Articles récents \ Culture \ Cinéma Vincent Jourdan: « Sous le cinéma muet, les femmes ont occupé tous les postes jusqu’aux plus importants »

Le cinéma muet fut une période de libération artistique pour les femmes cinéastes car il y avait de la place pour tout le monde et surtout parce que le cinéma n’était pas encore devenu une industrie. Auteur, conférencier, animateur d’ateliers de cinéma, Vincent Jourdan est également président fondateur de l’association, Regard Indépendant qui se dédie à la création et à la diffusion du cinéma et de la vidéo. Il intervient régulièrement dans de nombreuses émissions spécialisées sur le 7ème art. A l’occasion de l’ouverture du festival de Cannes, il revient sur l’importance de la créativité des femmes cinéastes sous le cinéma muet.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux femmes cinéastes sous le cinéma muet ?

Dans le sillage de Metoo et en tant que cinéphile, je me suis intéressé aux femmes cinéastes et notamment avec la personnalité d’Alice Guy que je ne connaissais guère.

En effectuant des recherches, je suis tombé sur le site, Women Film Pioneers Project, qui répertoriait des cinéastes femmes à cette époque là. Je me suis rendu compte qu’il y en a eu énormément. Le cinéma muet qui s’est achevé en 1927 avec le cinéma parlant a été propice à cette production artistique, et ce dans tous les pays. Cette période faste correspond à un changement de société et donc à l’évolution des mœurs. En effet, à la fin du XIXème s, les femmes revendiquent leurs droits, puis pendant la première guerre mondiale, elles occupent des postes stratégiques tandis que les hommes sont au front. Il y a eu les années folles avec un souffle de liberté. Mais avant tout, à cette époque, le cinéma n’est ni une industrie, ni encore considéré comme un art. Il y a de la place pour tout le monde surtout pour les cinéastes indépendant·es.

Quels postes occupaient-elles ?

Sous le cinéma muet, les femmes ont occupé tous les postes jusqu’aux plus importants. L’Américaine, June Mathis, a eu une carrière fulgurante et est devenue responsable du studio Metro. La Canadienne, Mary Pickford, a créé son propre studio. Elles ont été scénaristes, actrices, productrices, réalisatrices. Elles ne retrouveront ces mêmes positions qu’à partir des années 1980 ! Dans les années 20 aux USA, la moitié des scénarios étaient écrits par des femmes et on dénombre plus de productrices et de réalisatrices que de producteurs et réalisateurs.

Est-il vrai qu’Alice Guy a produit plus de 1000 films ?

Oui, elle a commencé en 1894 et détient une grande filmographie notamment avec de très courts-métrages. Certains durent 1 à 2 minutes. Le cinéma n’étant pas reconnu à l’époque, les films n’étaient pas répertoriés. Son film le plus connu, La fée aux choux, a connu un franc succès.

Existe-t-il une différence entre le cinéma produit par une femme et le cinéma produit par un homme ?

Pour moi peu importe que l’œuvre soit produite par un homme ou par une femme. Ce qui fait un film, c’est la personnalité, la sensibilité, le style du ou de la cinéaste. Je ne trouve pas qu’Alice Guy créait des films différents de ses homologues masculins. Germaine Dulac possédait son propre style, Lois Weber était plutôt attirée par des thématiques sociales comme l’avortement ou la prostitution. Il y a des thématiques dont les femmes se sont emparées et qui n’intéressaient pas les cinéastes hommes. Catherine Videau propose des films durs, d’action et de guerre.

Etait il facile pour une femme de diriger une équipe de tournage composée d’hommes notamment ?

Non pas de difficultés particulières à mon sens. Certaines cinéastes travaillaient avec leur mari qui étaient parfois leur assistant comme l’Italienne Elvira Notari.

Pourquoi le cinéma parlant marque-t-il la fin des femmes cinéastes ?

Avec le cinéma parlant, leur position s’est effondrée. Je vois deux grandes raisons à cela : le cinéma s’est structuré surtout aux USA et s’est attelé à éliminer tous les indépendants et indépendantes. Dans les années 30 avec la crise économique de 1929 et la montée du fascisme et du nazisme, on entre dans un cinéma plus violent, plus âpre, plus masculin qui ne correspond pas forcément au style de films produits par des femmes comme des westerns par exemple. Et puis avec le premier film parlant, Chanteur de Jazz, les studios délaissent le cinéma muet. Les films sont détruits ou fondus pour récupérer les sels d’argent car jugés inintéressants. C’est grâce à Henri Langlois dans les années 30, pionner dans la conservation et la restauration des films, que nombre de pellicules ont pu être sauvées et cataloguées.

Elvira Notari a produit environ 60 films dont seulement deux sont aujourd’hui disponibles. De même pour Alice Guy, 30 films sont visionnables. Les hommes étaient logés à la même enseigne. C’est le problème du cinéma muet.

Depuis la vague #Metoo, la parité est-elle au bout de la pellicule ?

Nous en sommes loin. Nous avons encore ce problème de frontière entre l’art et l’industrie. Lois Weber arrête de tourner en 1933, Dorothy Arzner en 1940. Aux USA dans les années 50, il n’y en a eu qu’une, c’est Ida Lupino qui a été présente sur la scène cinématographique. Il y a eu très peu de cinéastes à part Agnès Varda ou Jacqueline Audry pour la même période. Depuis les années 70, on en dénombre davantage heureusement !

Actuellement au niveau de la formation des jeunes, nous en sommes à la parité dans les écoles. Cependant, quand il s’agit d’engager des femmes dans l’industrie du cinéma, on dégringole à 15%. Aujourd’hui, 25% des films sont produits par des femmes. Pour le court-métrage, il y a plus de femmes que dans le long-métrage.

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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