Brèves Prostitution et traite des êtres humains à visée d’exploitation sexuelle : verdict à la hauteur des préjudices
« Cette audience est dédiée aux victimes, à qui nous disons que nous les croyons et que nous les soutenons »
Ces mots, prononcés lors du réquisitoire de Madame la Procureure de la République mercredi 19 octobre, prennent tout leur sens aujourd’hui alors qu’est rendu le délibéré concernant le procès dit « Papa Zion ».
Cette « audience marathon », pour reprendre les termes du réquisitoire, s’est tenue du 10 octobre au 20 octobre inclus. Sur une journée entière, sept victimes accompagnées par l’Amicale du Nid ont été successivement entendues à la barre. Leurs témoignages, d’une immense dignité en dépit de l’horreur décrite, ont permis à la justice d’entendre et d’appréhender au plus près la réalité de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle : du recrutement à l’exploitation, elles ont relaté leur parcours et leur combat pour s’en sortir. L’Amicale du Nid, dont la représentante a également été entendue à la barre en tant que partie civile, s’est attachée à démontrer l’importance que revêt l’accompagnement social et l’action d’aide aux victimes menés par l’association pour assurer notamment la mise à l’abri, la sécurisation, la verbalisation des violences vécues et, ainsi, la libération de la parole des victimes. L’association a également souligné à cette occasion l’aspect profondément genré de l’organisation des réseaux de TEHES ; les donneurs d’ordre étant des hommes, qui n’ont nullement à payer le prix de leur personne, de leur corps et de leur dignité pour mener à bien leur trafic ; contrairement à leurs victimes. « Une victime de TEHES coûte, en Europe, 2500 dollars : autant que 800 grammes de métamphétamines. C’est bien peu. Au regard des dettes imposées aux victimes, entre 35 000 et 55 000 euros, je vous laisse imaginer les bénéfices de ce trafic et la vision qui est celle des femmes exploitées » a rappelé la représentante de l’Amicale du Nid à la barre. Lucratif, le commerce des victimes de traite est aussi éminemment déshumanisant ; les femmes étant traitées et décrites à la barre comme des biens de consommation, encore moins bien traitées que des objets ; « car un objet, au moins, on en prend soin », a rappelé l’avocate d’une partie civile.
« Ces femmes doivent être la première génération de femmes libres »
Ainsi, en suivant les réquisitions de Madame la Procureure, la justice a rendu son verdict. Les trois principaux mis en cause ont été condamné.es à 10 et 9 ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt ; des peines de 5 et 6 ans de prison ont été décidées pour cinq mis.es en cause, avec mandat également, quand deux ont été condamnées à trois ans. Sept prévenu.es sont concerné.es par des interdictions de retour sur le territoire français.
Au-delà de la sévérité des peines prononcées, que l’Amicale du Nid salue, la justice a également prononcé lors de ce délibéré la condamnation solidaire des prévenu.es à verser des sommes comprises entre 40 000 et 50 000 aux victimes constituées. De la même manière, l’Amicale du Nid a obtenu les 12 000 euros de dommages et intérêts demandés dans le cadre du chiffrage de son préjudice. Cette indemnisation, qui sera utilisée pour financer les déplacements et démarches des victimes de TEHES et de proxénétisme dans tous les établissements, est la reconnaissance du travail fourni par l’association et son rôle essentiel dans le long combat des victimes pour obtenir justice. Cette reconnaissance constitue une avancée majeure pour l’association, particulièrement au regard des constitutions de partie civile en cours et envisagées.
Ce procès représente une étape essentielle pour la reconnaissance, par la justice française, des souffrances endurées par les victimes ; mais aussi en ce qui concerne la condamnation sociétale des réseaux de TEHES. Car si « La justice n’effacera pas le passé », elle « peut aider à la reconstruction, pour pouvoir avancer. […] Le message doit être entendu au-delà des murs de cette salle […] Oui, il est possible de parler. Malgré les pressions, malgré la peur.
En condamnant les auteurs, nous pouvons rompre ces chaînes qui avilissent […] Pour cesser le passage de l’oppressé à l’oppresseur, ces femmes [entendues à l’audience] doivent être la 1e génération de femmes libres »