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Une nouvelle place pour les artistes féminines dans les musées

Depuis 2019, les musées semblent porter davantage d’intérêt aux artistes féminines, jusqu’alors très peu représentées lors de rétrospectives ou d’expositions thématiques. Qu’il s’agisse d’un choix intéressé de la part des institutions en réponse aux mouvements féministes actuels ou d’une volonté de mettre en lumière davantage de femmes artistes, ces expositions sont l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des artistes qui figurent rarement dans les livres d’histoire ou dans les collections permanentes des musées.

De nombreuses artistes féminines ont été exposées ces dernières années dans les musées parisiens à travers des rétrospectives, comme celles dédiées à Georgia O’Keeffe au Centre Pompidou ou à Rosa Bonheur au musée d’Orsay, mais aussi à l’occasion d’expositions thématiques consacrées à des femmes artistes, comme « Peintres Femmes 1780-1830. Naissance d’un combat » au musée du Luxembourg ou encore « Elles font l’abstraction » au Centre Pompidou, pour ne citer qu’elles. 

Les institutions semblent porter un intérêt nouveau aux artistes féminines, longtemps délaissées par les musées. Si Paris est un exemple en la matière, nous pouvons aussi constater cette tendance dans d’autres villes françaises mais aussi à l’international. Le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) de Lorraine a notamment consacré plusieurs expositions à des artistes féminines, comme l’artiste afro-américaine Betye Saar ou l’artiste norvégienne Hanne Lippard. En Grande-Bretagne, le Tate adopte également une politique culturelle qui vise à mettre davantage en lumière des femmes artistes. C’est dans ce contexte qu’ont pris place différentes expositions, comme celle consacrée à la peintre et autrice londonienne Lynette Yiadom Boakye ou encore au duo de peintres anglaises Hannah Quinlan et Rosie Hastings. On retrouve également cette mouvance aux Etats-Unis. En 2023, sept musées états-uniens exposeront l’artiste contemporaine Tamara Kostianovsky et l’artiste et sculptrice Sarah Sze sera exposée au musée Guggenheim de New-York. Cette liste d’exemples, loin d’être exhaustive, montre une volonté de la part des institutions culturelles de visibiliser les femmes artistes.  

Une place dans les collections permanentes ? 

Si ces nombreuses initiatives semblent présager davantage de reconnaissance pour les artistes féminines, il est nécessaire de s’intéresser à leur place dans les collections permanentes des musées. 

Dans les années 1980, les Guerrilla Girls, un collectif d’artistes plasticiennes, soulignent le manque de représentations féminines dans les musées. En 1989, elles produisent une affiche qui détourne La Grande Odalisque d’Ingres, en remplaçant la tête du modèle par celle d’un gorille et ajoutant cette phrase : “Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? Moins de 5% des artistes de la section d’art moderne sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins.” Qu’en est-il aujourd’hui de la représentation des femmes artistes dans les musées ? 

Plusieurs études permettent de faire un état des lieux de cette représentation. Joconde, le catalogue collectif des collections des musées, répertorie les œuvres et objets des musées français, quelle que soit leur taille ou leur thématique. En 2021, parmi les 500 000 pièces recensées sur le site, seulement 20 575 étaient le fruit d’artistes féminines, soit 4% de l’ensemble des œuvres et objets. Au Louvre, seule une trentaine d’œuvres exposées sont signées par des femmes, tandis qu’au musée d’Orsay, parmi les 2 387 œuvres exposées, on en décompte seulement 76. En revanche, les artistes féminines représentent 18,5% des artistes exposées au Centre Pompidou, la majorité d’entre elles étant nées après 1970. Comme le souligne la journaliste Anne Chépeau, il semble plus facile pour des musées d’art contemporain d’acquérir des œuvres de femmes artistes. En effet, les artistes féminines ont progressivement été effacées de l’histoire de l’art et il peut être plus difficile d’accéder à leur travail. 

De plus, si des initiatives visent à mettre en avant davantage d’artistes féminines dans les collections permanentes des musées, une étude de la revue en ligne PLOS One publiée en mars 2019 relève que 87% des artistes présentés dans les 18 grands musées des Etats-Unis sont des hommes. Une autre étude, toujours réalisée aux Etats-Unis en 2019, montre que le nombre de femmes artistes intégrées au collection permanente n’a en réalité pas augmenté en 10 ans et qu’il a même diminué, passant de 11% d’acquisitions et expositions réalisées par 26 grands musées états-uniens, contre 14% au cours de la décennie précédente.

Toutefois, certains musées, notamment aux Etats-Unis, semblent vouloir intégrer davantage de femmes artistes dans leurs collections permanentes. Le musée de Baltimore, dans l’Etat du Maryland, est un bon exemple de ces nouvelles politiques muséales. En 2018, ce musée met en vente sept œuvres d’artistes américains renommés, dont Robert Rauschenberg et Andy Warhol, afin d’acquérir des œuvres d’artistes féminines et afro-américain·es. Dans les mois qui ont suivi, le musée a acquis 11 nouvelles œuvres, dont 5 réalisées par des femmes. La politique du musée se poursuit en 2020, à l’occasion du centenaire du droit de vote des femmes. Le musée choisit, en effet, d’acquérir et d’exposer uniquement des œuvres d’artistes féminines. À cette occasion, il accueille une rétrospective consacrée à la peintre Joan Mitchell, par la suite exposée en France en 2022 à la Fondation Louis Vuitton. Quant aux MoMA, entre 2015 et 2019, les galeries des 4ème et 5ème étages sont passées de 7% d’œuvres d’artistes féminines exposées à 28%. 

Par ailleurs, des galeristes comme Eric Dereumaux et Françoise Livinec notent que les femmes artistes sont de plus en plus présentes sur le marché de l’art, avec des prix de plus en plus élevés, ce qui montre un intérêt croissant pour ces œuvres de la part des galeries et institutions.

Parler des artistes féminines

À l’automne 2022, l’historienne de l’art britannique Katy Hessel publie un ouvrage intitulé Histoire de l’art sans les hommes (1). Ce livre prend le contre-pied des livres d’histoire de l’art les plus reconnus, comme celui d’Ernst Gombrich qui ne mentionne aucune artiste féminine lors de sa première publication en 1950 (2). L’un des objectifs de Katy Hessel est notamment de parler de ces artistes sans qu’elles soient reliées à leur entourage masculin, ce qui n’est pas une mince affaire. Lors de l’exposition consacrée à Georgia O’Keeffe au Centre Pompidou en 2021, la biographie de l’artiste était étroitement mêlée à celle de son conjoint, Alfred Stieglitz. Même s’il a pu avoir un rôle important dans sa carrière, les détails de sa vie ne semblaient pas nécessaires pour cerner l’œuvre de l’artiste. Au cours d’une interview réalisée pour le site Artnet News, Katy Hessel note à ce propos : « Lorsque je lis une courte biographie de femme artiste, elle fait beaucoup trop souvent référence à sa relation avec un homme. Pour être honnête, j’en ai un peu marre. Dora Maar est toujours associée à sa relation avec Picasso et j’ai envie de hurler pour dire que Dora Maar était une incroyable photographe de rue et artiste surréaliste, et qu’elle était extraordinaire. Mais à quelle fréquence son nom apparaît-il lorsqu’on raconte l’histoire de Picasso ? » En effet, les expositions d’artistes masculins mentionnent généralement leur compagne de manière anecdotique, même lorsqu’elles ont eu un rôle important à jouer dans leur travail, voire même lorsqu’elles ont largement collaboré avec eux. C’est d’ailleurs ce qui a pu contribuer à l’invisibilisation de certaines artistes, comme Josephine Nivision, femme du peintre Edward Hopper, dont le travail à largement été détruit par le Whitney Museum de New-York par manque de place. En outre, certaines artistes reconnues de leur vivant, comme Rosa Bonheur ou Artemisia Gentileschi, ont été effacées de l’histoire de l’art au fil du temps. 

Katy Hessel est également l’hôte d’un podcast, The Great Women Artists, dans lequel elle reçoit des artistes contemporaines qui viennent parler de leur travail. D’autres initiatives visent également à mettre en lumière le travail d’artistes féminines. En France, la journaliste Marie-Stéphanie Servos est l’hôte de Femmes d’Art, un podcast qui met également en avant des femmes artistes, tandis que Julie Beauzac aborde les discriminations, en particulier le sexisme, dans l’art dans son podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ? Enfin, l’association française AWARE (Archive of Women Artistes, Research and Exhibition), fondée en 2014 par la conservatrice et commissaire d’exposition Camille Morineau, a pour ambition de rendre visible des artistes féminines du XIXème et XXème siècle. Pour prolonger ce travail, AWARE a mis en place deux réseaux internationaux : TEAM (Teaching, E-learning, Agency, Monitoring) dont l’objectif est de collecter et de publier des travaux de recherche sur des femmes artistes, et AMIS (AWARE Museum Initiative and Support), qui a pour vocation de mettre en lien des musées du monde entier pour collecter et partager des recherches sur des artistes féminines lors d’expositions ou d’acquisitions. 

Il faudra sans doute attendre encore quelques années pour affirmer que les femmes artistes ont enfin leur place dans les musées, mais ces différents exemples montrent une évolution au sein des institutions. 

Emilie Gain 50-50 Magazine

1 Katy Hessell, The Story of Art Without Men, London, Penguin, 2022.

2 Ersnt Gombrich, The Story of Art, London, Phaidon, 1950.

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