DÉBATS \ Tribunes PORNO : L’ENFER DU DÉCOR

Après plus de six mois de travaux, des dizaines d’heures d’auditions (dont celle, à huis clos, de  victimes de l’affaire dite « French Bukkake ») et une analyse des principaux contenus  pornographiques en ligne aujourd’hui, la délégation dénonce une industrie de la pornographie  qui génère des violences systémiques envers les femmes

Elle alerte le Gouvernement et l’opinion publique sur l’ampleur de ce phénomène et appelle à faire  de la lutte contre les violences pornographiques et leurs conséquences une priorité de politique  publique et pénale. 

UN SYSTÈME DE VIOLENCES ENVERS LES FEMMES AUJOURD’HUI ÉRIGÉ EN  NORME PAR L’INDUSTRIE PORNO

  1. Une massification de la diffusion du porno sur Internet 

L’industrie pornographique a été bouleversée au milieu des années 2000 par l’apparition des  « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de dizaines de milliers de vidéos  pornographiques. Leur modèle économique est principalement fondé sur la génération d’un trafic  massif, grâce à des contenus gratuits et souvent piratés, et la vente d’espaces publicitaires. 

Depuis le milieu des années 2010 sont également apparues des plateformes de partage de contenus à caractère sexuel telles qu’Onlyfans ou MYM, tandis que les réseaux sociaux (Twitter, Instagram) et messageries privées (Snapchat, WhatsApp, Telegram) sont devenus de  nouveaux vecteurs de diffusion de contenus pornographiques. 

Cette massification de la diffusion du porno a contribué à la recrudescence de contenus de plus en  plus « trash » et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles  ces contenus sont produits. 

  1. Des productions qui atteignent le paroxysme de la violence 

a) Une marchandisation du sexe et du corps des femmes 

Le business du sexe est aujourd’hui massif et mondialisé. Alors que les revenus de plusieurs milliards d’euros sont concentrés dans les mains de quelques multinationales propriétaires des tubes, le nombre de « producteurs » – dont les contenus sont nécessaires pour alimenter les tubes – s’est multiplié, sans plus de réelle distinction entre le secteur dit professionnel et un secteur amateur en pleine expansion.

« Le porno :
plus une affaire d’argent
qu’une affaire de sexe. »

Les producteurs ne craignent pas d’exploiter la vulnérabilité économique et psychologique de femmes jeunes, voire très jeunes, et de réaliser des tournages dans des conditions déplorables.

90% des scènes pornographiques comportent de la violence.

Les violences sexuelles, physiques et verbales sont massivement répandues dans le porno, revêtant un caractère systémique. Elles ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées.

Les producteurs pro-am (professionnel-amateur) français poussent également les femmes à signer  des contrats de cession de droit à l’image illimités. Pour le retrait d’une vidéo mise en ligne sur  leur site, ils réclameraient généralement entre 3 000 et 5 000 €, soit dix fois plus que la  rémunération obtenue pour la scène tournée. Une fois en ligne et dupliquées sur les tubes,  les vidéos sont quasiment impossibles à retirer, empêchant les femmes filmées d’exercer leur « droit à l’oubli ».

b) Les affaires « French Bukkake » et « Jacquie et Michel », partie récemment émergée de l’iceberg  des violences pornographiques en France

Les témoignages recueillis ont mis en évidence des similitudes dans :
– les méthodes de « recrutement », ciblant des jeunes femmes précaires et fragiles ;
– les modes opératoires : premier viol « de soumission », processus de déshumanisation, manipulation, chantage, emprise, actes sexuels forcés, partenaires multiples imposés, viols…

c) Des formes de « pornographies plus respectueuses des personnes » ? Une goutte d’eau dans un  océan de violences 

Certains professionnels appellent à une réglementation du secteur : contrats systématiques détaillant les pratiques sexuelles acceptées ou non, charte déontologique, charte éditoriale,  présence d’un coordinateur d’intimité sur les tournages… Cependant, devant l’ampleur systémique  des violences pornographiques, et compte tenu du caractère par nature réversible à tout moment  du consentement en matière sexuelle, ces mesures largement « marketing » ne convainquent pas  les rapporteures.  

Si certains producteurs peuvent défendre des pratiques alternatives, plus respectueuses des  personnes, ce type de productions est extrêmement minoritaire et marginal dans la consommation  de porno aujourd’hui. 

  1. Une consommation massive, banalisée et toxique, chez les enfants et adolescents  comme chez les adultes 

Le porno est aujourd’hui accessible à tous, gratuitement, en quelques clics, sans aucun contrôle.

En violation totale de l’article 227-24 du code pénal, les mineurs sont massivement exposés aux images porno, volontairement comme involontairement.

2/3 des enfants de moins de 15 ans et 1/3 des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images porno.

La consommation de porno est généralisée, chez les jeunes comme chez les adultes

Les conséquences sur la jeunesse sont nombreuses et inquiétantes : traumatismes, troubles du  sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité,  difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation  précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc. Ces conséquences ne se  limitent d’ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, leurs  représentations d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité.

Les internautes ont accès à des contenus de plus en plus violents. S’ils ne sont pas forcément les plus recherchés, ils sont cependant très vite proposés sur la page principale des sites ou dans l’onglet « vidéos les plus regardées ». Des recherches ont en outre montré qu’en cas d’accoutumance au porno, les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents. Le porno construit une érotisation de la violence et des rapports de domination, érigés en normes. Il multiplie et encourage les stéréotypes sexistes, racistes et homophobes.

LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION POUR LUTTER CONTRE LES  VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques 

  1. Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique.
  2. Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).
  3. Imposer aux sites pornographiques des messages d’avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles. 
  4. Favoriser l’émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique. 
  5. Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d’écoute et d’accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences.
  6. Traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.

Faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli  

  1. Imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite.
  2. Assortir systématiquement les condamnations à l’encontre de producteurs de contenus pornographiques d’une disposition indiquant que toute diffusion des vidéos incriminées, sur tout support, est illégale. 
  3. Créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements.
  4. Imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos.

Appliquer enfin la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse  

  1. Assermenter les agents de l’Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs.
  2. Confier à l’Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs.
  3. Imposer aux sites pornographiques l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié.
  4. Définir, dans les lignes directrices de l’Arcom, des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques de vérification de l’âge.
  5. Imposer le développement de dispositifs de vérification d’âge ayant vocation à servir d’intermédiaire entre l’internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL. 
  6. Établir un processus de certification et d’évaluation indépendant des dispositifs de vérification d’âge. 17. Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur.
  7. Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental.

Éduquer, éduquer, éduquer 

  1. Au niveau de chaque académie, publier une évaluation annuelle de l’application de la loi relative à l’éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l’éducation à l’égalité et à la sexualité. 
  2. Aborder dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.
  3. Recruter des professionnels de santé, formés en matière d’éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires.
  4. Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité. 
  5. Sensibiliser les parents et mener une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr.

Délégation Droits des Femmes du Sénat 

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