Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Vigilance égalité – Le HCE appelle à compléter le projet de loi de régulation du numérique

En septembre prochain, le Haut Conseil à l’Egalité publiera un rapport sur les violences sexistes et sexuelles dans l’industrie pornographique. Le gouvernement ayant présenté un projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, déposé sur le bureau du Sénat dans les prochains jours, le Haut Conseil à l’Egalité a estimé nécessaire de participer au débat dès maintenant en proposant des recommandations concernant les violences en ligne contre les femmes et les filles, grandes oubliées du projet de loi, afin d’inspirer des amendements au gouvernement et au Parlement.

Le Haut Conseil à l'Egalité est satisfait que le texte présenté par le ministre Jean-Noël Barrot contienne des mesures pour la protection des mineur·es avec les compétences augmentées de l'Arcom pour rendre effectif le contrôle d'âge pour les sites pornographiques, ou des mesures contre la pédocriminalité avec un délai maximum de 24h pour le retrait de contenus pédopornographiques.

Cependant, aucune disposition n'est consacrée à celles qui sont les plus grandes victimes du système pornographique : les femmes et les filles, qui y sont humiliées, violentées, torturées, subissant des traitements contraires à la fois à la dignité humaine, et ... à la loi française. La procureure de Paris, lors de son audition pour l'excellent rapport du Sénat de 2022 sur la question, « L'enfer du décor », a noté que 90 % des contenus des vidéos pornographiques relevaient du code pénal, car incluant des actes de violences physiques ou sexuelles. On ne peut plus tolérer qu'en 2023, alors que les droits des femmes constituent pour la seconde fois la grande cause du quinquennat, l'industrie pornographique prospère sur la haine et la violence contre les femmes, dans l'indifférence générale et l'impunité la plus totale. Certes, des procédures judiciaires sont enfin en cours d'instruction, grâce à la diligence d'associations de terrain et un parquet qui s'est montré digne de sa mission. Les procès, espérons-le, déboucheront sur des peines lourdes, à la hauteur des motifs des nombreuses mises en examen. Dans l'enquête, dite « French Bukkake », il s'agit de « viols en réunion », de « traite d'êtres humains aggravée » et de « proxénétisme aggravé ». Dans celle qui vise le site « Jacquie & Michel », de « viols » et de « proxénétisme ». Mais les procédures judiciaires sont lourdes, lentes, coûteuses, aléatoires. Pour quelques dizaines de victimes dont la justice écoute les voix, ce sont des millions de vidéos pornographiques qui diffusent des actes pénalement répréhensibles d'une violence souvent insoutenable.

Sur les quatre principales plateformes pornographiques, les mots clefs sont éloquents : selon un recensement fait par la Haut Conseil à l'Egalité en avril 2023, 13 898 vidéos avec le mot clef "torture", 21 884 vidéos avec "prolapse", 215 671 vidéos avec "bukkake", 194 527 vidéos avec "gangbang", 70 118 vidéos avec "anal by surprise", 25 368 vidéos avec "urine"...Pour qu'il ne soit plus possible (ou intéressant financièrement) de se lancer dans la production, la diffusion ou l'hébergement de vidéos pornocriminelles, il faut que les contenus illégaux soient éliminés au plus vite. C'est là que la régulation du secteur numérique entre en jeu, puisqu'il est le canal porteur (et en pleine expansion) de ces contenus illicites, tolérés jusqu'ici au nom de la liberté sexuelle, de la liberté de création, de la liberté d'expression, de la liberté d'internet. Que de grands principes invoqués par des organisations surtout avides de milliards !

Le Haut Conseil à l'Egalité rappelle qu'aucune liberté ne va sans limite définie par la loi. L'article 1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication rappelle ainsi : "La communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise par le respect de la dignité de la personne humaine".
Le viol est un crime. Les actes de torture et de barbarie, les traitements inhumains et dégradants sont des crimes. Les violences d'une gravité exceptionnelle par leur cruauté et la souffrance qu'ils provoquent sont formellement interdits par l'article 3 de la Convention Européenne des droits de l'homme. Ce sont des atteintes à la dignité humaine.

Le Haut Conseil à l'Egalité propose que la diffusion et l'hébergement des vidéos criminelles présentant, de manière non simulée, des actes de torture et de barbarie, des traitements inhumains et dégradants ou des viols, soient illicites, et que les diffuseurs et hébergeurs fassent l'objet de lourdes sanctions financières (jusqu'à 6% du chiffre d'affaire). Nous proposons que le pouvoir de police administrative permettant le retrait, le blocage et le déréférencement, exercé aujourd'hui par PHAROS sur les contenus de terrorisme et de pédopornographie, soit étendu aux contenus présentant des actes de torture et de barbarie, des traitements inhumains et dégradants, et des viols. Nous souhaitons enfin que l'Arcom, qui est personnalité qualifiée pour contrôler la régularité des blocages, retraits et déréférencement de PHAROS soit doté aussi de nouvelles compétences : suite à des signalements effectués par PHAROS qui seraient restés sans suite, l'Arcom peut être saisie afin de contrôler également la conformité des refus de blocages et ordonner à PHAROS le retrait, le blocage, ou le déréférencement.

Le Haut Conseil à l'Egalité souhaite assurer un droit de retrait effectif de tout contenu à caractère sexuel par la personne filmée ou photographiée, à tout moment, et sans justification. Les victimes ne doivent plus subir l'impact traumatique d'une diffusion de contenus à caractère sexuel et obtenir un retrait rapide, même s'il y a pu avoir un "accord" donné préalablement. C'est une atteinte grave à la vie privée. Ce contenu manifestement illicite doit pouvoir faire l'objet d'un signalement, et d'un retrait en 48h par la plateforme, sous peine de sanctions financières lourdes.

Concernant la pédopornographie, la situation est explosive : 85 millions de contenus pédopornographiques ont été signalés dans le monde en 2021, selon la Commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, qui rappelle que "les signalements ont augmenté de 6000% au cours des dix dernières années". PHAROS a ordonné le retrait de 82 754 contenus pédopornographiques. Nous sommes loin du compte.

Le Haut Conseil à l'Egalité propose que toute image, représentation d'un·e mineur·e ou d'une personne dont l'aspect physique est celui d'un·e mineur·e à caractère pornographique soit interdite, quel que soit l'âge de la personne filmée. Il s'agit donc de supprimer de l'article 227-3 la phrase "sauf s'il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation et de l'enregistrement de l'image". PHAROS tire prétexte de façon contestable de cette phrase pour refuser de retirer des contenus pédopornographiques, arguant d'une présomption de majorité sur les contenus présents sur les plateformes pornographiques. Sur les quatre plus grandes plateformes pornographiques, les mots clefs sont là aussi éloquents : 138 750 vidéos avec le mot clef "daddy", 1 297 107 vidéos avec "teen", 139 196 vidéos avec le mot "écolière", 425 396 vidéos avec les mots "frère et sœur". Tandis que plus de 165 000 enfants sont victimes de pédocriminalité, ces contenus pédopornographiques normalisent et érotisent les crimes sexuels commis contre les mineur·es. La loi doit être claire : si l'intention est de représenter un·e mineur·e dans une vidéo pornographique, c'est de la pédopornographie.

Au-delà des violences extrêmes, une régulation d'ensemble du sexisme dans le numérique est aussi plus que jamais nécessaire. Les violences sont le produit d'un continuum. Or, en dehors de la pornographie, les contenus dégradants ou agressifs à l'égard des femmes se multiplient sur Internet. Il faut responsabiliser les plateformes. Le Haut Conseil à l'Egalité souhaite obliger, dans un premier temps, les plateformes à mesurer le sexisme de leurs contenus les plus vus en France grâce à une batterie d'indicateurs (ou à un outil algorithmique) et à rendre les résultats publics chaque année. Cette obligation de moyens serait mise en place en concertation avec l'Arcom et contrôlée par cette autorité de régulation.

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