques années plus tard. Marc Lépine, 25 ans, était étudiant lui-aussi à l’école polytechnique. Enfant maltraité par son père, il grandit avec des troubles psychiques et tombe dans le masculinisme. Ce mouvement allie le puceau frustré au vieux misogyne conservateur en passant par des pères déchus de leur paternité ou des hommes battus, tous en accord pour préserver un ordre social traditionnel, fondé sur des idées préconçues assignant les femmes à leur genre.

Une question se pose : en France ? Combien de Marc Lépine en puissance ? Sous le gouvernement Macron, 600 femmes ont été assassinées de la main de leur ex-conjoint ou mari. Sous la présidence de Hollande, Sarkozy, Chirac… Ce chiffre est plus au moins semblable. Certes, ce type de meurtre est individuel et non collectif. Cependant, il existe des similitudes dans le profil de ces assassins : une faible estime des femmes et une immaturité émotionnelle. Toujours est-il que ces maris ou ex-conjoints tuent toujours de sang-froid et démontrent rarement d’empathie pour l’acte commis.

Dans notre paysage socio-éco-politique, des misogynes primaires continuent de minimiser voire de nier les violences faites des femmes : ils méprisent et raillent les femmes qui exigent l’égalité des droits, certains les traitent d’hystériques, d’autres les accusent de vouloir déclencher la guerre des sexes ou estiment que ces féministes ont déjà tout obtenu et ne leur laissent plus de place. Derniers soubresauts d’un patriarcat à l’agonie ? Volonté d’émoustiller les quelques neurones des Slipards (contraction de slip et de connard) en guise de pseudo solidarité masculine ?

Marie-Soeurette Mathieu : « Je vous salue les yeux ornés d’une dentelle de sanglots »

Marie-Soeurette Mathieu, née à Haïti dans une famille modeste de 13 enfants, a composé un poème en hommage aux victimes de la tuerie du 6 décembre 1989. Installée au Québec, Marie-Sœurette enseignante, sociologue et journaliste, est également autrice et poétesse.

Vous êtes née à Haïti et vous vous êtes installée au Québec. Quel est votre regard sur l’évolution de la place des femmes quand on vient d’un pays comme Haïti ?

En Haïti, les femmes ont une place importante dans les familles. On les appelle les ‘’poto mitans’ ’ce qui signifie le pilier de support de la famille. Ma vie de femme je l’ai vécue en Amérique du Nord, les États-Unis, le Canada en tant que mère, épouse et sociologue. C’est à ce modèle de vie de femme que je m’identifie. Les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes sans discriminations. Leurs seules différences sont physiologiques. Au Québec, j’ai appuyé, dans le cadre de mon travail, le mouvement de l’équité salariale.

Pourquoi avoir composé un poème en hommage aux victimes de la tuerie de 1989 ?

La tuerie des 14 femmes à l’Ecole Polytechnique de Montréal en 1989 m’a beaucoup ébranlée. Elle a été orchestrée par un meurtrier qui ne supportait pas l’idée de voir des femmes à des postes de haut niveau. En ciblant des étudiantes de Polytechnique, l’assassin savait qu’à la fin de leurs études, elles accéderaient à des postes importants. Le poème que j’ai composé en cette circonstance, traduit autant mon admiration pour ces femmes que la douleur de les avoir perdues. Cette tuerie m’avait énormément touchée. J’ai composé un petit poème qui a été diffusé par la Société littéraire de Laval.

Le Québec a mis en place des politiques contre les violences faites aux femmes. Y-a-t-il eu un changement dans les mentalités ?

Au Québec les violences faites aux femmes ont été nombreuses en 2021 en raison de la pandémie. Le gouvernement a augmenté les fonds pour l’hébergement de femmes victimes de violences conjugales et a lancé des campagnes contre les violences faite aux femmes. On espère que 2022 sera une année plus favorable aux femmes.

En tant que sociologue, que faudrait-il faire pour endiguer les violences de certains qui ternissent l’image de l’homme ?

Souvent ce profil d’hommes a acquis cette violence à travers leur éducation : parents violents ou toxicomanes. Il faudrait remédier à cela par des cours dans le système scolaire pour les adolescentes. Pratiquer un sport pour les jeunes sert aussi à déverser leur violence. La tendance à la violence peut se détecter dès l’école primaire. Les jeunes identifiés devraient être suivis par un psychologue.

En hommage aux 14 victimes, ce poème de Marie-Sœurette Mathieu a été exposé et lu lors du Café littéraire de l’Assemblement, coproduit par la Société littéraire de Laval.

Salut

Je vous salue de loin
agitant mon foulard de crêpe
piqué de perles argentées

Je vous salue les mains enfouies
dans des mitaines de satin rose
et de flocons d’étoile

Je vous salue vêtue de noir
avec tout l’étonnement
de mes rêves d’antan

Je vous salue les yeux ornés
d’une dentelle de sanglots
sur une nuée de confettis

Je vous salue femmes arc-en-ciel
les pas tremblants
par une nuit prématurée

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

print