Articles récents \ France \ Économie Lucienne Nouchikian, Viviana Scoca : « Le prix l’Oréal-UNESCO donne le sentiment d’être un modèle pour les femmes qui aimeraient travailler dans les sciences »

Lucienne Nouchikian Viviana Scoca

Lucienne Nouchikian et Viviana Scoca, doctorantes à l’Institut Pasteur, sont lauréates du prix Jeunes Talents France l’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science qui récompensent des doctorantes et post-doctorantes. Lucienne Nouchikian étudie la biochimie, elle se concentre particulièrement sur une des bactéries responsables de la méningite. Viviana Scoca est spécialiste en biologie moléculaire. Au cours de sa thèse, elle s’est intéressée à la réplication du VIH dans les cellules, afin d’essayer de mieux comprendre le mécanisme de l’infection.

Quel est votre parcours et quel est votre domaine de recherche ? 

Lucienne Nouchikian : Je suis originaire du Canada et j’ai fait une licence de biologie à Toronto. Je souhaitais devenir médecin, mais après un stage d’un an au sein d’une entreprise pharmaceutique qui m’a permis de découvrir le monde de la recherche, j’ai décidé de poursuivre en master puis en thèse. Les thématiques de recherche proposées par l’Institut Pasteur correspondaient à ce que je souhaitais étudier en thèse, c’est comme ça que je suis arrivée à Paris. Mon domaine de recherche est la biochimie. L’objectif de mon doctorat est de mieux comprendre les infections bactériennes et leur mécanisme biologique. Plus on connaît ces mécanismes, plus il sera facile de développer des traitements et vaccins pour limiter les infections. Je m’intéresse plus particulièrement à la bactérie appelée Neisseria Meningitidis qui cause certaines formes de méningite. J’aimerais que la méthode que j’essaye de développer puisse servir de modèle pour l’étude d’autres virus et bactéries.

Viviana Scoca : Je suis originaire de Rome, où j’ai fait un master de génétique et biologie moléculaire. Je suis arrivée à Paris il y a quatre ans pour faire mon doctorat à l’institut Pasteur. Je souhaitais rejoindre l’équipe de Francesca Di Nunzio car les sujets sur lesquels elle travaille m’attiraient beaucoup. Dans le cadre de ma thèse, j’étudie la virologie moléculaire, c’est-à-dire les dynamiques d’un virus dans les cellules. Je m’intéresse particulièrement au VIH et à son interaction avec les cellules, notamment la réplication du virus au sein du système cellulaire. J’aime comprendre les mécanismes du vivant et je me suis dit que travailler sur le VIH, qui est l’une des plus grandes pandémies de notre siècle, était d’intérêt public. Ainsi, je souhaitais que mon travail puisse s’appliquer au niveau clinique. Mes recherches pourront être utilisées par des chercheur·es qui font de la recherche plus appliquée pour améliorer les traitements ou en trouver de nouveaux.

Avez-vous des projets pour le futur ?

Lucienne Nouchikian :  Ma thèse se termine dans un an et je n’ai pas encore choisi quel chemin j’allais emprunter. J’aimerais diriger une équipe ou aider des entreprises et des associations qui veulent vulgariser les connaissances scientifiques.

Viviana Scoca : J’ai candidaté pour un contrat postdoctoral à l’université de Columbia, à New-York. Je travaillerai sur les cancers du sang, hématologiques et les leucémies. Je pourrai utiliser les connaissances que j’ai acquises à l’Institut Pasteur pour les appliquer aux cancers. Par la suite, je souhaite revenir en France ou en Italie pour constituer ma propre équipe de recherche. Mais il est compliqué de financer la recherche en Italie, encore plus qu’en France où la situation est déjà compliquée. J’aimerais également enseigner à l’université, car la transmission est importante pour moi.

Avez-vous rencontré des obstacles en tant que femme dans le milieu scientifique ? 

Lucienne Nouchikian : Je n’ai pas vécu de sexisme, j’ai été très chanceuse car j’ai travaillé dans des équipes dirigées par des personnes bienveillantes et ouvertes d’esprit, contrairement à certaines de mes amies qui sont dans d’autres laboratoires qui ont parfois vécu des expériences sexistes dans le milieu de la recherche scientifique.

Viviana Scoca : Pour moi, le plus gros défi en ce qui concerne l’égalité de genre dans les sciences, c’est la sous-représentation des femmes. Cela peut s’avérer être un véritable obstacle, notamment lorsque l’on prend des décisions. Je n’ai pas vécu de discriminations explicites, mais le fait d’être moins nombreuses que les hommes peut nous amener à questionner notre légitimité. Cela se manifeste également lorsque l’on envisage de fonder une famille. Les injonctions sociales à l’égard du travail et de la carrière peuvent nous décourager à vouloir entreprendre des projets et des recherches qui demanderont beaucoup d’investissement personnel et de travail. De mon côté, je pense que le fait d’avoir une cheffe et une équipe composée majoritairement de femmes m’a permis de ne pas être confrontée à de vrais obstacles liés à mon genre. De manière générale, la biologie est un domaine très mixte. De plus, l’Institut Pasteur fait attention à ces questions. Néanmoins, la sous-représentation des femmes persiste concernant des postes importants au sein de l’Institut et, plus largement, dans le milieu scientifique. Par exemple, on retrouve plus d’hommes que de femmes dans des disciplines comme la bio-informatique ou les mathématiques. Toutefois, il est important de comprendre que cette différence n’est pas inhérente à un manque d’intérêt féminin pour ces domaines. L’inégalité est plutôt le résultat d’une pression sociale qui pousse les femmes à ne pas s’orienter vers les études ou la recherche scientifiques, en particulier à cause du manque de représentation dans ce milieu. J’ai remarqué au cours de ma thèse que le fait d’être entourée de femmes m’a beaucoup encouragé. Je n’ai jamais douté du fait que je pourrais poursuivre mon travail de recherche après le doctorat, notamment parce que j’avais des modèles féminins autour de moi.

Vous êtes lauréates du prix Jeunes Talents l’Oréal-UNESCO, que représente cette récompense pour vous ? 

Lucienne Nouchikian : Je suis très honorée d’avoir reçu ce prix. Il me donne le sentiment d’être un modèle pour les femmes qui aimeraient travailler dans les sciences. J’ai moi-même toujours cherché à avoir des modèles, surtout parmi les femmes scientifiques. Et avec ce prix, c’est moi qui suis devenue un modèle, c’est très gratifiant. C’était aussi l’occasion de rencontrer d’autres femmes scientifiques qui travaillent dans d’autres domaines, c’était une expérience très enrichissante.

Viviana Scoca : Je trouve que l’Oréal et l’UNESCO font un travail formidable avec cette initiative qu’ils gèrent chaque année. Nous avons reçu une somme d’argent qui peut nous permettre de poursuivre notre formation. Mais au-delà de cette rétribution, nous avons aussi participé à un séminaire d’une semaine où nous nous sommes toutes retrouvées. Nous avons travaillé sur le leadership, la confiance en soi, nous avons parlé des façons de négocier nos salaires et des manières de gérer des commissions décisionnelles. Ces différentes formations nous permettent de continuer notre travail de chercheuses en étant plus éveillées à des enjeux sociaux et professionnels importants. De manière générale, j’ai appris à répondre à des situations auxquelles je peux être confrontée en tant que femme. Partager ce moment avec d’autres chercheuses nous a aussi permis de créer un réseau et de partager nos différentes expériences. Nous avons pu partager nos expériences et apprendre des autres. Pour moi, c’est la chose la plus importante du prix, qui existe aussi pour nous encourager et nous montrer que nous avons une place en tant que femmes dans les sciences.

Propos recueillis par Emilie Gain 50-50 Magazine

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