France \ Politique \ La diplomatie à l’épreuve du féminisme Céline Thiebault-Martinez: « Quand la France agit en faveur des droits des femmes, le monde nous regarde »

Céline Thiebault-Martinez est présidente de la Coordination pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF) depuis le mois de juin 2022 en tant que représentante de l’Assemblée des Femmes. La CLEF est une coordination d’associations féministes françaises qui agit au niveau national, européen et international pour les droits des femmes.

Quel a été votre parcours ?

Je suis féministe depuis ma plus tendre enfance puisque ma mère avait des idées féministes, mais elle ne le savait pas. Quand je suis arrivée à l’université, j’ai été très intéressée par les questions politiques. J’ai fait du syndicalisme étudiant, j’ai été engagée dans une organisation étudiante l’UNEF, indépendante et démocratique. Cet engagement m’a vraiment structuré politiquement. Ensuite, je me suis engagée dans un parti, où j’ai rencontré des gens extrêmement intéressants qui m’ont donné une culture politique par des formations de fond, en particulier sur le féminisme. Disons que mon féminisme structuré vient de cette époque-là, à ma vingtaine.

Au niveau professionnel, mon parcours est marqué par la mutualité, puisque j’ai travaillé sur la santé, la prévention au travail dans des mutuelles. En 2014, Laurence Rossignol que je connaissais quand elle a été nommée ministre, cherchait quelqu’un pour traiter de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées au sein de son cabinet. C’est ainsi que je l’ai rejoint pendant deux ans. Puis, quand elle est devenue ministre en charge des Droits des Femmes, je l’ai suivie en tant que conseillère à l’égalité professionnelle. Ensuite, au bout de quelque temps, je suis devenue sa directrice adjointe de cabinet. Cette expérience-là m’a vraiment baignée, imprégnée de l’environnement féministe. Je suis passée de mes idées, de la théorie, des convictions que j’avais, à quelque chose de bien plus pratique, en phase avec l’environnement féministe du moment.

Aujourd’hui je suis salariée dans le secteur de la protection sociale et présidente de la Coordination pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF) qui est un engagement bénévole. Il n’est pas possible d’adhérer à la CLEF en tant que personne individuelle. C’est forcément une association qui adhère et les membres du conseil d’administration sont les représentant·es de leur association. Je suis donc présidente en tant que représentante de l’Assemblée des Femmes.

Présentez-nous la CLEF ?

La CLEF est une coordination d’associations féministes françaises. C’est une structure qui a été fondée par Yvette Roudy à un moment où les femmes n’étaient pas représentées ou pas suffisamment défendues au niveau européen. Elle a contribué à la création du Lobby Européen des Femmes (LEF) constitué de coordinations nationales. La CLEF est la coordination française du LEF. À ce titre, la CLEF dispose donc d’une représentante au LEF et la présidente de la CLEF est également membre du LEF.

Comment travaillez-vous avec le Lobby Européen des Femmes ?

Nous sommes en lien avec le Lobby de façon quasi quotidienne. Tout ce qui se passe au niveau européen sur les droits des femmes est suivi par le Lobby. Toutefois, les positions de chaque association féministe nationale ne sont pas forcément en accord avec toutes les positions du Lobby. Par exemple, en ce moment, il y a un projet de directive qui est en cours pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles au niveau européen. Il y a des aspects qu’en tant que Françaises, nous aimerions faire rentrer dans la directive mais nous savons qu’au niveau du lobby nous ne sommes pas majoritaires. Par exemple, sur la question de la prostitution, la France est un pays abolitionniste, ce qui n’est pas la position du Lobby aujourd’hui parce qu’il y a un certain nombre de féministes en Europe qui ne sont pas favorables à cette position. Je suis foncièrement abolitionniste et j’ai aucun doute sur la nécessité d’abolir la prostitution.

Dans le cadre du travail sur la directive, le LEF fait son lobby auprès des institutions européennes. Nous demandons régulièrement des positions, des interventions auprès de nos représentations permanentes, des envois de courrier à nos ministres des Affaires Européennes, nos ministres des Droits des Femmes pour pousser les positions du LEF. Dans le cas où le Lobby ne peut pas porter certains sujets, parce que nous ne sommes pas tou·tes d’accord, par l’intermédiaire des associations membres de la CLEF, nous pouvons avoir des interventions en direct auprès des institutions européennes.

Et au niveau national, comment la CLEF s’implique-t-elle dans la politique ?

J’ai l’habitude de dire que quand la France agit en faveur des droits des femmes, le monde nous regarde. On dit que la France est le pays des droits de l’homme. C’est aussi le pays des droits des femmes : l’abolition de la prostitution est inscrite dans notre loi. En ce moment, il y a des débats sur le droit à l’IVG et nous avons obtenu une victoire avec le vote du Sénat sur la possibilité d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution… Aussi, la France est un des rares pays à avoir une diplomatie féministe, la Suède, par exemple, a abandonné sa diplomatie féministe en septembre dernier, à la suite de l’élection d’un nouveau gouvernement. Pour beaucoup de femmes dans le monde, la France est un modèle à suivre et c’est un point d’appui pour faire avancer les choses !

Par rapport à ce qui s’est passé en juin aux États-Unis sur l’IVG, c’était vraiment très rassurant de voir qu’en France, le mouvement féministe a été capable de se saisir de cette crise américaine. Depuis le mois de juin, la CLEF et d’autres organisations se mobilisent avec leurs propres moyens, mais de façon coordonnée, pour essayer de faire avancer cette idée de l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution. Par exemple, le Planning Familial le fait parce que c’est son identité. Pour la CLEF cela fait sens de se mobiliser au niveau national car nous portons une voix à l’international. Nous savons qu’à l’international beaucoup de nos sœurs ne savent pas demain comment elles feront pour continuer à accéder à l’IVG. C’est très compliqué. Et ce n’est pas le cas seulement aux États-Unis ou en Pologne, c’est aussi le cas en Italie, en Suède où personne ne peut dire comment la situation pourrait évoluer… Dès qu’il y a une crise politique, dès que la démocratie, les valeurs humanistes sont en recul, les droits des femmes passent à la trappe.

Trouvez-vous que le mouvement féministe français est assez internationaliste ?

C’est une bonne question… Je pense que les sujets qui sont portés par le mouvement féministe français, restent des sujets très franco-français en majorité. Mais est-ce un problème ? Il y a des organisations qui ont assez conscience de l’importance de l’Union Européenne par exemple. Je pense que globalement les organisations féministes françaises sont sur des problématiques françaises et certaines d’entre elles ont des déclinaisons internationales.

Quels sont les prochains événements qui auront lieu avec la CLEF ?

Nous avons une actualité un petit peu chargée. Nous serons à New York à la 67e Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW) la semaine du 8 mars. Nous avons proposé à la ministre Isabelle Rome un événement officiel, soutenu par la France sur la cyberpornographie. Dans le cadre de l’ONU, la CSW est une manifestation internationale de très grande importance. Nous souhaitons présenter aux autres organisations internationales l’impact de la cyberpornographie sur l’éducation des jeunes et sur les rapports entre les filles et les garçons en nous appuyant notamment sur le rapport du Sénat “Pornographie l’enfer du décor” qui montre que la pornographie de manière générale est une violence à l’encontre des filles et des femmes. Dans ce rapport, il y a un volet sur la cyberpornographie.

Nous profiterons de notre présence à New York pour faire un Mardi de la CLEF, débat qui se tiendra le 8 mars et qui portera sur la diplomatie féministe. Nous aurons des intervenantes à New York mais également à Paris.

Le 21 mars, nous organisons un webinaire avec le LEF afin de présenter aux autres coordinations nationales d’Europe, les travaux conduits par le Sénat sur la pornographie et les actions judiciaires conduites par Osez Le Féminisme, dans l’affaire dite du French bukkake.

Aussi, tous les premiers mardis du mois nous faisons, à la Cité Audacieuse, en présentiel et en visio-conférence un événement sur les droits des femmes avec 3 ou 4 intervenantes. Dernièrement nous avons parlé des métiers du Care, puisque nous avons une stratégie du Care qui a été déployée par l’Union Européenne en début d’année dernière. Nous avons également fait un mardi de la CLEF sur la pédocriminalité.

Propos recueillis par Camille Goasduff 50-50 Magazine

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