Articles récents \ Île de France \ Société Véronique Delepouve : « L’élément déclencheur principal, c’est lorsque le conjoint violent s’en prend aux enfants »

Halte Aide aux Femmes Battues (HAFB) est une association parisienne, reconnue d’intérêt général, membre de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) qui a pour objet de prévenir et de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes, les discriminations de genre, les violences à l’encontre des femmes et la précarité des femmes et de leurs enfants. Véronique Delepouve est la directrice d’HAFB. 

Quel est l’objectif de l’association Halte Aide aux Femmes Battues ?

HAFB est une association engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, créée en 1983 par une militante féministe, Geneviève Devèze qui fut la première, à Paris, à dénoncer la violence conjugale comme phénomène différent de la mésentente conjugale et nécessitant une aide spécifique. Passant du constat à l’action, le Foyer Louise Labé ouvre en 1985. Il est agréé en qualité de CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) afin d’accueillir et héberger des femmes victimes de cette violence.

La priorité est d’offrir un lieu d’hébergement sécurisé, mais aussi d’engager un accompagnement individualisé comprenant un soutien socio-éducatif et psychologique afin de faciliter les réinsertions sociales et professionnelles des victimes.

Après l’ouverture du Foyer Louise Labé, l’expérience d’une dizaine d’années dans la gestion de situations de violences conjugales persuade l’association que la violence faite aux femmes peut être aussi économique. Les traumatismes qui en découlent conduisent certaines victimes à des ruptures sociales, à un état d ‘exclusion et de grande précarité. Pour prévenir des désocialisations parfois irréversibles, redonner espoir à celles que la spirale de l’exclusion a entraîné, HAFB crée, en 1995, un accueil de jour, l’Espace Solidarité Insertion (ESI). Plus tard, nous avons complété l’accueil de jour par HELP, une permanence différée en soirées et le samedi. Ce dispositif, dans nos murs mais commun aux 3 associations parisiennes, permet aux femmes en activité de pouvoir rencontrer des professionnelles.

La mission d’HAFB, commune aux 3 dispositifs, est un accompagnement global des femmes victimes de violences, conjugales ou/et économiques, et la défense de leurs droits. Cet accompagnement individualisé est mené à travers 4 piliers : l’hébergement et la protection, la reconstruction sociale et économique, la reconstruction personnelle et familiale, la reconnaissance des droits juridiques et administratifs.

Nos partenaires financiers sont majoritairement publics, la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement pour le Foyer (DRIHL 75), la Mairie de Paris et, dans une moindre mesure, la RATP pour l’accueil de jour, le Droit des Femmes pour HELP. L’argent public ne couvre que les frais de fonctionnement, c’est-à-dire le loyer et l’équipement des locaux et des hébergements ainsi que les salaires des divers intervenants professionnels sociaux. C’est la survie et c’est déjà bien. Mais sans initiatives privées, pas de créativité dans l’action sociale et sans la bienveillance de chacun dans son domaine, le bénévolat, le partenariat pour agir, nous n’aurions pas d’avocates au Pôle Juridique, pas de vestiaires pour celles qui quittent le Foyer conjugal violent sans rien, pas de vacances d’été pour les enfants, pas de cours informatiques en vue d’une réinsertion professionnelle, pas de cours de self-défense, d’art thérapie, etc.

Quels sont vos différents dispositifs de logement ?

Nous avons plusieurs dispositifs. Le CHRS Foyer Louise Labé dispose de 30 places (11 femmes et maximum 19 enfants). Nous ne pouvons accueillir que 3 enfants maximum par femme. Nous louons des appartements « en diffus » à des bailleurs sociaux. Les femmes y vivent en cohabitation et sont 2 à 4 dans chaque appartement, selon le nombre de chambres. Nous accueillons ces femmes de l’admission à la sortie qui est symbolisée par le retour vers un logement pérenne, avec une durée moyenne de séjour, sur 2021, de 18 mois à 2 ans. Des appartements sous ALT (allocation au logement temporaire) regroupent 17 places (8 femmes et maximum 9 enfants) : ce sont également des appartements en cohabitation répartis sur le 20e arrondissement de Paris. Ces hébergements sont financés par des fonds publics, les bénéficiaires ne participant à l’ensemble de nos prestations qu’à hauteur de 10 à 15% de leurs ressources si elles en ont et selon leur nombre d’enfants.

Nous proposons également, pour les situations d’urgence ou de mises en sécurité, un hébergement dans des hôtels sociaux, via le 115 du Samu Social de Paris. Ce dispositif est utilisé par l’ESI, notre accueil de jour, et par HELP, l’accueil en horaires décalés.

Combien de femmes et d’enfants avez-vous aidé sur l’année 2021 ?

Au Foyer Louise Labé, entre les dispositifs CHRS et ALT, nous avons suivis 37 femmes et 50 enfants, à cela s’ajoutent 36 femmes en suivis extérieurs, c’est-à-dire que nous les accompagnons psychologiquement et juridiquement, mais ne les logeons pas.

Sur l’Espace Solidarité, nous avons reçu 881 femmes différentes dont 298 nouvelles. Sur les 881 femmes reçues, 56% le sont pour une situation de violences conjugales. Ces femmes, accompagnées ou non de leurs enfants (8372 passages de femmes et 1250 passages d’enfants), viennent chez HAFB pour rencontrer une professionnelle, récupérer un courrier ou la banque alimentaire, faire une lessive pour celles hébergées en hôtel, discuter, prendre une collation. Trois travailleuses sociales ont assuré 1400 entretiens sur l’année 2021, sachant qu’un entretien dure entre une demi-heure et une heure. A cela, s’ajoutent les 413 entretiens de la psychologue.

HELP, notre dispositif en horaires décalés, a reçu 210 femmes, dont 153 nouvelles (960 entretiens).

HAFB a assuré la Mise en sécurité de 157 femmes accompagnées de leurs 95 enfants.

Est-ce que la pandémie a eu un impact sur l’accueil des femmes ?

Oui, il y a eu un impact de la pandémie sur l’accueil dans nos différentes structures. Nous savons que le confinement a obligé les femmes à rester avec les auteurs de violences. Après la pandémie, quand elles ont pu ressortir, nous avons constaté une augmentation du flux au niveau de l’espace solidarité, mais aussi au niveau du foyer. Le personnel a été également touché, que ce soit par la Covid ou la nécessité de garder leurs enfants, et cela a eu évidemment des impacts sur le service.

Au Foyer, durant ces périodes de confinement, nous avons eu peu de sorties, donc peu d’entrées. Faute de pouvoir aller travailler ou d’entamer des formations, l’accès à l’emploi a été mis de côté ainsi que l’accès au logement. Par contre, nous nous sommes beaucoup occupés des enfants qui n’étaient pas toujours scolarisés et ça n’a pas été simple.

Pour l’ESI, ce furent des périodes difficiles parce que la salle collective où les femmes viennent prendre une collation, se reposer a dû être fermée à cause des règles sanitaires.

Pendant les confinements, la continuité de la banque alimentaire et du service courrier étant primordiaux, nous avons réussis à les maintenir. Par contre, nous avons dû transformer nos permanences physiques en permanences téléphoniques. Mais il a fallu du temps pour que les femmes comprennent qu’elles devaient et pouvaient appeler. Ça a été un changement radical de pratiques et il a fallu s’adapter. Les femmes qui étaient en attente d’une mise en sécurité ou d’un simple hébergement ont toutes été logées rapidement. Au premier confinement, grâce à la Mairie de Paris, nous avons pu utiliser, pour un laps de temps défini, des appartements en fin de travaux non encore attribués à des locataires. Toute une organisation s’est mise en place pour accompagner au mieux les victimes de violences conjugales.

Y-a-t-il un élément déclencheur qui revient souvent et qui amène les femmes à venir chez HAFB ?

Il y a tellement d’éléments déclencheurs… Comme nous travaillons avec des maternités et des hôpitaux, nous constatons que c’est souvent au moment de l’accouchement. Lorsque la femme reste à la maternité et qu’elle y rencontre des professionnels de santé, elle arrive à expliquer qu’elle subit des violences. L’élément déclencheur principal est quand le conjoint violent s’en prend aux enfants. Certaines femmes ont le déclic et se disent qu’elles ne peuvent plus rester. D’ailleurs, les enfants sont considérés comme co-victimes des violences conjugales. 

Comment expliquez-vous que de nombreuses victimes ont tendance à retourner auprès de leur agresseur ? 

Les violences conjugales sont compliquées à comprendre car il y a cette notion d’emprise que les auteurs de violence ont sur leur conjointe. La succession des cycles de violence est repérable lorsqu’on travaille sur les violences conjugales.

Il y a succession de périodes de violences puis d’attention. Le conjoint violent va humilier sa conjointe devant les autres. La femme, elle, va essayer de maintenir une relation amoureuse et tout faire pour le satisfaire. Le passage à l’acte arrive et on peut se dire, mais pourquoi elle n’est pas partie à la première claque ? Généralement, les femmes ne partent pas ou retournent au domicile parce qu’il y a de l’amour et que l’homme s’excuse et fait culpabiliser la femme en lui disant que c’est de sa faute s’il l’a battue. Suite aux violences, il va y avoir ce que nous appelons “la lune de miel”, l’homme va être tout gentil, va lui offrir des fleurs, l’emmener au cinéma… Elle va se dire que c’est terminé et qu’il fait des efforts, mais le cycle reprend toujours et s’intensifie au fil des années. Il y a un rapport de forces qui se joue, mis en place par l’homme. La femme ne peut pas partir, mais ce n’est pas qu’elle ne le veut pas. Nous avons des situations à HAFB où des femmes nous disent qu’elles sont retournées auprès de leur agresseur parce qu’elles culpabilisent et qu’elles ont peur d’arracher les enfants au père.

Sortir de cette situation ne se fait pas sans aide extérieure parce que l’auteur des violences conditionne et isole sa conjointe qui n’a plus de lien social ni de ressources. Les allocations de la CAF sont virées généralement sur le compte de l’homme, il arrive même à se faire virer le salaire de sa compagne s’il la laisse travailler. Cela peut même aller jusqu’à la séquestration. C’est une domination de l’homme sur la femme.

Recevez-vous des homosexuelles également à HAFB ?

Oui, nous avons déjà reçu des femmes homosexuelles. Ce n’est pas notre quotidien, mais nous recevons toutes victimes féminines de violences. Si elle est maltraitée, violentée par sa conjointe, nous traitons le problème de la même façon.

Même si vous n’accueillez pas d’hommes, pensez-vous que la thérapie pour les auteurs est une bonne chose et permettrait de réduire les violences conjugales ?

Je pense que oui. Actuellement, il y a pas mal de dispositifs qui commencent à arriver justement.

Que pensez-vous qu’il faut faire pour réduire les violences conjugales et surtout pour améliorer l’accueil des victimes ? 

A très court terme, je pense qu’il faut des moyens financiers. Nous avons signé il y a un mois la pétition de la fondation des femmes : un milliard pour toutes et une douzaine de revendications. Nous soutenons pleinement ces revendications. Nous avons besoin de moyens, de personnel, de tribunaux spécialisés dans les violences conjugales ! À l’image de ce qui se passe en Espagne où les tribunaux spécialisés sont généralisés et où ils ont mis des moyens contre les violences conjugales : les féminicides ont baissé.

A plus long terme et pour changer les mentalités, il faut de la prévention, de la sensibilisation dès le plus jeune âge.

Quels sont vos projets ?

Nous avons quantité de projets, tournés majoritairement vers l’accueil des femmes victimes de violence. Nous venons de commencer des permanences dans deux hôpitaux : l’hôpital Bichat et l’Hôtel Dieu. Nous souhaitons étendre les plages horaires d’accueil le soir et le samedi (HELP). Nous souhaitons également améliorer le retour à un emploi qualifié de nos bénéficiaires, car l’autonomie financière est la clef de l’indépendance.

Propos recueillis par Camille Goasduff 50-50Magazine

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