Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Baromètre des Violences Sexistes et Sexuelles dans l’Enseignement Supérieur

Le Baromètre 2023 dresse un état des lieux alarmant des violences sexistes et sexuelles et des LGBTQIA+phobies dans l’enseignement supérieur. Il est fondé sur les expériences de plus de 10 000 étudiant·es, 3 ans après la publication de notre première enquête nationale « Paroles étudiantes sur les violences sexuelles et sexistes » (2020). Les chiffres du Baromètre démontrent que dans l’ensemble, la situation ne s’est pas vraiment améliorée depuis la publication de « Paroles étudiantes ».

Des violences graves et systémiques qui perdurent dans tous les établissements 

Malgré les limitations de la comparaison entre les 2 rapports et certains changements démographiques, la comparaison montre que la situation stagne dans les établissements de l’enseignement supérieur et que les violences perdurent. De nombreux·ses étudiant·es sont aujourd’hui encore victimes de violences sexistes et sexuelles et de LGBTQIA+phobies. Le Baromètre dresse un état des lieux de 12 violences, allant de l’outrage sexiste au viol en passant par l’injure LGBTQIA+phobe. Au total, 6 étudiant·es sur 10 déclarent avoir été victimes et/ou témoins d’au moins l’une des 12 violences citées, et plus d’un quart des étudiant·es (27%) déclarent avoir été victimes d’au moins un fait de violence sexiste, sexuelle ou LGBTQIA+phobe. 

  • Près d’1 étudiant·e sur 10 (9%) déclare avoir été victime de violence sexuelle depuis son arrivée dans l’enseignement supérieur.
  • 1 étudiant·e sur 10 a été victime d’agression sexuelle en école de commerce. 
  • 1 victime de viol sur 4 en a été victime plusieurs fois. La moitié des viols rapportés ont eu lieu lors de la première année d’études des répondant·es, dont 16% durant les événements d’intégration. 
  • 1 étudiant·e sur 20 déclare avoir déjà été victime de harcèlement sexuel, et 1 étudiant·e sur 10 en avoir déjà été témoin. 
  • 17% des étudiant·es ont déjà été témoins d’exhibition sexuelle. 20% des étudiant·es ont déjà été témoins d’injures LGBTQIA+phobes. 

Ces violences sont systémiques : elles se perpétuent aussi bien lors des événements festifs que durant la vie quotidienne des étudiant·es et elles s’étendent à tout type d’établissement, public comme privé. Elles sont commises par d’autres étudiant·es, mais aussi par des enseignant·es et des membres du personnel. Cependant, les événements festifs rassemblant les étudiant·es sont toujours le lieu privilégié des viols, de même que les résidences étudiantes. On dénote aussi une prépondérance des violences dans certains types de formations, notamment celles ayant une forte vie en communauté*. Plus de 2 étudiant·es sur 3 victimes ou témoins d’au moins l’une des violences citées dans le rapport étudiaient dans une école de commerce (72%), une école paramédicale (72%), une école d’ingénieur·es (70%), un lycée (CPGE ou BTS) (67%), une école vétérinaire (66%), un IEP (65%) ou un grand établissement universitaire (63%). Notre enquête souligne également les répercussions dramatiques de ces violences sur la scolarité et la santé des victimes. Près d’un tiers des victimes de viol ont eu peur d’aller en cours ou de participer à la vie étudiante et ont eu des difficultés à s’impliquer dans leurs études. La santé de plus de la moitié des victimes de viol a été impactée : certaines ont subi stress post-traumatique et dépression quand d’autres ont dû changer d’établissement ou arrêter leurs études.

Un manque de (re)connaissance des violences 

Le rapport met en lumière un certain manque de connaissances des violences sexistes et sexuelles et des LGBTQIA+phobies de la part des étudiant·es. Ce manque se traduit par une banalisation de certaines violences, une minimisation des conséquences pour les victimes et une tendance à la déresponsabilisation des auteur·es. Les étudiant·es en première année d’études en 2022 ne répondent pas mieux aux questions posées que lors de notre première enquête. 1 étudiant·e sur 10 caractérise une situation d’agression sexuelle comme du harcèlement sexuel et 1 étudiant·e sur 6 identifie une situation de viol comme une agression sexuelle. On constate également que les hommes identifient moins bien les situations de harcèlement sexuel : 1 étudiant sur 3 ne sait pas que la situation de harcèlement sexuel décrite dans le rapport est punie par la loi et 1/10 affirme qu’elle ne l’est pas.

Autre fait interpellant, l’alcool est toujours considéré comme un facteur qui déresponsabiliserait l’auteur·e. Jusqu’à 1 étudiant·e sur 10 considère que l’emprise de l’alcool atténue la gravité des violences, alors que c’est une circonstance aggravante au regard de la loi. Ces chiffres montrent clairement que les actions de prévention restent aujourd’hui insuffisantes. Il est impératif que l’ensemble des étudiant·es, mais aussi des enseignant·es et des personnels soient réellement formé·es pour réagir face aux violences sexistes et sexuelles et aux LGBTQIA+phobies.

Des dispositifs globalement défaillants au seins des établissements 

Au niveau de l’action des établissements, le constat est alarmant : plus d’1 étudiant·e sur 2 ne se sent pas réellement en sécurité dans son établissement au regard des violences sexistes et sexuelles. C’est tout particulièrement le cas des femmes et des étudiant·es transgenres. Près de la moitié des étudiant·es considèrent que leur établissement ne fait pas assez pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que près de la moitié des étudiant·es n’ont pas accès à des dispositifs d’accompagnement des victimes au sein de leur établissement (soit parce qu’iels n’en ont pas connaissance, soit car ces dispositifs n’existent pas). Encore aujourd’hui, l’obligation d’avoir de tels dispositifs ne concerne pas les établissements privés. Même lorsque ces dispositifs existent, notre rapport met en évidence qu’ils sont souvent dysfonctionnels, inefficaces, et qu’ils ne répondent pas aux besoins des victimes. Les établissements échouent à accueillir la parole des victimes et à les accompagner correctement. Parmi les victimes et témoins de viol ayant fait remonter les faits à leur établissement, 1 étudiant·e sur 3 n’a reçu ni soutien psychologique ni soutien juridique et 1 étudiant·e sur 4 ne s’est pas vu proposer le déclenchement d’une procédure disciplinaire. Au lieu d’aider les victimes de viol, près de la moitié (44%) des établissements ont conditionné le déclenchement d’une enquête interne à un dépôt de plainte. Pourtant, la loi est claire : les procédures pénale et disciplinaire sont totalement indépendantes l’une de l’autre. Au regard de l’ensemble de ces dysfonctionnements, on comprend pourquoi seules 12% des victimes de viol choisissent de signaler les faits à leur établissement. 

La nécessité de déployer des politiques de lutte ambitieuses contre les violences 

Ces violences sont le fruit d’une culture sexiste, LGBTQIA+phobe et globalement discriminante dans l’enseignement supérieur, mais elles sont aussi le résultat du manque d’ambition des politiques publiques de lutte contre ces violences. Face à ces constats, nous en appelons aux ministères concernés et aux établissements de l’enseignement supérieur qui doivent déployer des moyens financiers, humains et politiques à la hauteur des enjeux. Il est plus qu’urgent que tous les établissements se dotent de moyens de prévention et de cellules de veille et d’écoute efficaces pour accompagner au mieux les victimes. Les procédures de signalement doivent également être améliorées pour permettre la mise en place de sanctions effectives contre les auteur·es de violence. L’ensemble de ces dispositifs doit figurer dans des plans d’actions ambitieux et construits avec les étudiant·es au niveau national et au sein de chaque établissement. Garantir à tou·tes les étudiant·es d’être en sécurité sur leur lieu d’études est une condition indispensable à l’égalité des chances et à la réussite scolaire. L’inaction n’est plus une option.

10 recommandations clés pour lutter contre les violences dans l’enseignement supérieur 

  1. Augmenter et pérenniser les moyens financiers et humains dédiés à la lutte contre les violences 
  2. Généraliser à tous les établissements de l’enseignement supérieur les obligations de lutte contre les violences 
  3. Intégrer pleinement les associations et les représentant·es étudiant·es dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques de lutte contre les violences 
  4. Instaurer un véritable mécanisme de vérification et d’évaluation des actions de lutte contre les violences portées par les établissements 
  5. Rendre obligatoires les actions de sensibilisation pour l’ensemble des étudiant·es, des enseignant·es et des personnels 
  6. Rendre obligatoires les formations approfondies pour les personnes amenées à traiter des faits de violence 
  7. Mettre en place dans tous les établissements des cellules de veille et d’écoute accessibles et efficaces et avec des personnes formées 
  8. Rendre indépendantes l’une de l’autre la procédure d’écoute des victimes et la procédure de signalement des faits de violence 
  9. Rendre les procédures disciplinaires plus efficaces et respectueuses des victimes de violences 
  10. Faire des établissements des lieux inclusifs pour toutes les personnes LGBTQIA+, notamment en permettant la reconnaissance administrative des personnes transgenres

Observatoire Etudiant des Violences Sexistes et Sexuelles 

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