Articles récents \ France \ Société LES OUBLIÉES DES MANUELS D’HISTOIRE

Focus sur ces femmes qui ont fait l’Histoire et qui pourtant n’apparaissent toujours pas dans les manuels scolaires. Elles sont mathématiciennes, compositrices, peintresses, astronomes, doctoresses, biologistes, cheffes d’entreprise, femmes politiques, résistantes, autrices…

Gertrude Bell, espionne, diplomate, archéologue, exploratrice et autrice

Surnommée la Reine du désert, la Britannique Gertrude Bell, joua un rôle, non négligeable, dans la fondation de l’lrak au même titre que Lawrence d’Arabie. Née en 1868, Gertrude Bell est issue d’une haute famille bourgeoise anglaise et se passionne pour la culture du Moyen-Orient. Première femme à décrocher un diplôme d’histoire moderne à l’université d’Oxford, elle voyage en Perse en 1892 où elle écrira un premier ouvrage sur ce pays. Elle apprend l’arabe, le farsi et le turc. Puis, elle s’installe dans l’Empire ottoman pour y faire des fouilles. En 1915, grâce à ses connaissances linguistiques, elle devient agente de liaison au Caire et collecte des renseignements pour le compte de la couronne britannique afin de mener la grande révolte arabe contre l’empire ottoman. Elle consigne ses impressions dans ses carnets de voyage, cartographie et photographie des sites comme Pétra. Elle part à la rencontre des chefs de guerre à Alep, Jérusalem, Beyrouth, Damas et se fait même emprisonner. Elle travaillera avec Lawrence d’Arabie avec lequel elle aura une grande connivence.

Rattachée au Foreign Office en 1919, l’espionne au service de Sa Majesté, préparera le terrain pour la prise de Bagdad par l’armée britannique. En 1921, elle est chargée de dessiner les contours de l’Irak actuel et impose le roi Fayçal 1er dont elle est proche lequel lui décernera le titre de Reine sans couronne d’Irak. L’archéologue créera le musée national d’Irak et luttera pour la préservation du patrimoine perse.

Fascinés par ce personnage atypique qui ne se déplaçait jamais sans ses robes, son service en porcelaine et même sa baignoire, les journaux de l’époque diront d’elle : « Major Miss Bell est un véritable ministre des Affaires extérieures, prend soin personnellement de tout ce qui concerne les relations avec les tribus indigènes dans le royaume de l’Irak. Elle traite avec les chefs musulmans qui viennent en mission, des pays voisins, et qui préfèrent parler à Miss Bell qu’au roi Fayçal lui-même« .

Gertrude Bell devient la première femme à obtenir le poste diplomatique de Secrétaire orientale. Malade, elle meurt d’une overdose médicamenteuse à l’âge de 57 ans. Elle sera enterrée dans le cimetière anglais à Bagdad avec les honneurs militaires. On connait à Miss Bell quelques amants. Célibataire et sans enfant, elle lègue sa fortune à la British School of Archeology et laissera de nombreux témoignages à travers une abondantes correspondances et de nombreux récits de voyage.

Lida Durkidova, co-autrice des albums du Père Castor et d’une pédagogie innovante

L’idée d’un apprentissage adapté à l’âge des enfants émerge après la première guerre mondiale en France. Cependant les livres restent onéreux et réservés à une classe aisée. Ce sont les albums du Père Castor lancés en 1931 par Flammarion qui démocratiseront le goût de la lecture pour les petit·es. Les textes écrits par l’autrice Lida Durkidova et son mari connaitront ainsi un succès retentissant jusqu’à nos jours.

Lida Durkidova est née en Tchécoslovaquie en 1899. A 15 ans et tout en poursuivant ses études dans l’enseignement, la jeune fille partage son temps comme infirmière avec son père médecin auprès d’enfants démuni.es. Plus tard, elle accompagne de jeunes aveugles à la montagne, expérience qu’elle consignera dans l’ouvrage, Les enfants aux yeux éteints. Puis, elle devient la collaboratrice de l’éducateur tchèque, Frantisek Bakule, novateur en matière pédagogique pour enfants handicapé.es ou victimes de la grande guerre. Elle s’occupe également de jeunes délinquant.es et monte une chorale qui se produit au Danemark, aux USA et en France où elle rencontre, Paul Faucher, lequel est passionné par les thèses de Frantisek Bakule.

Dès 1931, Paul Faucher s’intéresse à la littérature enfantine et lance la collection Education, chez Flammarion destinée à un large public. Puis il élabore ses premiers albums en collaboration avec Lida Dukidova, sa future femme. Sous le nom de Père Castor (symbole d’un programme constructif), le couple publie une centaine d’albums sous les pseudonymes de Lida et Paul François dont les titres les plus connus restent Michka l’ourson, Poule rousse, Marlaguette ou Roule galette. Lida Durkidova propose des illustrateurs Russes ou Tchèques afin de donner une touche exotique aux histoires. Les ventes s’envolent.

En 1946, le Centre de recherche biblio-pédagogique de l’Atelier du Père Castor suivi de l’Ecole du Père Castor ouvrent leurs portes. En 1954, leur école compte une cinquantaine d’enfants. C’est une pédagogie innovante qui est proposée avec des ateliers de construction, et des matières comme la musique, de l’art ou du sport afin de donner le goût de l’apprentissage aux enfants mais aussi pour qu’elles/ils apprennent à vivre avec leurs différences. Lida Durkidova décède en 1955. En 1961, une demande de contrat avec l’Education nationale est refusée. Son mari, Paul Faucher, meurt en 1967.

De nos jours, les aventures du Père Castor, traduites dans le monde entier, sont toujours autant appréciées par les petit·es et les grand·es avec 95 millions de titres vendus depuis 1931. Cette collection est inscrite au patrimoine culturel de l’Unesco depuis 2018 dans le registre Mémoires du monde.

Henrietta Swan Leavitt, astronome, découvrit la distance entre la terre et les autres galaxies, recherches qui permirent de comprendre l’expansion de l’univers

Henrietta Swan Leavitt est née aux USA en 1868 dans une famille d’origine anglaise, d’un père pasteur et d’une mère au foyer. Elle a découvert la relation entre la luminosité des étoiles variables et leur période de variation, travaux qui seront repris par Edwin Hubble dans sa théorie de l’expansion de l’univers.

Henrietta Swan Leavitt étudie Society for the College Instruction for Women puis poursuit un cursus incluant l’étude du grec classique, les Beaux-arts, la philosophie, les mathématiques et l’astronomie. Elle voyage en Europe et aux Amériques, et postule à l’Observatoire de l’université de Harvard comme calculatrice, les postes plus intéressants étant fermés aux femmes. Ces calculatrices effectuaient des calculs manuellement, repéraient les étoiles ou interprétaient des photographies du ciel. Ce travail de subalterne sous-payé n’était réalisé essentiellement que par des femmes diplômées, intelligentes et motivées. Les scientifiques s’attribuaient la paternité du résultat de leurs travaux de recherche. L’Observatoire de l’université de Harvard était connu pour ses Harvard computers ou Harem de Pickering, du nom de leur directeur qui s’entourait de femmes brillantes et passionnées qu’il exploitait dans les règles de l’art du patriarcat.

Ainsi, elle examina des centaines de plaques photographiques dans le but de mesurer et de cataloguer la luminosité des étoiles. Elle était payée 0,30 dollar de l’heure. Elle classa des milliers d’étoiles dans le nuage de Magellan et publia ses recherches en 1908 qu’elle compléta en 1912. Sa découverte de la relation entre la luminosité de certaines étoiles variables et le rythme de leurs pulsations, permit de mesurer la distance entre la Terre et les autres galaxies. Elle améliora également des mesures photographiques. En 1921, elle est nommée au département de photométrie stellaire malgré sa surdité et ses problèmes de santé. Elle appartenait à plusieurs associations dont l’Union américaine d’astronomie et l’Association américaine pour l’avancement des Sciences.

Grâce aux travaux d’Henrietta Swan Leavitt qu’Edwin Hubble reprit, il prouva l’expansion de l’univers. Edwin Hubble déclara que l’astronome Henrietta Leavitt méritait le prix Nobel pour ses recherches lesquelles n’avaient pas été suffisamment reconnues et qui avaient bouleversé la vision de l’univers. En 1924, l’Académie royale des Sciences de Suède envisage de lui attribuer le Nobel de physique mais l’astronome était décédée 3 ans auparavant d’un cancer à l’âge de 53 ans.

Aujourd’hui, une Loi en astronomie porte le nom de Leavitt ainsi qu’un cratère lunaire et l’astéroïde n°5383.

Jenny Saville, l’artiste féminine vivante la plus côtée

Jenny Saville est née en 1970 en Angleterre. Elle étudie l’art puis décroche une bourse d’étude pour partir aux USA. Elle s’inspire de Picasso, de Lucien Freud et de Bacon. Elle appartient au mouvement YBA (Young British Artists) qui joue la carte de la provocation en reproduisant la violence étalée dans les tabloïds anglais ainsi qu’une sexualité crue.

En 1992, elle est repérée pour ses nus monumentaux dérangeants par le collectionneur et galeriste d’art contemporain, Charles Saatchi. Ses œuvres de femmes obèses sont une approche revendicative et féministe. La peintresse d’art figuratif s’est aussi beaucoup intéressée à la chirurgie esthétique qu’elle dénonce et qui la fascine à la fois. Elle monumentalise le modèle non seulement par les proportions picturales mais aussi par le traitement des masses dont ces corps excessifs et assumés sont le prétexte. Ses modèles sont souvent présentés en contre-plongée les jambes repliées, cassant ainsi les codes du nu académique. L’artiste subvertit les normes de la représentation du corps féminin à travers l’abject et le grotesque.

Jenny Saville aime aussi jouer sur l’identité en peignant des trans, le mal être, des expressions de solitude et de tristesse. La chair omniprésente, représente une vitrine et un cauchemar pour le voyeur ou la voyeuse. Sa toile la plus chère a été vendue en 2018 pour 10 Millions € ce qui lui octroie le privilège d’être l’artiste féminine vivante la plus cotée. Les œuvres de Jeff Koons sont vendues sept fois plus chères !!!

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Article déjà publié le 7 janvier 2022.

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