Articles récents \ Monde \ Europe Sacha Koulaeva accepte d’être « traîtresse à la patrie »

Le 17 mars dernier, le Club Femmes Ici et Ailleurs organisait une conférence au cours de laquelle Sacha Koulaeva, une militante russe, répondait aux questions de Pierre-Yves Ginet, co-rédacteur en chef du magazine Femmes Ici et Ailleurs, au sujet de la guerre en Ukraine. La rencontre a pu donner une idée de ce que les Russes savent vraiment de la guerre et sur ce qui arrive aux Russes qui ne se satisfont pas du statu quo donné par leur gouvernement. 

Sacha Koulaeva nous a livré un témoignage aussi touchant que tragique. Le jour de la conférence, elle a manifesté sur la place où elle manifestait déjà avec sa fille en poussette. Elle a aujourd’hui 19 ans. Pour Sacha Koulaeva, rien n’a vraiment changé. C’est toujours la même place et les mêmes slogans contre le même Poutine. Quand il a été élu, elle chantait déjà “Poutine assassin !” avec ses sœurs russes. Mais ce n’est que maintenant, 20 ans plus tard, que les occidentaux / occidentales chantent avec elle. Il n’est pourtant pas un criminel que depuis le 24 février, elle rappelle qu’il a montré son vrai visage bien avant cette guerre. Notamment avec la Tchétchénie et la Crimée. Rien n’est nouveau mais les Européen·nes ont préféré le tolérer jusqu’à ce que la guerre arrive à leurs frontières. Ce qui lui laisse un sentiment amère. Elle raconte qu’avant que l’Union Européenne ne se sente concernée, elle s’est contentée d’être “préoccupée” par ses actions. Ce mot, pour Sacha, est le symbole de la lâcheté de l’occident. 

Une propagande organisée 

En Europe, nous sommes habitué·es à voir les mêmes images de guerre avec les tanks, les bombardements et les rues jonchées de corps passer en boucle. Mais en Russie la réalité est toute autre. Les télévisions ne diffusent que des images de propagande. La propagande, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est même pas “on fait la guerre pour de bonnes raisons” mais simplement “il n’y a pas de guerre”. Le gouvernement passe même des vidéos d’avant guerre, des villes qui sont aujourd’hui en ruines, comme si tous les bâtiments étaient encore debout et comme si la population y vivait encore. D’ailleurs, le mot guerre est devenu illégal dans les médias. Quiconque disant que la Russie est en guerre risque jusqu’à 15 ans de prison. La propagande russe diffuse aussi des images du parti d’extrême-droite ukrainien tabassant des personnes de couleur en sous entendant que tous les Ukrainien·nes sont des racistes pour insuffler un sentiment de haine envers la population dans son entièreté. A moins d’être équipé·e d’un VPN (1) et donc de s’y connaître en informatique, il est impossible de connaître la vérité. En effet, tous les réseaux sociaux tels que Instagram, Facebook, LinkedIn, Twitter sont devenus des sites inaccessibles. Ils sont considérés comme « extrémistes » et sont donc interdits. En plus des restrictions imposées par Vladimir Poutine, des grandes entreprises telles que Google ont décidé de retirer leurs offres de la Russie en tant que sanction mais ceci est contreproductif car comme l’explique Sacha, quand on n’a plus de réseaux sociaux, Google Sheet peut devenir un substitut de messenger où on peut laisser des messages discrètement. L’information trouve des moyens de circuler, même là où on s’y attend le moins. C’est pourquoi les entreprises peuvent agir, mais il faut qu’elles le fassent intelligemment. 

La résistance face au mur

La Russie n’a jamais vraiment connu la démocratie et il y a un certain traumatisme intergénérationnel qui s’est installé. La propagande et la censure ont toujours eu une place dans le pays mais avec les derniers événements, tout s’est accéléré très vite. Celles / ceux qui parviennent à avoir accès aux informations ont trois options: fermer les yeux, fuir ou participer à la force anti-guerre en Russie. Pour ce qui est de la fuite, ce sont déjà environ 250 000 russes dont 600 journalistes qui ont quitté le pays. Poutine estime que leur départ “purifie la nation” puisque ce sont des “traîtres à la patrie” selon lui. Sacha accepte d’être « traitresse à la patrie » en nous racontant que c’est « un réel honneur”. Elle explique qu’il est inutile de préparer une pancarte car les manifestant·es n’auront bien souvent pas le temps de la dérouler avant de se faire embarquer par la police. Des choses aussi banales comme le fait de sortir avec une feuille blanche dans les mains ou d’être habillé·e aux couleurs de l’Ukraine peuvent aussi suffire pour être arrêté·es

La militante russe a parlé de la courageuse Marina Ovsiannikova, qui a interrompu le journal télévisé du canal 1 avec la pancarte “On vous ment. Il y a une guerre”. La journaliste a été jugée et a écopé d’une lourde amende, ce qui aurait pu laisser espérer que ça s’arrête là, mais en réalité le plus dur reste à venir pour elle puisqu’elle va maintenant devoir affronter la poursuite pénale, qui pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes. Sacha Koulaeva explique qu’il ne faut pas arrêter de s’intéresser à son histoire ou oublier son nom. C’est maintenant qu’elle va le plus avoir besoin de soutien. Beaucoup ont été surpris de la voir libre mais Sacha Koulaeva nous rappelle que c’est un cas particulier. Poutine a jeté l’éponge pour ce qui est de sa réputation à l’internationale, il est déjà détesté de tous·tes et rien ne peut changer ça. En revanche, pour ce qui est de son image en interne, il lui faut conserver les apparences. Marina Ovsiannikova a été vue en live en Russie donc Poutine doit se montrer dur mais juste à la fois. Il faut presque faire passer le message « elle doit être punie mais on ne va pas la tuer non plus ! »

De nombreuses autres opposantes n’ont pas eu droit à cette clémence. Des femmes ont été arrêtées pour des actes bien moins graves et ont été condamnées à des peines de prison. Généralement après ça, elles font appel, sans avoir aucun espoir que la décision de justice ne change, pour gagner un peu de temps et quitter le pays à ce moment-là, c’est souvent la dernière fenêtre pour s’exiler. 

Appel à l’aide pour les Ukrainien·nes

Les questions à la fin de la rencontre sont axées sur ce qu’on peut faire, en tant qu’Occidentales / Occidentaux. Sacha Koulaeva appelle à continuer à diffuser l’information et à faire du bénévolat. Elle raconte les actes de nombreux·ses Européen·nes qui se retrouvent dans les gares pour accueillir les réfugié·es et les aider à s’orienter dans cette nouvelle réalité. D’autres font des voyages en voiture pour aller chercher des familles de Pologne pour alléger la pression que subit le pays. Et encore d’autres vont jusqu’à ouvrir leurs portes à ces inconnu·es pour leur donner un toit. Elle recommande de se rapprocher d’organisations locales ou de sa mairie pour proposer son aide, peu importe la forme qu’elle puisse prendre.

Elle finit son intervention en soulignant une dernière fois que les féministes et humanistes russes sont avec les Ukranien·nes mais aussi avec les Russes, qui ne sont, en fin de compte, que des victimes supplémentaires à la folie de Poutine. Elle appelle aussi à la vigilance contre la russophobie qui semble gagner en popularité depuis les dernières semaines.

Eva Mordacq 50-50 Magazine

(1) Virtual Private Network : c’est un outil informatique permettant de faire croire au serveur de son appareil qu’on est dans un autre pays, ce qui donne accès à des contenus qui sont restreints dans la zone géographique où on se trouve réellement.

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