Articles récents \ France \ Société Nos corps ne sont pas des tendances! Le retour de la tendance Héroïne chic

La Fashion Week 2023 annonçait les tendances modes de cette année. Parmi elles, la minceur. Plus aucun mannequin de grande taille n’est présente sur les défilés, les femmes sont filiformes, et l’univers est sombre. Cette Fashion Week annonce le retour d’une tendance, celle de l’Héroïne Chic. 

Cette tendance a été popularisée dans les années 90 par des marques tel que Calvin Klein qui mettait en avant des mannequins d’une grande maigreur, avec par exemple la célèbre mannequin Kate Moss. L’Héroïne chic consiste donc en une maigreur assumée, un culte absolu de la minceur. Seulement cela ne s’arrête pas là, cette tendance ne s’arrête pas au physique, il prône tout un mode de vie pervers et dangereux.

Gia Carangi, un destin tragique

Les années 80 marquent le début de l’ère des tops model. A ce moment-là des mannequins telles que Cindy Crawford, lancent la tendance des corps minces, sportifs et en bonne santé, avec notamment l’arrivée en masse du fitness. Les photos de mode mettent en scène ce nouveau standard de beauté, un univers glamour, presque parfait, très propre et épuré. Peu de temps après, une nouvelle tendance émerge, avec une esthétique distincte.  Cheveux mal coiffés, vêtements déchirés, cernes, une esthétique beaucoup plus sombre apparaît. Les mises en scènes sont glauques, dans des toilettes, des ruelles ou encore des usines désaffectées. C’est une toute nouvelle direction artistique, mettant en scène un mode de vie sordide. L’origine de cette nouvelle tendance : une mannequin, Gia Carangi, considérée comme l’une des premières supermodels.

Originaire de Philadelphie, arrivée sur New York à 17 ans, Gia Carangi se fait alors tout de suite remarquée en 1977 dans un club. Elle attire l’œil de Maurice Tannenbaum : « C’était la plus belle chose que je n’avais jamais vue. Cette fille était physiquement parfaite en tous points de vue. ». Crinière brune et bouclée, veste en cuir, Levis 501, elle assume son homosexualité et arbore un style rock qui sera sa signature, et la distinguera des autres mannequins, alors toutes blondes et coquettes à cette période. S’en suit alors une véritable ascension, elle devient la mannequin favorite des grands photographes, elle pose pour de grandes marques telles qu’Armani, fait la Une de grands magazines, Salvador Dali veut même faire d’elle sa muse.

Malheureusement sa carrière fulgurante sera de courte durée. D’un point de vue personnel, Gia Garangi enchaine les drames, son rythme de vie ne cesse de s’accélérer, et elle tombe petit à petit dans la drogue dure. Elle commence à prendre de la cocaïne pour ensuite devenir héroïnomane, tout en continuant de briller devant l’objectif. L’image de ce mode de vie plait aux photographes qui mettent alors en scène un côté plus sombre de la vie des femmes. C’est une véritable glamourisation de son mode de vie sinistre.

« Elle portait toujours des manches longues. Le jour de notre rendez-vous, je lui ai demandé de me montrer ses bras. Elle a refusé, mais j’adorais son look et j’avais envie de la faire travailler », Monique Pillard (1). Même si son héroïnomanie est connue dans le milieu, l’agence dans laquelle elle travaille voit toujours le mannequin comme une poule aux œufs d’or.

Gia Carangi se fera tester séropositive et décèdera à l’âge de 26 ans des suites du Sida. Peu de temps après, l’actrice Angeline Jolie incarnera son rôle dans un film éponyme, retraçant la vie de ce que certain·es considèrent comme étant la première supermodels. Gia Carangi devient alors une véritable icône de mode de par son physique et son mode de vie.

L’air Héroïne chic 

Le monde de la mode commence à vouloir tendre vers le mode de vie qu’incarnait Gia Carangi. Sur les podiums, on voit apparaitre des mannequins filiformes, de plus en plus maigres, avec un teint blafard, des cernes, un look très négligé, presque grunge. Ce tournant dans le monde de la mode marque le début du culte de la maigreur.

La mannequin Kate Moss incarnera parfaitement cette tendance et deviendra le nouveau visage de l’héroïne chic, elle déclarera même : « Rien n’a meilleur gout que le gout de la minceur ». La mannequin ne s’est d’ailleurs jamais cachée de manger très peu et de sauter des repas, afin de garder un corps très mince. La tendance héroïne chic est alors complètement démocratisée et les corps qui vont avec. Ce mode de vie entraine alors des comportements dangereux, allant même jusqu’aux troubles du comportement alimentaire, anorexie, boulimie, surtout chez les plus jeunes, dans le but de ressembler à ces idoles. Des années 90 jusqu’aux années 2000, les magazines, films, tous les médias mettent en avant des corps de stars presque anorexiques. Paris Hilton qui était également une grande icône de l’époque, ne se cachait pas de ne quasiment rien manger pour avoir ce physique. Le nouveau standard de beauté étant la maigreur absolue.

Nouveaux standards de beauté

Commence alors une nouvelle aire, appelée Slim Sick. Le Rnb et le Rap prenant de plus en plus d’ampleur, des artistes appartenant à la communauté noire sont alors très médiatisé·es. Apparaissent des physiques plus ordinaires, avec des femmes ayant plus de formes. Kim Kardashian va être la nouvelle icône des années 2010, et impose un nouveau standard de beauté. Bien que ce standard soit très discutable, il laisse place à plus de formes, plus de rondeurs tout en restant dans le contrôle. Des corps en sablier, des fessiers et une poitrine généreuse, et une taille de guêpe émergent. Ce nouvel air a permis de changer les critères du monde de la mode et a laissé par exemple place à des mannequins plus size dans les défilés. Dans les médias on observe globalement une plus grande diversité de corps.

Seulement voilà, en cette fashion Week 2023, aucun mannequin plus size, et une nouvelle icône : Bella Hadid. Une nouvelle mannequin filiforme, qui remet au gout du jour tous les standards de beauté de l’air Héroïne Chic. Kim Kardashian, apparait également plus fine que jamais dans une robe de Marilyn Monroe au Met Gala. Sur TikTok, les adolescentes montrent fièrement leur ventre plat, et prônent des régimes à base de glaçons pour atteindre ce corps… c’est un retour en arrière inquiétant. D’une façon générale, on observe un retour de l’esthétique des années 2000, que ce soit dans le style vestimentaire, mais aussi dans l’apparence physique.

Ne nous soumettons pas à ces standards

Cette tendance pose plusieurs problèmes. Premièrement, on observe que la perte de poids d’une personne est glorifiée. La société valorise la minceur, encourage aux régimes, aux diètes parfois bien souvent dangereuses. La perte de poids est vue comme une forme d’accomplissement, de fierté. Des femmes en bonne santé s’autodisciplinent en s’infligeant des régimes et se soumettent implicitement aux injonctions du patriarcat. En effet, dans notre société une femme ne doit pas prendre trop de place, cela passe par des manières à adopter mais aussi par des corps petits et sveltes.

Si la perte de poids dans notre société n’était pas autant glorifiée, les magazines pour femmes ne sortiraient pas chaque semaine un nouveau régime tendance et ultra efficace. Kim Kardashian ne se serait pas vantée dans plusieurs médias d’avoir perdu 16 kg en un mois afin de rentrer dans la robe de Marilyn Monroe. Manger est quelque chose de naturel, se restreindre ne l’est pas, encore moins avec des méthodes qui bien souvent mettent en péril notre santé. C’est encore une main mise de la société sur nos corps.

Ce qui pose problème dans un second temps, est le fait que dans tous ces standards de beauté, le corps des femmes est systématiquement vu comme un objet, un accessoire de mode qu’on pourrait changer selon les saisons et les tendances. Tantôt la maigreur est glorifiée, tantôt se sont les formes qui sont mises sur le devant de la scène. Nous devrions nous adapter à chaque tendance, adapter notre corps. Dans une société de consommation poussée à l’extrême, nos corps sont vues comme le dernier accessoire à la mode. Nos corps ne sont pas des tendances!

Emma PAPPO 50 50 Magazine

1 Pendant plus de trois décennies, Monique Pillard a travaillé dans deux des agences prééminentes de l’industrie du mannequinat, et qui a aidé à orienter la carrière de mannequins comme Cindy Crawford, Naomi Campbell

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