Articles récents \ Culture \ Livres Gérard Biard : « les droits des femmes, une thématique que Charlie Hebdo a toujours traité »

Gérard Biard est le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, également co-fondateur et porte-parole de Zéromacho. Il parle de « Charlie Hebdo libère les femmes / un demi-siècle d’articles et de dessins sur les droits des femmes ». Ce livre de plus de 300 pages retrace l’implication de Charlie Hebdo sur l’égalité femmes/hommes avec nombre de dessins et d’articles.

Qui a eu l’idée de ce beau livre ?

Il est né d’une idée plus globale. Nous voulions faire, pour les 50 ans du journal, un seul gros livre en chapitrant les grandes thématiques qu’a abordé Charlie Hebdo tout au long de son histoire et qui constituent sa colonne vertébrale éditoriale. Donc, il y a évidemment la liberté d’expression, les droits des femmes, l’écologie… En piochant dans les archives et en rassemblant des textes et des dessins, des Unes, des reportages, etc., nous nous sommes retrouvé·es avec une quantité incroyable de documents. Du coup, nous nous sommes dit que nous allions faire plusieurs bouquins.

En 2020, nous avons sorti un gros bouquin sur la liberté d’expression, 50 ans de liberté d’expression dans Charlie. Et en 2021, nous avons décidé de faire la même chose avec les droits des femmes, une thématique que Charlie hebdo a toujours traité, depuis le début. Ce qui est logique, d’ailleurs, parce que Charlie Hebdo et le MLF sont pratiquement nés en même temps ! C’étaient des sujets de société dont on débattait à l’époque. Les droits des femmes, et notamment les droits reproductifs, faisaient partie des débats des années 70. Et donc Charlie, ce journal de mecs, participait à ce débat là ! Nous nous sommes aperçue·s aussi que l’ancien Charlie Hebdo, qui avait une réputation de journal de machos… eh bien, en fait, ne l’était pas. Quand on lit les papiers, quand on regarde bien les dessins, on s’aperçoit que ce n’était pas un journal machiste.

Il avait un regard qui était celui d’une époque. Quand on s’amuse à relire les médias de ces années-là, on ne peut pas dire que c’étaient des repères de féministes… Donc Charlie avait tout simplement le regard de son époque, mais il s’intéressait à ce sujet de société, profondément politique, qu’est le féminisme, et il le faisait d’une façon humaniste. Parce que, fondamentalement, Charlie est un journal satirique, politique, de déconnade, mais c’est d’abord un journal humaniste et universaliste. Donc les droits des femmes ne pouvaient qu’être au cœur de sa ligne éditoriale.

Nous nous sommes aussi rendu·es compte que certaines questions qui ne semblent surgir qu’aujourd’hui ou seulement depuis quelques années, étaient en fait déjà abordées à l’époque. La question de l’égalité salariale, par exemple, était déjà dans les débats. Ce n’est pas ce qu’on retient le plus, parce qu’on retient essentiellement les victoires. On retient donc le droit à l’avortement… Mais les mouvements féministes se battaient déjà à l’époque pour les droits salariaux. Et toutes ces questions apparaissent évidemment dans les dessins et dans les textes de Charlie.

En cela, c’est un livre historique, parce qu’il rend compte de 50 ans de thématiques féministes et de leur évolution au sein de la société, avec le regard particulier de Charlie, qui évolue aussi. La rédaction de l’époque et la société dans laquelle elle s’insérait n’étaient pas la même, par exemple, que celle des années 90, quand Charlie est reparu sous la direction de Philippe Val et Cabu. C’est à ce moment que j’arrive au journal, en 1992, quand il s’est refondé. Je me souviens très bien que la volonté de Philippe était de féminiser la rédaction, de casser cette image de « bande de mecs ». Pour avoir été, comme moi, lecteur du journal des années 70, il savait très bien que cette réputation était peut-être un peu déformée. On confond souvent Charlie et Hara-Kiri. L’âme de Charlie, c’était Cavanna. L’âme de Hara-Kiri, c’était plus Choron, avec un côté beaucoup plus gras, on va dire, et violent. Cavanna faisait un journal politique. Évidemment qu’il y avait de la déconne, parce que c’était un journal satirique ! Seulement, même si au départ, avant qu’il ne s’appelle Charlie Hebdo, il s’appelait l’Hebdo Hara Kiri, c’était l’hebdo ! Pas le mensuel.

Quand Charlie est réapparu en 92, la société était différente. Et le Charlie de 92 n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Parce que les thèmes de société changent, parce que les gens qui le font changent aussi.

Aujourd’hui, la parité existe-t-elle au sein de la rédaction ?

On n’obéit pas à un souci de parité. C’est d’abord un journal d’idées composé des gens qui apportent ces idées. C’est aussi, certains diront surtout, un journal de dessinatrices et de dessinateurs. Et il y a malheureusement, même si ça change un petit peu, assez peu de dessinatrices de presse. Beaucoup de jeunes dessinatrices, comme de jeunes dessinateurs, d’ailleurs, vont vers la bande dessinée. C’est ce qu’elles/ils préfèrent. Il faut vraiment avoir un regard particulier pour faire du dessin de presse. Il faut suivre au millimètre l’actualité, il faut savoir prendre un certain recul, il faut avoir une solide culture générale, pour jongler avec les références. Ça demande un background particulier que beaucoup de jeunes dessinatrices et dessinateurs n’ont pas, ou ne veulent pas avoir. Donc nous avons deux dessinatrices : Coco, qui dessine aussi pour Libé, et Alice. Il y avait aussi Catherine, qui a choisi de partir après 2015…

En revanche, on constate que, comme la profession des journalistes se féminise de plus en plus, eh bien la majorité des journalistes sont des femmes. Je me rappelle que, dans les années 2000-2005, dans le bureau des rédacteurs, rue de Turbigo, si on applique le pluriel à la majorité, c’était le bureau des rédactrices ! Parce qu’on était deux mecs, Antonio Fischetti et moi. Toutes les autres journalistes étaient des femmes. Et Charlie n’est pas différent des autres journaux.

Et il y a le fait aussi que Charlie est un journal de débats, et de débats internes. Donc on voit les positions changer, parce que quand nous débattons, cela nous amène à réfléchir. Ainsi, des gens qui ont des positions tranchées à un moment peuvent y revenir, peuvent changer. C’est le cas notamment sur la question de la prostitution. J’anticipe la question, il n’y a pas de position officielle du journal, parce qu’on n’a pas à en avoir : il y a toujours dans la rédaction des gens qui sont réglementaristes et d’autres abolitionnistes. Mais d’une manière générale, la majorité est plutôt abolitionniste. Quand la loi d’abolition de la prostitution a été votée en 2016, nous avons eu un débat interne que nous avions d’ailleurs publié. Je connaissais la position de certain·es, mais j’avais été surpris au cours du débat de voir que beaucoup plus de gens que je ne pensais, au fond, était abolitionnistes. Et l’exprimaient. D’ailleurs, quand on relit le débat, il semble un peu déséquilibré, parce qu’on a l’impression par moment que ceux qui sont réglementaristes sont un petit peu acculés dans un coin de la salle de rédac’, sous le feu des autres… Et ce n’était pas du tout prémédité. C’est d’ailleurs un débat qui continue toujours. Mais je pense qu’il est plus ou moins réglé.

Vous faites pas mal de dessins sur les violences faites aux femmes !

Oui, c’est quelque chose qui est devenu un vrai débat de société. Et c’est tant mieux ! Nous sommes d’abord un journal de commentaires. Nous commentons l’actualité et les idées. Nous essayons aussi de produire des idées mais, avant toute chose, nous suivons les débats publics. Il n’y a donc aucune raison pour que nous ne parlions pas des violences faites aux femmes. Sur ces questions, nous sommes un journal comme les autres. C’est la manière dont nous les traitons qui est différente, beaucoup plus frontale.

Encore une fois, la question des droits des femmes a toujours été dans Charlie, tout au long de son histoire. Et nous continuons. Et c’est vrai que nous avons aujourd’hui des journalistes qui sont des militantes féministes. Nous n’avons pas, dans la rédaction, de militant·es politiques revendiqué·es. Les seul·es membres du journal qui peuvent afficher ouvertement un militantisme, sont les militant·es féministes, écologistes, et les militant·es de la cause animale.

Etes-vous pro IVG depuis toujours ? Qui a engrossé les 343 salopes en est-il un exemple ?

Oui. C’était le manifeste de l’Obs. Ce qui est drôle, c’est qu’on a d’avantage retenu le détournement et le commentaire qu’avait fait Charlie à travers la bouche de Debré, parce que c’est lui qui dit « qui a engrossé les 343 salopes ? »,  et c’est devenu le manifeste des 343 salopes ! Alors qu’au départ, c’était le manifeste des 343. Ce qui montre que Charlie avait tapé juste.

Vous parlez aussi de l’égalité professionnelle dans Charlie Hebdo

C’est un sujet assez technique. Une fois qu’on a dit « à travail égal, salaire égal », il faut avoir un bagage économique pour avancer des arguments, et démontrer que c’est vers ça qu’une société doit aller. C’est une question que Bernard Maris a traité, dans le cadre de la rubrique économique. Et nous la traitons toujours aujourd’hui dans ce cadre là. Je pense d’ailleurs que c’est compliqué pour les militantes qui portent ce sujet là, parce que, précisément, c’est un sujet économique., donc qui peut apparaître fastidieux pour le public. C’est plus facile de porter la question des violences. D’autant que le viol, le harcèlement sexuel et psychologique, même si on faisait semblant de pas les voir avant, il devient évidement, depuis la multiplication des Metoo ceci et Metoo cela, que ça touche tout le monde et tous les milieux. L’hypocrisie, c’est qu’on fait mine de le découvrir. Les violeurs et les harceleurs, ça ne se limite pas aux gros porcs comme Weinstein… On en trouve dans tous les milieux sociaux, dans tous les secteurs d’activité.

Propos recueillis par Camille Goasduff et Caroline Flepp 50-50 Magazine

Charlie Hebdo libère les femmes un demi-siècle d’articles et de dessins sur les droits des femmes Ed Les Echappés. 2021

print