Articles récents \ Chroniques Chronique l’air du psy : Noémie dit oui

Ce film de Geneviève Albert nous vient du Canada. C’est son premier long métrage de fiction. Il sortira en salles le 26 avril prochain. C’est un film nécessaire, indispensable même, pour contraindre à penser la logique mercantile d’une pratique déshumanisante où étrangement, le consentement est la voie d’entrée. C’est sans doute l’aspect le plus énigmatique que ce consentement inaugural ! Ces jeunes filles, qui entrent dans la prostitution, ne le font pas sous la contrainte, ni par la violence. Les prostitueurs avancent masqués. Ils ne forcent pas. Le premier moment, c’est celui de la séduction, qui s’opère subtilement.

Lorsque Noémie apparait à l’écran, nous voyons une petite fille, plus exactement une jeune adolescente au visage juvénile. Elle est dans un foyer et lance un appel téléphonique, qui ne débouche que sur une non réponse, à travers la messagerie du répondeur. Celle qui ne répond pas à l’appel, c’est sa mère… L’abandon maternel sera avéré plus tard dans le film, lorsqu’il sera question de réviser la mesure de placement judiciaire : Noémie a hâte de rejoindre sa mère. L’audience s’engage autour d’un consensus généralisé. Chaque avocate plaide et le mot de la fin revient à la mère, qui décline l’offre de retour à la maison de sa fille. Moment déchirant, où Noémie s’incarne tel un nourrisson hurlant sa détresse.

Point de référence à une quelconque instance paternelle : du père, il n’appert aucune reconnaissance. Mère et fille sont très jeunes toutes les deux. Lorsqu’on les voit côte à côte, la différence générationnelle s’estompe. Quand plus tard, la mère dit à sa fille « Je ne suis pas capable de m’occuper de toi », cet aveu de défaillance est exact (j’allais dire juste, au sens de la justesse, mais c’est le versant injuste, qui saute tellement aux yeux vis-à-vis de Noémie, que j’ai opté pour l’exactitude pour qualifier la reconnaissance de l’impuissance maternelle). Noémie est d’une extrême lucidité, armée de cette maturité précoce caractéristique des enfants carencés. Au confort du foyer qu’avance sa mère pour se justifier, Noémie lui rétorque avec une réelle éloquence : « C’est pas une chambre que je veux, c’est ma mère ! »

Lorsqu’un enfant naît, il vient au monde pour le déranger ce monde ! La mère de Noémie ne l’entend pas ainsi, trop démunie pour se laisser entamer par celle qu’elle a pourtant portée : « J’ai pas envie que tu reviennes foutre la merde dans ma vie ». Tout enfant est dérangeant, sa naissance vient questionner l’ordre du monde, mais lorsque les parents sont par trop « dérangés », ils ne peuvent supporter de soutenir cette remise en question. La détresse qu’engendre la défaillance parentale conduit les jeunes à trouver d’autres figures soutenantes capables d’être attaquées, d’autres qui peuvent résister, d’autres suffisamment robustes pour accueillir la contestation de l’ordre établi, dont ils vivent l’injustice.

Avant de fuguer du foyer, Noémie frappe compulsivement sur un punching ball rotatif. Plus tard dans le film, nous la verrons opérer une même rotation face à un miroir, devant lequel elle se maquille, faisant ainsi apparaitre alternativement son visage amplifié par le grossissement spéculaire, pour ensuite retrouver une taille normale. La faillite narcissique est ici magnifiquement illustrée.

Là où le film de Geneviève Albert est particulièrement percutant, c’est dans la lucidité affirmée par Noémie. Lorsque Léa, sa meilleure amie, l’a recueillie, elle lui a proposé de faire comme elle, « escort ». Noémie s’étonne et affirme qu’elle ne pourrait pas. Plus tard, ce sera Zach, le jeune homme, dont elle tombe amoureuse, qui lui propose d’essayer en banalisant : « C’est juste du cul Noé… ». Noémie n’adhère pas : « J’suis pas une pute ! ». Elle a aussi cette réplique formidable en rétorquant à la prétendue banalisation par Zach : « Et toi, t’as essayé ? ». Noémie est saine au fond d’elle, elle a du répondant, ne s’en laisse pas conter. Néanmoins, elle finira par céder à la proposition de Zach d’enchainer les passes à l’occasion d’un grand prix de formule 1 : « Juste trois jours et après on part tous les deux ». C’est ce projet romantique, qui permet le basculement de Noémie dans la prostitution.

Parmi les stratagèmes des jeunes proxénètes, il y a la banalisation de la sexualité partagée : pour matérialiser le « C’est juste du cul », Zach va permettre que Noémie soit prêtée, consommée par les copains de l’appartement. C’est en quelque sorte le baptême du feu pour supporter ensuite l’indifférenciation des partenaires sexuels.

J’ai eu la chance de découvrir en avant-première ce film au 45ème Festival de Films de Femmes à Créteil. Outre la cinéaste, des partenaires du Mouvement du Nid (association reconnue d’utilité publique agissant en soutien aux personnes prostituées) nous ont expliqué combien la prostitution de jeunes mineures par d’autres jeunes est d’emblée rentable et moins risquée pénalement que le trafic de stupéfiants. En cause en France, l’amendement proposé par Éric Dupond-Moretti qui a déclaré : « Aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur de moins de 15 ans. Cette question sera désormais exclue du débat judiciaire. Nous devons tenir compte du principe constitutionnel de proportionnalité, d’où l’écart d’âge de cinq ans qui protègera les amours adolescentes [souligné par nous]. Qu’on le veuille ou non, les adolescents ont une sexualité. C’est la vie, c’est leur vie. De plus, les délinquants sexuels ne seront en rien protégés par leur jeune âge ». Pourtant, si le prostitueur est âgé de 18 ans et la prostituée âgée de 15 ans, les risques légaux d’être poursuivi pour proxénétisme sont moindres, sinon inexistants.

A l’approche de la coupe du monde de rugby, puis des Jeux Olympiques, dont nous savons que ces grandes manifestations sportives sont propices à la consommation sexuelle tarifée, ainsi qu’à une augmentation des violences conjugales, la sortie du film « Noémie dit oui » pourrait constituer une mesure prophylactique. Souhaitons qu’il connaisse une audience conséquente. Soulignons la performance d’actrice de Kelly Depeault, qui a pu effectuer le tournage dans des conditions éthiques revendiquées par la cinéaste en amont de la réalisation du film. Avant que Noémie dise oui, c’est d’abord Kelly Depeault, qui a donné son consentement éclairé. Quand donc allons-nous prendre la mesure de la publicité gratuite faite par l’industrie pornographique à la prostitution ?

Daniel Charlemaine 50 50 Magazine

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