Brèves Affaire Auchan et pratiques commerciales trompeuses : les ONG font appel de la décision de non-lieu
Le juge d’instruction a prononcé un non-lieu en faveur de l’enseigne Auchan, contre laquelle Sherpa, ActionAid et le Collectif Ethique sur l’étiquette avaient déposé plainte pour pratiques commerciales trompeuses. Nos ONG ont décidé de faire appel de cette décision. Elles pointent l’impossibilité d’accès à la justice résultant de l’inefficacité du système de coopération judiciaire internationale et militent pour une répression efficace des pratiques de blanchiment d’image.
Pour mémoire, des étiquettes de la marque du distributeur In Extenso avaient été retrouvées dans les décombres lors de l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. Nos ONG avaient déposé plainte le 24 avril 2014 en faisant valoir qu’au vu des conditions de travail régnant au Rana Plaza, les engagements éthiques d’Auchan, par lesquels elle se targuait de faire respecter les droits des travailleurs et travailleuses sur l’intégralité de sa chaîne de valeur, constituaient des pratiques commerciales trompeuses.
Après le classement sans suite de cette première plainte, nos organisations s’étaient constituées partie civile en 2015 à la suite d’une mission d’enquête sur place qui avait permis de récolter de nombreux éléments quant aux conditions de travail et de salaires dans plusieurs autres usines des sous-traitants d’Auchan.
Au cours de l’instruction, une commission rogatoire internationale a été transmise par le juge d’instruction français aux autorités bangladaises. Alors qu’aucune enquête n’a pu être effectuée au Bangladesh, faute d’aboutissement de cette commission rogatoire internationale et malgré notre demande d’enquête complémentaire en France restée sans succès, la justice a prononcé le 27 avril dernier un non-lieu, en faisant valoir, précisément, une insuffisance de preuves.
Afin qu’Auchan puisse être jugée, nos organisations annoncent exercer un recours en appel. Nous alertons sur la défaillance du système d’entraide judiciaire internationale, qui n’a pas permis d’approfondir l’enquête. Au-delà, nos organisations estiment que les éléments récoltés lors de leur enquête sur le terrain devraient permettre la poursuite de l’affaire.
Cette décision souligne également la nécessité d’un cadre juridique sanctionnant effectivement le blanchiment d’image, à l’heure où ce comportement des multinationales s’intensifie.
Pour Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa : « Cette décision montre qu’il est encore trop difficile d’accéder aux preuves de violations de droits humains dans les chaînes de valeurs internationales. Elle montre aussi que l’incrimination des pratiques commerciales trompeuses ne permet pas de sanctionner effectivement le blanchiment d’image des entreprises et qu’ il est nécessaire de sanctionner cette pratique en tant que telle. C’est même urgent : en plus des déclarations unilatérales de type marketing RSE, l’industrie de la certification, via les labels et les audits, continue de se développer à vitesse grand V, sans régulation. »
Pour Nayla Ajaltouni, déléguée générale du Collectif Ethique sur l’étiquette : « Cette affaire, qui dure depuis 8 ans désormais, témoigne d’une situation systémique, celle de l’impunité dont continuent de bénéficier les multinationales dans la mondialisation économique : leur puissance est considérable mais leur responsabilité ténue. Il est temps de les rendre juridiquement responsables des violations des droits humains qu’elles commettent le long de leurs chaînes de valeur et la directive européenne sur le devoir de vigilance actuellement en négociation devra combler ce vide. »
Pour Salma Lamqaddam, chargée de campagne droits des femmes à ActionAid : « Face aux effets d’affichage dont usent et abusent les multinationales concernant leurs engagements éthiques, face à la difficulté d’accès aux preuves, la réalité des conditions de travail des ouvrières de l’industrie textile, reste grave. Nous ne relâchons pas nos efforts pour que la justice progresse, pour que les entreprises soient véritablement tenues à la cohérence entre l’image promue auprès des consommateur·rice·s et leurs pratiques au sein de leurs chaînes de valeur, qui entravent le respect de la dignité des travailleuses qui nous habillent en France et dans le monde. »