Articles récents \ France \ Société Le développement personnel, dangereux pour le féminisme ?

Le développement personnel est un mouvement mettant l’individu au centre de sa propre vie et dont le but est d’atteindre le bonheur et l’épanouissement personnel. Véritable phénomène social, c’est un marché en constante croissance, dont la vente de livres ne cesse d’augmenter. Cependant, le développement personnel est il vraiment compatible avec le féminisme et les luttes sociales en général ? 

Le développement personnel, ou self help en anglais est une logique de recherche d’accomplissement personnel et du bonheur censé l’accompagner. C’est un vaste domaine qui regroupe la psychologie, la santé, le fait de prendre soin de soi, de chercher à la fois à se connaître, mais aussi à s’épanouir. Le développement personnel puise ainsi dans plusieurs domaines sans en être expert. Certain·es s’inspirent des neurosciences quand d’autres puisent dans certaines philosophies orientales. Le développement personnel, c’est une volonté de constamment s’améliorer, c’est une nouvelle injonction à la bonne santé physique et mentale. Progressivement le développement personnel est devenu un phénomène éditorial et financier. 

Cependant, d’un point de vue féministe et donc politique, le développement personnel pose problème. Entre capitalisme et patriarcat, les logiques individualistes du développement personnel ne font pas bon ménage avec les luttes sociales.

Un individualisme poussé à l’extrême

Pour le sociologue Alain Ehrenberg, la seconde moitié du 20 ème siècle est un moment de nombreux changements. La vie des individus est de moins en moins régie par les institutions contrairement à auparavant. On assiste à la naissance d’individus devant s’accomplir seuls, dans une société capitaliste. Une des conséquences étant une plus grande liberté individuelle avec une société plus compétitive, qui pousse les individus à s’accomplir par eux-mêmes dans le but de réussir et de s’élever socialement sous couvert de notion de mérite. On rentre alors peu à peu dans une société individualiste, c’est-à-dire que ce n’est plus l’Etat ou les institutions qui régissent et sont au centre de la vie des individus, mais les individus eux-mêmes poussés à s’accomplir seuls. Cette conception du monde est néolibérale au sens où elle met en avant le mérite, la responsabilité et l’intérêt individuels au détriment d’une vie démocratique concrète qui implique au contraire de s’occuper avant tout des intérêts mutuels.

Le développement personnel fait parti intégrante de ce phénomène, puisque ces logiques consistent à travailler sur soi, être centré·e sur sa personne afin d’être la meilleure version de soi-même. Cette logique omet complètement l’environnement dans lequel est l’individu, à savoir la dimension sociétale. En fait, ce phénomène, amène les sociétés occidentales à créer des individus centrés sur eux-mêmes, poussés à agir sur leur propre personne et qui ont tendance à se désintéresser de la vie publique et de la sphère politique. C’est un outil extrêmement libéral et commercial.

En effet, le développement personnel a une logique capitaliste et marchande très puissante. Aujourd’hui, le bien-être et le développement personnel sont une industrie à part entière qui ne cesse de grossir : elle pèse 11 milliards de dollars d’après Psychology Today. C’est un secteur florissant. Nous sommes dans une logique de consommation de masse avec de nombreux produits qui se vendent à des prix exorbitants.

Développement personnel et féminisme

Par exemple en France, les livres de développement personnel sont achetés chaque année par millions, majoritairement par des femmes. Ils représentaient 32% du marché du livre en 2018. Depuis la crise du Covid-19, l’intérêt pour ce domaine ne cesse de croître. Ainsi, les femmes sont la cible principale de ce marché, mais les femmes qui ont les moyens financiers d’acheter ces livres et autres programmes et d’y consacrer du temps.

Une bonne partie du développement personnel tend à enseigner que nous sommes seul.es responsables de notre bonheur. Ce dernier serait en nous, en dépit de l’environnement qui nous entoure, et nous n’aurions qu’à l’accueillir. En somme, il serait suggéré que celles et ceux qui n’arrivent pas à être heureuses/heureux ne s’en donnent pas les moyens. Le problème de cette logique est qu’elle n’a aucune dimension politique, il y a un manque total de réflexions et de critiques sur la société qui nous entoure, sur les inégalités que se soit de classe ou de genre. En fait, le développement personnel, répare les dégâts que la société fait sur les femmes par exemple, sans jamais la remettre en question et en faisant peser le poids de ce mal-être sur la personne elle-même ! C’est une nouvelle façon de culpabiliser mais aussi d’ajouter de la charge mentale aux femmes. « Change ta façon de voir les choses, pas le monde ». On nous prétendrait alors, que le bien être des femmes ne tiendrait qu’à elles-mêmes et que la seule façon d’être heureuse serait de se concentrer sur soi-même, et non de changer la société. Il relaye et légitime souvent de puissants stéréotypes de genre, et porte dans l’ensemble, une vision « dépolitisante » et/ou apolitique de la santé individuelle et de la vie sociale en général.

Ainsi le développement personnel omet les inégalités sociales, de classes ou de genre pouvant être à l’origine du mal-être de certaines personnes. C’est un outil qui peut alors être dangereux pour les avancées sociales, mais aussi et surtout pour le féminisme et pour les femmes, dont la charge mentale se voit décuplée.

Le bonheur des individus ne dépend pas des individus mais de la société dans laquelle ils évoluent. Notre bonheur et épanouissement, n’est pas personnel, mais doit être avant tout collectif.

Emma Pappo 50 50 Magazine

print