Articles récents \ France \ Économie Le genre du capital
Jeanne Puchol a réalisé une bande dessinée qui raconte de manière édifiante le travail sociologique de Céline Bessière et Sibylle Gollac sur les dimensions économiques et juridiques des relations familiales. Elles avaient édité le résultat de ces recherches sous le même titre en 2020. Malgré toutes les avancées des combats féministes, l’écart entre le patrimoine détenu par les hommes et celui détenu par les femmes a presque doublé depuis 20 ans ! Avec leur équipe de chercheur·es nommée « Ruptures », elles ont enquêté pendant des années auprès des familles, des notaires, des tribunaux et des avocat·es pour mesurer concrètement les répartitions financières générées par l’héritage, le divorce ou la séparation.
La famille reproduit les inégalités et leurs milliers de données à ce sujet ont été passées au crible pour nous confirmer que le capital et sa gestion restent une affaire d’hommes. Il y a donc encore de nombreux chantiers à ouvrir pour approcher l’égalité économique entre femmes et hommes. Dans cet opus graphique, les situations sont souvent analysées ou commentées par des chats qui partagent la vie d’avocates ou de chercheuses, mais aussi de femmes divorcées ou privées de leur juste part d’héritage, et qui en font les frais. Ils mettent une belle note d’humour dans ces analyses qui pourraient sembler parfois bien sérieuses mais pourtant si nécessaires à décrypter.
Nos trois autrices nous offrent un beau travail de vulgarisation scientifique à mettre entre toutes les mains. Où l’on voit donc que l’égalité salariale ne suffirait pas à instaurer une égalité économique entre les femmes et les hommes. En effet ceux-ci bénéficient plus largement de la transmission de patrimoines familiaux, surtout professionnels, et souvent au détriment de leurs sœurs quand ils en ont, par leur silence et leur acceptation des faits, elles sont promues au titre de gardiennes de la cohésion de la famille et de son statut social.
Par ailleurs le travail domestique gratuit des femmes reste un impensé social et juridique, il n’est pas pris en compte et encore moins évalué en cas de divorce ou de séparation, alors qu’il a contribué le plus souvent à améliorer la situation professionnelle des hommes et à freiner voire fragiliser celle des femmes. Le travail professionnel gratuit ou sous-rémunéré est à peine mieux évalué. Seul un haut niveau de revenus des deux membres du couple permettant de sous-traiter le travail domestique et la charge parentale de la mère, peut parfois lui permettre de se consacrer à sa carrière et de ne pas être trop appauvrie par une séparation.
20% à 40% des pensions allouées ne sont jamais versées
D’emblée le dévouement féminin est perçu comme « naturel » et normal et les revenus masculins sont sanctuarisés comme s’ils étaient partie intégrante de l’ego masculin. Même les magistrates ont souvent un biais inconscient qui pèse en faveur des hommes lors des jugements de divorce, le formulaire de calculs des prestations compensatoires et des pensions alimentaires se basant sur les revenus de celui qui paye et non de celle qui les reçoit, et pas vraiment sur les besoins des enfants. Se retrouver seule avec des enfants pour les femmes des classes moyennes ou populaires signifie souvent entamer un long et exténuant parcours de combattante alors que les hommes « refont leur vie » et ont parfois de nouveaux enfants qui relèguent les besoins des premiers sinon aux oubliettes, souvent aux calendes grecques. 20% à 40% des pensions allouées ne sont jamais versées et les mesures de rétorsion dépassent rarement le rappel à la loi. À charge pour les femmes de se débrouiller avec leurs galères.
Un livre à mettre donc entre toutes les mains, celles des hommes détenteurs du capital et celles des femmes qui en ont moins, en particulier de celles qui envisageraient de vivre en couple, se marier ou faire des enfants ! ou même de divorcer, il y a des choses à savoir AVANT. Des situations à haut-risque économique et à fort potentiel de charges mentales…
Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine