Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Mathilde Cornette : « Notre mission principale est l’accompagnement des victimes de violences sexuelles au travail »

Mathilde Cornette, juriste pour l’Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT),  témoigne sur l’association et sur ses missions. Dédiée aux violences faites aux femmes dans le milieu du travail, l’AVFT accompagne les victimes juridiquement et judiciairement

L’Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail va avoir 37 ans cette année, ce qui est plutôt vieux quand on considère l’éventail des associations féministes qui existent aujourd’hui en France. Elle a été créée en 1985 par trois femmes. Une sociologue féministe et chercheuse au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Marie-Victoire Louis, qui a été présidente de l’association pendant un long moment et Yvette Fuillet.

L’association a été créée parce qu’il n’existait pas de loi réprimant le harcèlement sexuel. La première action de l’AVFT c’était donc une action de plaidoyer politique et législatif pour que dans le code pénal soit intégré la première loi qui réprime le harcèlement sexuel en France. 

Aujourd’hui, l’AVFT se compose de cinq femmes juristes, y compris Marilyn Baldeck, notre déléguée générale, ainsi qu’une chargée de formation. Nous avons une compétence nationale, nous accompagnons toutes les femmes qui nous saisissent. C’est la seule association investie dans les violences sexuelles au travail. 

Les missions 

La première loi a été votée en 1992, après un combat de sept ans. Elle n’était pas satisfaisante donc il y a eu plusieurs modifications de la définition du harcèlement sexuel, et à chaque fois l’AVFT était présente pour livrer son expertise et proposer une nouvelle rédaction du délit. En 2012, la dernière importante modification législative en la matière, a été faite en pourparlers avec Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem. Cette action de plaidoyer législatif et politique est vraiment un fil rouge dans l’action de l’AVFT.

Notre mission principale reste cependant l’accompagnement des victimes de violences sexuelles au travail. L’AVFT est compétente en matière de violences sexuelles au travail, ce qui veut dire harcèlement sexuel, agression sexuelle, exhibition sexuelle et viol. Quand on parle de violences au travail, on estime la sphère du travail comme relativement large. Évidemment il y a les salariées du privé, les agentes de la fonction publique contractuelles ou titulaires, mais nous sommes aussi compétentes pour les étudiantes, parce que nous estimons qu’elles sont en situation de travail. Les violences sexuelles dans l’enseignement supérieur sont absolument massives, donc il est important que nous soyons à leur écoute. Les étudiantes sont dans situation de précarité et de vulnérabilité particulières, financièrement mais aussi du fait de leur âge, des différences de statuts hiérarchiques et sociaux, des enjeux liés à l’obtention d’un diplôme… Il est important qu’elles puissent bénéficier d’un accompagnement juridique concret et adapté. Nous accompagnons aussi les patientes de médecins, certes elles ne sont pas en situation de travail, mais eux oui. C’est une sphère dans laquelle il y a énormément de violences sexuelles, à cause du statut social, du rapport au corps etc. Nous sommes aussi compétentes en ce qui concerne le harcèlement moral, mais seulement s’il est concomitant à des violences sexuelles. L’AVFT propose exclusivement un accompagnement juridique et judiciaire.

La troisième mission de l’AVFT est une mission de formation. Depuis plusieurs années, les obligations des employeur·es en la matière sont décuplées. Elles/ils doivent désormais mettre en place des formations dans leur entreprise, ce qui fait que la demande a augmenté. Nous proposons des actions de formation et de sensibilisation, parce que nous estimons pouvoir transmettre des contenus théoriques mais aussi, et surtout, pratique. Nous avons des dossiers concrets sur lesquels nous pouvons nous appuyer.

La prise en charge des victimes 

En général, les victimes contactent l’AVFT assez tard. Elles ont déjà essayé d’alerter leurs supérieur·es ou les syndicats sur les violences sexuelles subies. Certaines ont déjà vu des docteur·es, des psychologues. Il est rare que nous soyons saisies au tout début d’un dossier, même si cela semble être de plus en plus le cas depuis quelques années, et c’est tant mieux.  Elles sont parfois encore dans l’entreprise, donc on peut discuter d’un départ correct, c’est-à- dire non pas une démission, mais plutôt passer par un licenciement pour inaptitude qui, notamment, leur ouvre droit au chômage. C’est la médecine du travail qui constate que les violences sexuelles et les manquements de leur employeur.e ont entrainé une telle dégradation de leur état de santé, physique et/ou mental, qu’il ne leur est plus possible d’exercer leurs missions dans leur entreprise.

À l’AVFT, en matière de violences sexistes et sexuelles, la quasi-totalité des victimes sont des femmes, et il en va de même lorsqu’on se trouve dans la sphère professionnelle. Les quelques hommes qui font appel à nous ont toujours été victimes d’autres hommes. Bien que cela existe, nous n’avons jamais reçu d’hommes victimes de violences sexuelles par une femme.

Souvent, l’employeur·e et l’entourage incitent à porter plainte. Il arrive que les employeur·es incitent à porter plainte, sous prétexte qu’elles/ils ne pourront pas agir sans, ce qui est faux. C’est même une violation de leurs obligations légales, parce qu’elles/ils doivent réagir et non pas attendre qu’une plainte soit déposée. Ces femmes n’ont parfois pas envie d’aller dans un commissariat, en sachant très bien comment elles y seront reçues si elles viennent pour violences sexuelles. Dans cette situation l’AVFT est là pour accompagner et pour confirmer qu’elles peuvent très bien dénoncer les violences au sein de l’entreprise, sans forcément passer par le côté pénal.

Les dossiers de l’AVFT diffèrent avec ceux des violences sexuelles subies dans la rue par exemple. Au travail, nous constatons que la plupart des agresseurs agissent non pas en utilisant de la violence physique ou des menaces, mais en contraignant moralement les femmes. La dépendance économique intrinsèque au travail joue donc un rôle prédominant : les femmes savent que se défendre peut les exposer à des représailles professionnelles, voire une perte d’emploi. Les marges de manœuvres sont considérablement réduites pour se sortir de la situation de violences. Nous remarquons que ce que les salariées et agentes souhaitent préserver avant tout, c’est leur emploi.

Les femmes qui nous saisissent passent par notre accueil téléphonique, ouvert trois demi- journées par semaine, et qui est tenu par l’une d’entre nous. On commence un entretien téléphonique, qu’on appelle un premier appel, et qui va durer en moyenne une heure, parfois deux. Ce temps est absolument nécessaire pour creuser et pour pouvoir qualifier juridiquement ce qu’elles ont subi, ce qui est la première étape pour ensuite savoir quelle démarche et quelle stratégie leur conseiller. S’en suit un suivi par mail ou par téléphone, mais à distance pour la plupart d’entre elles. Ce qui n’était pas le cas avant MeeToo, puisqu’il y avait beaucoup moins de saisies de l’AVFT, et il était donc possible de recevoir les femmes en physique. Avec en moyenne un nouveau dossier par jour, on ne peut plus fonctionner de la sorte.

Il arrive parfois que l’on puisse les rencontrer physiquement, lors d’entretiens de trois heures en moyenne. À partir de là, pour ces dossiers, l’AVFT va intervenir dans les procédures. Les associations peuvent intervenir dans les procédures en tant que partie intervenante. L’AVFT a, depuis sa création, toujours exercé ce droit et en a fait un marqueur de son identité. Nous exploitons cette possibilité dans les procédures judiciaires, qu’elles soient engagées devant le Conseil de prud’hommes ou le tribunal administratif mais aussi pénal. On va se constituer partie civile à leurs côtés, elles ont leurs avocat·es, elles sont parties principales, et l’AVFT vient en supplément, en soutien. Grâce à leur présence, l’AVFT a pu obtenir de nombreuses avancées jurisprudentielles depuis le début.

Nos formations

Les formations peuvent prendre la forme de sensibilisation, soit sur des demi-journées, soit des formations d’un jour. Nous abordons les violences sexuelles en tant que telles, les définitions juridiques. Nous utilisons des techniques pédagogiques qui permettent d’interagir pleinement sur ces sujets, qui favorisent le débat et les questionnements, sans toutefois tomber dans une dynamique ludique qui ne serait pas à propos lorsque l’on aborde la thématique des violences sexuelles.

Nous parlons aussi de dossiers très concrets et nous abordons les preuves de violences sexuelles. On entend partout que c’est parole contre parole, ce qui est juridiquement faux. Nous parlons de dossier contre dossier parce que les victimes rapportent des éléments de preuve. Enfin, nous abordons les obligations de l’employeur·e en matière de violences sexuelles au travail. C’est la responsabilité de l’employeur·e de maintenir la santé et la sécurité de ses employé·es. Ces formations sont menées dans des syndicats, des entreprises privées ou encore des administrations publiques.

Nous avons été sélectionnées par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui subventionne la plupart des films en France mais aussi des jeux vidéo. Le CNC et le ministère de la Culture ont conditionné l’octroi des subventions : si une société de production de films ou de jeux vidéo souhaite obtenir une subvention pour une œuvre, elle doit justifier avoir préalablement, par le biais de sa/son dirigeant·e, suivi la sensibilisation sur les violences sexistes et sexuelles au travail dispensée par l’AVFT. C’est donc la deuxième année que nous formons toutes les boîtes de production en matière de cinéma et de jeux vidéo.

Le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) souhaite également mettre en place des formations pour lesquelles nous allons former les dirigeant·es des compagnies de spectacles vivants (le théâtre, la danse, le cirque, le spectacle de rue). C’est aussi le cas du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui souhaite mettre en place des formations auxquelles toutes les universités et écoles supérieures de France pourront assister gratuitement.

Témoignage recueilli par Morgane Irsuti 50-50 Magazine 

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