Articles récents \ Monde \ Europe Claudia Segre : « Les jeunes Italiennes sont conscientes qu’il existe un héritage culturel très persistant qui n’inclut pas la pleine émancipation féminine et l’indépendance économique »

Nommée parmi les 100 Italiennes les plus titrées par Forbes en 2019 et listée dans le Top 100 Global Women in Leadership 2021 par GCPIT India, Claudia Segre, est présidente de la Global Thinking Foundation, une fondation qui s’inscrit dans les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) élaborés par les Nations Unies, membre affilié de l’INFE/OCDE du FMI. Claudia Segre a effectué sa carrière dans le secteur bancaire occupant des postes à haut niveau de direction. Très investie dans les droits des femmes, elle est membre externe de la Commission pour l’égalité des chances de l’Accademia dei Lincei, fait partie de l’organe consultatif de la région de Lombardie ainsi que de l’observatoire sur le phénomène de la violence à l’égard des femmes. 

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, dans quels domaines avez-vous constaté un recul des droits fondamentaux des femmes ?

Les droits des femmes sont des droits humains et doivent donc être protégés et privilégiés dans une perspective bipartisane et indépendante des gouvernements, de gauche ou de droite, comme l’ont fait d’autres pays européens, de l’Espagne à la France en passant par l’Europe du Nord. Les violences domestiques et les formes de violence économique et de cyberviolence sont celles qui ont le plus augmenté depuis le COVID et les retards dans la mise en œuvre complète de la Convention d’Istanbul se reflètent dans un ministère de la Famille et de la Natalité rebaptisé qui n’a pas de ressources économiques disponibles et ne peut pas faire grand-chose.

Le débat le plus vif reste celui de l’avortement et donc la garantie de la disponibilité des médecins et des structures de santé dans toutes les régions de notre territoire.

Comment les associations féministes réagissent-elles à cette inégalité de traitement ?

Les associations féministes demandent que les principes constitutionnels soient pleinement respectés afin que les écarts entre les hommes et les femmes soient réduits et que les inégalités sociales ne perdurent pas au détriment des femmes et des jeunes filles qui sont plus pénalisées par les différences de salaires, d’opportunités de carrière et de niveau de pension.

Quel est le rôle de l’Eglise dans cette volonté de limiter les droits des femmes et de dénigrer les minorités ?

Dans le travail que nous effectuons avec les travailleurs et travailleuses sociales/sociaux de toutes les religions, précisément sur la prévention des violences économiques, l’engagement de leur part est évident, mais moins évidente est l’intention d’appliquer les bonnes pratiques liées à l’égalité des sexes, dans un pays où l’on se marie en communion de biens sauf si l’on choisit explicitement le contraire et où il n’y a pas de pactes prénuptiaux qui défendent les femmes économiquement plus faibles.

L’injonction faite aux femmes de se reproduire pour enrayer la baisse de la natalité s’applique-t-elle à toutes les classes sociales ?

Il est évident que sans les politiques de natalité qui permettent aux femmes d’avoir des droits égaux en matière de congés, d’accès à l’école maternelle et à la famille, nous ne résoudrons pas le problème de la conciliation famille-travail, comme le démontre le faible taux d’emploi des femmes en Italie, qui reste inférieur à 50%. Le déclin démographique est paradoxalement contenu grâce aux flux migratoires ! Ce pour quoi nous luttons avec d’autres associations de femmes et pour garantir la justice sexuelle et reproductive, en fait, ne signifie pas seulement garantir les droits sexuels et reproductifs de base, mais aussi le droit à la vie, à la vie privée, à l’éducation, à l’information et à la liberté contre toutes les formes de violences. Tout cela a un coût qui ne peut pas reposer uniquement sur les épaules des femmes, mais doit être une responsabilité partagée à laquelle le gouvernement ne peut pas se soustraire.

Le statut idéalisé de la “matrona” séduit-il les jeunes femmes ?

Les jeunes italiennes sont bien conscientes qu’il existe encore un héritage culturel très persistant qui n’inclut pas la pleine émancipation féminine et surtout l’indépendance économique, qui est aussi vécue comme un ascenseur social. Mais c’est le lien avec le travail de care qui est encore très fort et persistant aujourd’hui. Le travail domestique non rémunéré est effectué exclusivement par la population féminine dans 74% des cas. Les Italiennes consacrent 5 heures et 5 minutes par jour à ces activités ; les hommes, en revanche, y consacrent qu’1 heure et 48 minutes par jour. Le fossé qui existe entre les deux sexes est donc important et nécessite une intervention structurée, à commencer par les institutions publiques et la volonté des nouvelles générations de revendiquer un rôle social différent de celui qui n’est plus soutenable économiquement et éthiquement parce qu’il est source d’inégalités croissantes entre les hommes et les femmes.

Est-il bon de naître femme en Italie en 2023 ?

Comme toutes les femmes qui ont la chance de naître dans un contexte européen qui voit un engagement partagé pour la défense de l’égalité des genres et des droits des femmes, les femmes Italiennes peuvent aussi jouer leur rôle parce que l’histoire et la culture de notre pays voient des figures de référence très importantes comme exemples pour les jeunes femmes. Du prix Nobel de littérature de Grazia Deledda au prix Nobel de médecine de Rita Levi Montalcini, en passant par Nilde Jotti, première femme à occuper la troisième fonction la plus importante de l’État italien, la présidence de la Chambre des députés.

Parlez-nous des activités de votre Fondation

Au cœur de l’action de la Fondation il y a la lutte contre les violences envers les femmes et surtout contre la violence économique par le biais de différentes activités et projets menés en Italie, mais aussi en France. La Fondation se propose donc de fournir de l’aide et de l’accompagnement aux femmes victimes de violence économique pour sortir de l’isolement économique et reprendre leur vie en main.

Global Thinking Foundation applique une approche éthique à la prise de conscience en matière financière. La Fondation s’adresse aux étudiantes les plus démunies, aux femmes, aux familles et aux groupes vulnérables. Elle soutient l’égalité entre les sexes à travers des cours d’alphabétisation financière dédiés aux femmes. Elle réalise aussi des projets qui ont pour objectif l’inclusion sociale, économique et financière de tous les citoyennes adultes.

Global Thinking Foundation est membre du INFE/OCDE et a participé à plusieurs initiatives de l’OCDE au sujet de la lutte contre les violences faites aux femmes. Par ailleurs, la Fondation a publié le Guide Pratique, Violence économique et conjugale: outils et prévention, présenté en mars 2019 pendant le Forum Elle Active ! organisé par l’Oréal Paris auprès duConseil Économique Social et Environnemental. A cette occasion environ 3000 copies du Guide ont été distribuées gratuitement. La Fondation souhaite développer au niveau Européen une approche commune et un cadre politique global de lutte contre les violences faites aux femmes au-delà des politiques nationales de chaque État membre.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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