Articles récents \ France \ Économie Aude de Thuin, une femme qui porte l’étiquette du féminisme avec fierté

Le 12 mai dernier, Femmes Ici et Ailleurs organisait une rencontre avec Aude de Thuin, une femme d’affaires engagée pour la visibilité des femmes dans le monde économique. Ayant comme moteur la colère, l’entrepreneuse n’a eu de cesse de “ faire ” comme elle le dit si bien. Des idées, beaucoup de monde en a. Ce qu’il faut, c’est les mettre en place. Aude de Thuin a toujours “ mis les mains dedans ” pour concrétiser ses idées.

C’est au jeune âge de 22 ans qu’elle crée sa première entreprise. Elle aurait pu se contenter de ce qu’elle a et s’arrêter là mais la femme d’affaires n’est pas comme ça. Depuis près de vingt ans, elle a enchaîné les créations d’entreprises, les fondations de plateformes en ligne et les organisations de forums. On peut notamment citer : Women’s Forum for The Economy and Society depuis 2005 et les salons l’Art du jardin et Créations, qui ont été de francs succès auprès du public. Il y a aussi l’incontournable plateforme Women in Africa (WIA), devenue depuis sa création le leader mondial  de l’accompagnement des femmes africaines dans l’entrepreunariat. Ce qui est une grande fierté pour elle puisqu’elle rappelle qu’à cause de notre vision très européano-centrée, nous avons tendance à oublier ce continent clé du XXIe siècle. Cette année, elle a sorti son ouvrage Changer le Monde par les Femmes, qui suit le fil conducteur de ses valeurs, présent dans toute sa carrière. Elle est aussi ambassadrice de la Fondation des Femmes.

“ Les doutes rendent fou, mais les certitudes rendent con. ”

C’est ce que lui répétait sans arrêt sa grand-mère. Aude de Thuin souligne que le doute est un problème très féminin. En effet, si on propose un poste de dirigeant à un homme, il s’empressera de dire oui sans l’ombre d’une hésitation. Alors que si on propose ce même poste à une femme, elle répondra certainement oui après une phase de réflexion et prendra des cours pour se perfectionner et se préparer au mieux. Elle explique que c’est en effet grâce à ce doute que naît la soif d’apprendre. C’est donc aussi vital que pénible à vivre. Elle précise d’ailleurs, avec beaucoup d’humour, que ces incertitudes la forcent à prendre rendez-vous chez sa psy, encore aujourd’hui, alors que son estime de soi devrait crever le plafond. 

Elle voit aussi dans les femmes un instinct de survie très développé. Le sien lui a sauvé la vie après son divorce. Elle s’est retrouvée seule et sans rien, déménageant à Paris avec sa fille sous le bras. Comme beaucoup de femmes, elle a été confrontée à un souci qui semblait insurmontable; mais “ il fallait bien nourrir la famille ”. C’est dans l’ordre naturel des choses de s’en sortir, comme elle le dit. Aude de Thuin explique que c’est une partie intégrante de sa personnalité atypique, comme sa colère. Cette émotion l’anime et agit comme un moteur pour elle : “ je suis toujours en colère devant la situation des femmes ”. Cela lui a permis de soulever des montagnes. Tous ces aspects de sa personnalité sont à double tranchant : elle n’est pas employable. Et puisqu’il faut quand même travailler, il ne restait qu’une solution : l’entreprenariat. C’est pourquoi elle a lancé autant de projets. 

“ Ne pas être féministe, c’est une tare. ”

Elle explique se méfier des femmes comme des hommes qui tiquent sur le terme “ féministe ”. Il y a encore beaucoup de monde qui voit ce terme comme un gros mot. A ces gens, Aude de Thuin demande “ connaissez vous la définition du dictionnaire ? Êtes-vous donc contre l’égalité ? ”. Elle s’étonne du nombre de femmes qu’elle a croisées n’étant pas sensibles au sujet des femmes. Elle se désespère de voir qu’en 2022, on en soit encore là : à penser que les femmes n’ont pas un cerveau égal à celui des hommes. C’est pourquoi elle porte l’étiquette du féminisme avec fierté. 

Pour elle, les femmes ont été écartées de l’innovation trop longtemps et il est grand temps que les choses changent. Elle raconte l’histoire d’une femme africaine qui l’a marquée à WIA. La jeune femme, une doctorante, faisait une garde à l’hôpital quand une femme enceinte est arrivée entre la vie et la mort. Elle avait perdu beaucoup de sang et avait besoin d’une perfusion de toute urgence. Le problème, c’est que son groupe sanguin était inconnu. Elle lui fait donc une prise de sang pour savoir ce qu’il fallait lui donner mais le temps que les résultats arrivent, il était trop tard. La mère était morte. L’étudiante a été traumatisée par cette expérience. Elle était en colère de ne pas avoir pu faire plus pour cette femme. Le lendemain, elle a transformé cette rage et cette tristesse en volonté. Elle a, avec l’aide de son compagnon, un peu geek sur les bords, créé un système pour répertorier le groupe sanguin de chaque personne dans leur téléphone ou dans un bracelet pour que les services de secours y aient accès le plus rapidement possible. Cette nouvelle solution, ayant fait ses preuves en Afrique, s’apprête aujourd’hui à quitter le continent pour l’Indonésie. Là-bas aussi, elle permettra d’éviter des morts inutiles. 

“ J’espère qu’un jour, on saura aller apprendre de l’Afrique. ”

Sa volonté de créer WIA, il y a maintenant cinq ans, est venue de l’envie de connecter les femmes africaines au monde. Quand Aude de Thuin a fait un burnout, elle a eu honte. Elle a ressenti le besoin d’aller voir la “ vraie souffrance ” pour se rendre utile. Notamment en s’intéressant à l’histoire de migrantes africaines. Elle s’est alors rendue compte de leur dure réalité. Elle insiste sur le fait que personne n’a envie de migrer, que c’est toujours un acte de désespoir. Ce que les femmes migrantes veulent, c’est aller reconstruire leur pays et trouver une stabilité là-bas. C’est là le cœur de WIA. Elle l’a fondé à la demande de ses amies africaines, qui lui ont dit “ nous voulons que tu le fasses pour trois raisons : ta colère est pure et elle n’a pas faibli, tu as la volonté de nous connecter au monde et enfin tu es un peu folle, alors tu peux y arriver ! ” 

Aude de Thuin s’étonne de voir comment le continent est vu de l’étranger. Les Français·es, notamment, semblent s’apitoyer sur le sort de l’Afrique comme si le continent dans son entièreté était un vaste bidonville. Alors que, comme elle le souligne, ce sont 54 pays indépendants dans des situations tout à fait différentes. Et, bien évidemment, certains d’entre eux se portent très bien. Elle espère un jour lancer des “ learning expeditions ” au Nigeria, au Rwanda ou encore au Kenya pour que ces peuples puissent partager leurs savoirs avec des Français·es

Eva Mordacq 50-50 Magazine

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Photo © Delphine Warin

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