Articles récents \ Monde \ Europe Les Pussy Riot en guerre contre Poutine
« Au nom de la Fédération de Russie, pauvreté, meurtre, peines, sanctions » : Le groupe russe Pussy Riot dévoile un clip trash et engagé contre la guerre en Ukraine et Vladimir Poutine. Le groupe moscovite de musique punk Pussy Riot est déjà bien connu des Russes et des services de police. Depuis les campagnes présidentielles de 2012, les quatre femmes qui le composent enchaînent les morceaux et les performances engagées contre Vladimir Poutine : Ekaterina Samoutsevitch, Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina avaient déjà été emprisonnées plusieurs mois en camp de travail pour leur militantisme contre le pouvoir en place.
Ces femmes sont notamment connues pour s’être opposées et avoir dénoncé publiquement l’arrestation d’Alexeï Navalny, la violation des droits de l’homme en Russie, mais aussi la loi anti-avortement aux Etats Unis, la Coupe du Monde au Qatar, ou encore le sort des femmes iraniennes, toujours en mélangeant les codes de la musique, et de la désobéissance civile militante. Malgré les procès, les arrestations, et même une potentielle tentative d’empoisonnement, le collectif continue de poursuivre son combat.
Le groupe féministe a sorti sur la toile fin décembre dernier un clip équivoque intitulé « Maman, ne regarde pas la télé ! » ( МАМА, НЕ СМОТРИ ТЕЛЕВИЗОР), dénonçant la guerre en Ukraine, la propagande du Kremlin, la répression et les crimes de guerre en territoire ukrainien. Le clip mélange des images de concerts, des extraits télévisés, et des vidéos ou l’on voit les quatre artistes encagoulées descendre dans des souterrains ou taguer dans les rues. On y remarque entre autres un plan-séquence d’une jeune femme ( Olga Borisova) assise à un café, absorbée dans sa lecture, tenant entre ses mains l’exemplaire N° 39 du Franc-Tireur, le périodique français de Caroline Fourest et Raphael Enthoven, titré à la une par la question « Après l’Ukraine, Taiwan ? ».
Voir le clip
Le clip recoupe également des extraits de passages télévisés des derniers mois sur la guerre en Ukraine : on y voit la séquence devenue emblématique de la journaliste Marina Ovsyannikova qui interrompt le direct de l’émission d’Etat russe Pervy Kanal avec une pancarte ( la phrase « ils vous mentent » y était lisible). On voit des valises ensanglantées, dont le sang coule jusque dans les rues et que les passant.es enjambent, des camions militaires flanqués du grand Z ( symbole du soutien à l’invasion russe), des explosions, des tombes, des militaires russes filmés par des caméras de surveillance. Le clip s’achève sur une image de l’une des chanteuses, sur scène en plein concert, filmée en train d’uriner sur un portrait de Vladimir Poutine. Ces dernières années, plusieurs des membres ont d’ailleurs été condamnées pour « propagande nazie », chef d’accusation systématique du Kremlin pour étouffer et décrédibiliser les critiques du pouvoir en place. « Je suis en captivité, ne regarde pas la TV Maman, il n’y a pas de nazi ici » ( мама, я в плену, не смотри телевизор, Мама, здесь нет никаких нацистов) dit la chanson, reprenant les paroles d’un officier russe fait prisonnier et téléphonant à sa mère. Le clip fait également référence aux motifs propagandistes de « mission humanitaire contre les néo-nazis ukrainiens » invoqués par Poutine pour justifier l’intervention en Ukraine. « Pourquoi la guerre est appelée opération spécialisée ? Spécialisé ? Je ne comprends pas ».
Ce clip pose de véritables interrogations quant à l’hermétisme complet qui caractérise selon les médias occidentaux la population russe. « Les Russes prennent avec énormément de pincettes ce que dit la propagande télévisée dans les émissions officielles de débat. En revanche, ça a un effet certain sur notre perception [occidentale] » comme le suggère la sociologue et spécialiste des sociétés post-soviétique Anna Colin Lebedev, interrogée sur les clips de propagande diffusés par l’état russe. Difficile cependant de savoir quelle réception ce clip a pu générer chez les quelques russes susceptibles d’accéder à ce type de contenu. La vidéo est en vérité bien davantage destiné à un public international, comme le suggère la description du clip sur YouTube, écrite en anglais « We believe that Putin’s regime is a terrorist regime, and Putin himself, his officials, generals and propagandists are war criminals. ». Les Pussy Riot réclament par ce clip un embargo sur le pétrole, le gaz russe, l’arrêt des ventes d’arme et de munitions au Kremlin, mais également des sanctions économiques contre les « fonctionnaires et oligarques russes », et enfin, « un tribunal international pour juger Vladimir Poutine, les employé.es de la propagande d’Etat russe, les officiers de l’armée et tous ceux qui sont responsables du génocide de la nation ukrainienne. »
« En Russie, les féministes contre la guerre », titrait le Monde en octobre 2022. En interne et en externe, l’action des groupes féministes russes sont un relais important pour comprendre l’enjeu du lien entre les femmes et la guerre, et l’engagement des populations sous dictature. Il est également positif de souligner que les Pussy Riot bénéficient d’un certain soutient international, bien qu’encore trop peu affirmé : en 2014 déjà, Europe Ecologie Les Verts demandait à ce que les membres du groupe se voient attribuer la citoyenneté d’honneur de Paris, Jean-Philippe Magnen (1) ayant stipulé que « l’acharnement contre les Pussy Riot montre la crainte du pouvoir russe face à une contestation interne qui ne cesse d’augmenter. » Vladimir Poutine avait déjà dénoncé le soutien occidental, dont les groupes protestataires et féministes continueront d’avoir besoin.
Thelma de Saint Albin 50-50 Magazine
1 Jean-Philippe Magnen fut porte-parole d’Europe Écologie Les Verts entre 2012 et 2013