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Florence Rochefort, Eliane Viennot : "L’effacement des femmes dans tous les domaines est une volonté des hommes de lettres"

Florence Rochefort, historienne et essayiste, co-autrice de Ne nous libérez pas, on s’en charge ! et Eliane Viennot, professeuse, historienne, autrice de nombreux essais dont, En finir avec l’Homme et Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, étaient les invitées des Pages de l’Egalité, un rendez-vous littéraire organisé par la Laboratoire de l’Egalité. L’effacement des femmes dans l’histoire était le thème de cette rencontre. 

Ce que les historiennes dévoilent depuis quelques années, c’est que les femmes ont toujours été présentes mais qu’elles ont été évincées de l’histoire.

Eliane Viennot : L’histoire des femmes nait comme un genre avec la fin du Moyen âge avec des attaques sur leur légitimité à gouverner ou à travailler. Les féministes de toute époque ont toujours puisé dans la mythologie, la littérature, etc. pour rappeler qu’elles étaient capables de faire aussi bien que les hommes. L’histoire de la constitution de ces corpus de femmes, qui a toujours existé mais qui est resté oublié, est actuellement le sujet de nombreuses chercheuses et chercheurs.

Florence Rochefort : Michelle Perrot en 1973 s’est posée la question : est-ce que les femmes ont une histoire ? Il existe des cycles où l’on se pose ce genre d’interrogations avec des doutes sur l’Histoire officielle enseignée depuis des siècles. À la Belle Epoque, des historiennes redécouvrent Christine de Pizan, par exemple. Depuis 1973, on continue d’enrichir ce corpus en égrainant par des biographies sur ces oubliées mais aussi en essayant de comprendre les mécanismes de la non transmission de cette mémoire. Ce mouvement international a été mis en lumière grâce aux féministes des années 70.

Pourquoi dites vous que les femmes ont été effacées de l’histoire jusque dans la langue française ?

Eliane Viennot : L’effacement des femmes dans tous les domaines est une volonté des hommes de lettres, qu’on appelait avant la clergie et qui ont cherché à légitimer cette élimination des femmes qui n’allait pas de soi. En dehors d’interdire l’accès à l’éducation et à certains métiers de pouvoir, cette clergie devait légitimer ses actions par des discours dénigrants et dévalorisants à leur égard. Par exemple, en répétant que les femmes n’étaient pas capables ou bien elles étaient singées au théâtre un peu comme nos humoristes d’aujourd’hui. Le genre qui représente l’ensemble des êtres humains, c’est le masculin. Les fonctions importantes ne doivent être déclinées qu’au masculin.

Comment les femmes ont-elles réagi à cet effacement progressif ?

Eliane Viennot : Au XVIIe siècle, cette masculinisation de la langue a rencontré des oppositions de la part d’hommes et de femmes mais de manière sporadique. Il faut se rappeler que les femmes étaient interdites d’entrer dans les bibliothèques publiques jusqu’au XIXe siècle et qu’elles n’avaient pas le droit de recevoir un enseignement supérieur. Elles n’avaient pas accès au savoir et se défendaient peu et mal. L’inégalité entre les sexes a été la norme jusqu’aux années 50. Il y a toujours eu de grands esprits pour penser la domination et l’effacement des femmes dans notre histoire.

Florence Rochefort : Les féministes de la Belle Epoque avaient compris l’importance de la langue et se qualifiaient d’oratrices, terme considéré comme un barbarisme. Hubertine Auclert expliquait déjà que le pouvoir masculin était dans les mots. Les femmes s’exprimaient à travers les romans ou des stratagèmes comme Olympe de Gouges et sa déclaration universelle. Il existe dans l’histoire des moments de résurgences avec un intérêt grandissant pour les femmes avec de grands portraits puis ça retombe. Avec #Metoo, on note quelque chose de nouveau avec les jeunes. Ces portraits ressortent via des podcasts, des BD, des films et de nombreux essais.

Pourquoi encore aujourd’hui, les femmes sont toujours inexistantes dans les manuels scolaires ?

Florence Rochefort : Il existe un manque de volonté manifeste des politiques et les hommes considèrent que l’histoire est leur héritage et ne souhaitent rien changer. L’association Mnémosyne avait proposé un contre programme en éditant un manuel d’histoire égalitaire.

Eliane Viennot : A l’école, on apprend « nos ancêtres les hommes ». Il faut qu’une consigne vienne de l’Education nationale pour que le thème de l’effacement des femmes soit au cœur de cet enseignement. C’est la pilule amère à faire avaler… Découvrir le matrimoine, faire connaitre leurs entraves, pourquoi ? qui ? sous quelles formes ? Est-ce normal que pour le concours de l’agrégation de lettres, il n’y ait que des textes d’hommes enseignés ? Chaque année, des pétitions sont envoyées pour que des femmes de lettres soient étudiées et l’Education nationale refuse encore et toujours. Ces poches de résistance sont présentes également dans l’histoire de l’art. Les masculinistes travaillent dans l’ombre pour continuer à faire en sorte que le masculin reste la norme. Ainsi, on reproduit les stéréotypes de genre.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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