Articles récents \ France \ Politique Laurence Rossignol : « En tant que femme politique, j’ai observé plusieurs types de sexisme » 2/2

Laurence Rossignol est une femme politique engagée dans le féminisme. Elle est élue sénatrice de l’Oise en 2011. En 2014, elle est nommée secrétaire d’État à la famille et aux personnes âgées puis en 2016 ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Elle redevient ensuite sénatrice. Depuis 2020, elle est vice-présidente du Sénat. Elle préside également l’association l’Assemblée des Femmes.

Quelles sont les critiques que l’on peut faire sur la récente loi concernant la retraite des femmes ?

Partons de l’état des lieux. Les femmes ont des pensions trop faibles parce que leur niveau de pension est le produit de deux injustices. La première, c’est qu’elles sont le plus souvent dans les métiers du soin et du lien et sont moins bien payées. La deuxième c’est que du fait qu’elles sont mères de familles, le plus souvent, elles ont des carrières trouées et donc plus de difficultés à atteindre le nombre de trimestres cotisés nécessaire pour avoir une retraite à taux plein. Le cumul de ces deux facteurs dégrade le montant des retraites des femmes. Le gouvernement nous a présenté cette réforme comme étant une réforme quasiment féministe qui allait répondre à cette injustice. Et en réalité, ces promesses sont des mensonges. Nous nous sommes rendues compte que le report de l’âge de la retraite allait pénaliser les femmes parce qu’il écrase les trimestres de majoration d’assurance liés aux grossesses et à l’éducation des enfants. Ça les neutralise d’un certain point de vue. Et la deuxième révélation qui est apparue en cours de débat, c’est qu’en fait, sur les économies attendues par le gouvernement par cette réforme, 60 % d’entre elles allaient être supportées par les femmes. En réalité, ce projet qui était supposé favoriser les femmes est en fait un projet qui pénalise les femmes.

Dans cette affaire de réforme des retraites, assez miraculeusement je dois dire, avec sur chaque sujet le fait que je porte la question spécifique des femmes, il y a eu des amendements qui ont été adoptés. Entre autres, une série d’amendements qui émanaient d’Annick Billon, la présidente de la DDF, qui concernaient les majorations des durées d’assurance. En fait il y a quatre trimestres pour la naissance et quatre trimestres pour l’éducation. Et les quatre trimestre d’éducation peuvent être, depuis 2010, au gré des parents, partagés entre les hommes et les femmes. Et il y a eu aussi des amendements qui ont été déposés par Annick Billon pour que les hommes condamnés pour violences ne puissent pas bénéficier de ces trimestres. Tout cela a été retenu. J’avais proposé un amendement pour que, le compte des trimestres soit partagé avec les femmes qu’elles ne puissent pas avoir moins de deux trimestres quand les trimestres sont partagés. Parce qu’il y a des situations dans lesquelles les pères prennent tous les trimestres, quatre trimestres au motif de « Je gagne plus ». De ce fait, l’amendement fait que les femmes ne peuvent pas concéder plus de deux trimestres au père de l’enfant.

Donc pour chaque enfant, elles sont donc assurées d’avoir six trimestres, quatre trimestres de naissance pour deux trimestres d’éducation.

Cet amendement-là a été accepté au Sénat avec deux autres dont un consistait à souligner qu’un père qui ne prenait pas la totalité de son congé paternité, c’est-à-dire les 28 jours, ne pouvait pas prétendre aux trimestres d’éducation. Parce que si déjà à l’arrivée de l’enfant, il ne prend pas ses 28 jours de congés de paternité, on peut avoir un sérieux doute sur le fait qu’il va participer à 50 % à l’éducation des enfants et donc mériter deux trimestres. Cet amendement avait été adopté au Sénat mais il n’a pas survécu à la commission mixte paritaire. En revanche, celui qu’on a évoqué sur le minimum de trimestre a survécu à la commission mixte paritaire et au conseil constitutionnel.

En conclusion, je ne sais pas si je suis fière ou pas d’avoir pu passer un amendement dans cette réforme des retraites (Rires).

Est-ce qu’en tant que femme politique, avez-vous subi des remarques, des attitudes sexistes ?

En tant que femme politique, j’ai observé plusieurs types de sexisme. Le premier est le harcèlement sexuel. C’est le fait d’être exposée en permanence à la concupiscence d’hommes politiques qui s’imaginent que sous prétexte qu’ils ont du pouvoir, ils peuvent tout s’offrir. Et en plus il y a le fait que les jeunes femmes se disent que, comme ce sont eux qui ont le pouvoir, « si je résiste trop, je vais me faire sanctionner dans ma carrière politique. » Ça, je dois dire que je l’ai observé, je l’ai vu. Je ne peux pas dire que ce soit quand même le quotidien. Nous avons quelques prédateurs identifiés, mais tous les hommes politiques n’ont pas ces attitudes, loin de là. Heureusement qu’il ne s’agit que d’une minorité. Et ce n’est pas au quotidien non plus.

En revanche, le sexisme en politique, c’est ce que les jeunes appelleraient le fait de « ghoster » les femmes, c’est à dire d’invisibiliser les femmes. Et en politique, les femmes sont ghostées ! Elles sont victimes d’un déni de reconnaissance. Ce qu’elles font, ce qu’elles disent, ce qu’elles produisent est ignoré. Je raconte toujours que dans une réunion politique, au moment où une femme prend la parole, c’est toujours le moment où les hommes se rappellent qu’ils ont quelque chose à dire à leur voisin ! Les femmes sont habituées à parler dans un brouhaha constant. Parce qu’elles n’incarnent pas le pouvoir.

Les compétences des femmes portent souvent sur des sujets de société, qui n’intéressent pas les hommes, qu’ils laissent en jachère, donc les femmes les prennent. Ces sujets-là ne sont pas considérés comme étant des sujets nobles. Ni l’émetteur ni le contenu n’est considéré. Et je trouve que ce qu’il y a de plus lourd dans le sexisme en politique, c’est l’indifférence et le mépris à l’égard de la contribution des femmes à l’action et à la pensée politique.

Quel est l’objectif de l’Assemblée des Femmes dont vous êtes présidente ?

L’Assemblée des Femmes (ADF) est une association féministe qui a été créée par Yvette Roudy, pour porter la parité politique. C’était le premier objet de l’ADF. Yvette Roudy souhaitait faire la promotion de la parité politique, c’était avant les réformes de 2000.

Aujourd’hui, la parité a été, si ce n’est réalisée, du moins inscrite dans la loi. L’ADF est une association féministe qui promeut un féminisme abolitionniste, universel à lecture intersectionnelle. Abolitionnistes parce que nous sommes très engagées contre la marchandisation du corps des femmes. En ce qui concerne l’universel, nous ne sommes pas dans l’opposition entre l’universalisme et l’intersectionnalité parce que le cumul des discriminations est consubstantiel au féminisme. Nous n’avons pas attendu le 21ème siècle pour comprendre qu’une femme ouvrière, racisée, subit plus de discriminations qu’une femme bourgeoise et blanche, bien sûr. C’est une évidence et l’histoire du féminisme, c’est aussi l’histoire de la condition sociale des femmes, des femmes travailleuses, l’histoire du combat anticolonialiste. Le cumul des discriminations n’est pas une invention féministe du 21ème siècle.

L’Assemblée des Femmes est une association qui intervient sur des sujets variés et qui contribue à la recherche sur la pensée féministe. Nous sommes aussi un lieu de réflexion et un des temps forts de la vie de l’ADF, c’est l’Université Féministe que nous organisons chaque année. Cette année elle aura lieu le 21 et 22 octobre à Montpellier, son intitulé est « Le monde change, le féminisme aussi ! ».

Il y a quelques années, nous avions fait une université consacrée au masculinisme : « Masculinistes, qui sont-ils ? Où se cachent-ils ? Quels sont leurs réseaux ? ». Nous avons travaillé pendant deux jours sur les stratégies des anti-féministes. L’année dernière, le thème de notre université était « MeToo +5, qu’est-ce qui a changé ? ». Nous avions invité des journalistes avec qui nous avons parlé du traitement des violences sexuelles par la presse.

Nous avons toujours un volet international parce que la façon dont nous sommes universalistes consiste d’abord à partir de la condition universelle des femmes et nous promouvons l’idée que la sororité internationale est une dimension essentielle du féminisme. Et cette année encore nous la traiterons par le biais des femmes journalistes dans les pays où les droits humains sont bafoués.

Nous parlerons de la sexualité qui est quand même un gros sujet en ce moment. Nous aborderons aussi le thème des politiques natalistes. Est-ce qu’il y a des politiques natalistes ? Est-ce que la natalité est un sujet de politique publique ? Peut-il être traité de façon féministe ? Nous ajouterons à cela une table ronde sur la condition des femmes au travail au 21ème siècle. « Qu’est-ce qu’une ville féministe ? » fera l’objet d’une table ronde, Montpellier le mérite.

J’invite donc d’ores et déjà vos lecteurs et vos lectrices à se renseigner et s’inscrire à la prochaine université que l’Assemblée des Femmes organise en octobre 2023 et dont le programme sera publié prochainement.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine 

 

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