Articles récents \ Chroniques CHRONIQUE L’AIRE DU PSY : Camila sortira ce soir

Avec un titre conjugué au futur, nous sommes d’emblée plongé.es dans le moment d’adolescence, c’est-à-dire cet entre-deux entre une aspiration à devenir, à vivre vite, à se sentir des ailes face aux impossibles imposés par les adultes et les contraintes du réel, que Camila va tantôt braver, tantôt défier. L’étymologie latine adolescere désigne le mouvement de celui, celle qui est en train de grandir. Le corps se modifie, la perception de ce corps engagé dans le pubertaire, l’image de soi qui en découle et la dimension pulsionnelle du désir grandissant bouleversent l’équilibre trouvé durant l’enfance. Pour Camila, un déménagement va participer de ce bouleversement.

La grand-mère maternelle va mourir. Camila, sa sœur puinée et leur mère doivent quitter La Plata, ville située à une soixantaine de kilomètres de Buenos Aires, pour s’installer dans Recoleta, un quartier riche de la capitale argentine. Préalablement scolarisées dans un lycée public, Camila et sa sœur doivent intégrer une institution privée traditionaliste. Face à ce qualificatif de «privée», la question un peu naïve, qui me vient souvent est : «Mais privée de quoi ?». L’accueil par le directeur nous renseigne, puisqu’outre l’uniforme de rigueur, aucun signe distinctif ne doit apparaître. L’identicité supposée égalitaire conduit Camila à devoir ranger son foulard noué à son sac. Aucune marque revendicative de valeurs féministes (lutte pour l’IVG, contre l’homophobie, les valeurs patriarcales et les violences sexuelles) ne doit transparaître.

Camila a des idées, elle peut les affirmer sans se soucier de comment celles-ci seront reçues ou tolérées. Sa grand-mère était riche et supposée plutôt réactionnaire. Camila en veut à sa mère, elle ne se prive pas de lui adresser des reproches sur l’exil imposé par l’état de santé de sa grand-mère, dont le lien à ses petites-filles semble plutôt distant, sinon distendu. Ce qui est touchant dans ce film d’Inès Maria Barrionuevo, ce sont les tableaux successifs dans lesquels elle nous entraine. Nous avons ainsi des tableaux familiaux, qui questionnent le lien mère/fille et sa dimension transgénérationnelle, ainsi que le lien sororal. Et puis, nous avons également des tableaux de rencontres amoureuses, amicales et des scènes de vie sociale. Ce qui m’amène à parler de tableaux, c’est cette sensation que des moments d’intimité sont filmés même au cœur de fêtes ou dans des espaces publics.

Un livre tombe aux pieds de Camila d’une étagère de la bibliothèque scolaire. Sur sa couverture, on peut lire Toutes les bonnes choses sont sauvages et libres. Au commencement du film, nous nous trouvions emmenés dans une visite scolaire d’un musée d’animaux empaillés. La voix d’un professeur raconte une anecdote relative à la réhabilitation récente d’une indigène autrefois capturée et étudiée pour ses caractéristiques raciales et son instinct sexuel très développé malgré son jeune âge.

Sauvagerie et liberté du désir, respect de la dignité de chacun.e, notamment dans les fluctuations de l’orientation sexuelle au cours de l’adolescence, telles sont quelques-unes des thématiques abordées. La question du consentement ou plus précisément du traitement du non consentement va finalement devenir le fil conducteur de ce film. De quoi protègent la religion et la tradition ? Qui protègent-t-elles ? C’est aussi parce que mère et fille au-delà des conflits qui les divisent, retrouvent le chemin du respect mutuel qu’une issue prometteuse et enthousiasmante se dessinera. Au terme du film, Camila part, telle Narcisse, se mirer dans une mare témoignant ainsi du parcours narcissique accompli à l’adolescence. Elle n’est pas fascinée, elle s’assure juste de l’intégrité de son image après les épreuves qu’elle a traversées…

Signalons encore le souci éthique lors du tournage du film. L’équipe de Camilla sortira ce soir était majoritairement féminine et la réalisatrice affirme : « Mais je pense que si nous parlons d’un film sur la sexualité, sur les femmes… alors l’équipe doit être en phase avec cela. Je sais qu’il y a des réalisateurs qui ont des méthodes extrêmes pour obtenir le meilleur des acteurs, mais ce n’est pas mon cas ». Souhaitons que ce souci éthique de respect des comédien.nes devienne la règle commune, qui s’applique désormais dans les tournages. Ce sera ainsi un bel hommage aux gestes de révolte qu’a successivement accompli Adèle Haenel.

Daniel Charlemaine 50-50 Magazine

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