Articles récents \ Culture \ Arts Émilie Delorme : « Au Conservatoire, on doit encore progresser, mais je ne vais pas lâcher »

Directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Émilie Delorme témoigne sur sa nomination et sur l’évolution des établissements culturels en matière de mixité. Si le progrès est visible, il reste encore du travail pour parvenir à plus de candidatures féminines. 

Quel est votre parcours ? 

J’ai fait des études d’ingénieur·e en parallèle de mes études au conservatoire régional. Au terme de ces études, j’ai passé quelque temps au sein d’une banque de marché où je travaillais sur la question du passage à l’euro. Je ne suis pas restée très longtemps car j’ai toujours souhaité travailler dans l’environnement culturel. 

J’ai rejoint le Festival d’Aix-en-Provence durant trois ans, puis le Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles pendant cinq ans, avant de revenir au Festival d’Aix-en-Provence pour diriger l’Académie. 

Comment avez-vous obtenu ce poste ? 

J’ai été nommée par le ministre de la Culture, qui à l’époque de ma nomination était Franck Riester. À l’issue des publications d’appels à candidature, le ministère estimait, à juste titre, qu’il y avait très peu de candidatures féminines. S’en est donc suivie une procédure active de recherche et c’est dans ce cadre que le ministère m’a contactée pour que je me porte candidate. Par la suite, un processus de recrutement a mené à ma nomination par le ministre.

Y a-t-il eu des réactions sur le fait que vous soyez une femme à ce poste ? 

Au sein du Conservatoire, je n’ai pas l’impression que cela ait été un sujet. En revanche, le fait que je sois une femme faisait que, face à moi, certains se justifiaient tout de suite sur des questions d’égalité ou de parité. Ma nomination a aussi amené à questionner la place des femmes dans certains postes. Si une femme peut obtenir le poste de directrice, elle doit pouvoir trouver sa place dans d’autres postes, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Y a-t-il eu une évolution au sein du Conservatoire depuis votre arrivée ? 

Nous avons constaté une évolution sur certains aspects, mais il est important de noter que le Conservatoire était déjà actif sur ces sujets de parité et d’égalité. L’établissement possédait déjà le label égalité AFNOR avant mon arrivée. 

Il y a des domaines dans lesquels nous progressons, notamment la question de la parité au sein des jurys. En tant que directrice de cet établissement, j’ai la possibilité de présider l’ensemble des jurys, ce qui favorise leur mixité. 

Pourtant, nous trouvons encore parfois des jurys entièrement masculins. J’ai récemment encore présidé un jury d’examen lors duquel j’étais la seule femme présente. Nous savons qu’au sein de certaines disciplines, il est difficile d’obtenir l’égalité. Nous progressons sur un certain nombre de sujets, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Parmi les nominations que j’ai pu faire, il y a notamment la directrice adjointe du Conservatoire : nous sommes donc un binôme de femmes à la tête de l’établissement. 

Il reste encore de nombreux postes pour lesquels j’aimerais voir davantage de femmes nommées, ce qui pour l’instant n’est pas si évident. Nous avons un certain nombre de postes d’enseignant·es à pourvoir et pour certains d’entre eux je ne reçois aucune candidature féminine, j’essaie donc d’y travailler. Ce travail fonctionne à certains endroits et à d’autres non, ce qui veut dire que je dois encore progresser. Mais je ne vais pas lâcher, car c’est un travail à très long terme. 

D’où vient ce manque de candidatures ? 

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, certaines femmes m’ont témoigné du fait que leur passage par cet établissement avait été un traumatisme pour elles et qu’elles n’ont donc pas forcément envie d’y revenir. Ces témoignages nous invitent à travailler l’inclusivité de cet établissement pour que chacun et chacune puisse s’y sentir bien. 

Ensuite, il est important de rappeler que le Conservatoire est perçu comme un établissement de grande excellence. Les candidats enseignant·es doivent passer des épreuves pédagogiques devant un jury, épreuves très exigeantes et qui peuvent facilement être mal vécues lorsqu’on n’y est pas préparé. Beaucoup de candidat·es se présentent trois ou quatre fois avant d’obtenir un poste.

À ces enjeux existent donc plusieurs solutions : œuvrer pour qu’elles se sentent heureuses dans cette maison, mais également porter une réflexion sur le processus de recrutement et sur ce qui pourrait décourager les femmes. Au sein du département de jazz par exemple, il n’y a actuellement aucune femme parmi les enseignants. Cette année, nous avons créé un nouveau poste de professeur·e de chant pour lequel nous espérons obtenir davantage de candidatures féminines. Je suis certaine qu’avec plus de mixité, elles se sentiront plus à l’aise pour candidater. 

Les femmes sont-elles exclues de la direction du milieu culturel ? 

Toutes les nominations des cinq dernières années à des directions d’opéra en France concernent des hommes. Nous savons pourtant que ce sujet figurait parmi les priorités du quinquennat d’Emmanuel Macron, et que les différentˑes ministres de la Culture ont tous·tes affiché la volonté de changer les choses. Il n’y a actuellement plus que deux femmes directrices d’opéra en France. 

Nous constatons même dans certains endroits, comme cela a été le cas pour les centres chorégraphiques nationaux par exemple, qu’après une phase de progression, la situation pouvait à nouveau se détériorer rapidement. Donc oui, c’est un fait.

Propos recueillis par Morgane Irsuti 50-50 Magazine 

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