Articles récents \ France \ Société Une femme un toit : “Les très jeunes femmes […] un public hors radar”

Les jeunes femmes sont tout aussi exposées aux violences physiques, sexuelles ou psychologiques que leurs ainées, si ce n’est plus. Selon l’enquête d’En avant toutes, 9 jeunes femmes sur 10 ont déjà été victimes de ces violences. Pourtant, elles restent invisibles des dispositifs publics. L’association FIT, une femme un toit, les accompagne depuis 1969 et lutte contre cette invisibilisation. 

FIT était à l’origine un foyer pour les jeunes travailleuses, d’où son nom. À la fin des années 1960, le bâtiment parisien que l’association occupe accueillait des femmes étrangères ou des femmes venues sur Paris pour trouver du travail. À cette époque, le foyer a accueilli près de 100 femmes précaires. Un public jeune, souvent invisible. Les jeunes femmes n’étaient, en effet, pas prises en compte dans les politiques publiques et ne percevaient alors aucune aide, surtout quand elles étaient en rupture familiale. 

Mais la crise économique des années 1990 a entraîné une trop forte paupérisation du public que FIT recevait. Le foyer de jeunes travailleuses n’est alors plus adapté et ferme ses portes. Parallèlement, l’association décide d’ouvrir un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS). Plus tard, il y a environ 15 ans, l’association se spécialise dans l’accompagnement des jeunes femmes victimes de violences.

“Nous nous sommes rendues compte que 95% des femmes que nous hébergions  avaient un vécu de violences

Ce changement, pour la présidente de l’association Séverine Lemière, est réellement parti du récit des femmes qui étaient initialement hébergées. 95% de ces femmes étaient victimes de violences intrafamiliales et conjugales. “Les très jeunes femmes sont très fortement concernées mais elles ne saisissent pas les dispositifs publics. […] Elles n’appellent pas le 3919 ou quand elles se retrouvent à la rue, elles ne s’identifient pas aux personnes que l’on y voit habituellement et n’appellent donc pas les numéros d’urgence”, explique Séverine Lemière. Quant aux dispositifs jeunesse, les lieux sont majoritairement pris d’assaut par les jeunes hommes, qui du fait de leur manque de sensibilisation aux violences, n’offrent pas un cadre sécurisé à ces femmes. En se spécialisant dans l’accueil des jeunes femmes victimes de violences, FIT permet ainsi d’accueillir ce public qui reste généralement “sous le radar des dispositifs publics”. 

Actuellement, l’association héberge 72 jeunes femmes qui ont entre 18 et 25 ans et qui ont connu dans la majorité des cas des violences intrafamiliales, mais aussi des violences conjugales, des violences sexuelles ou encore de la mise en prostitution par le conjoint. Si l’association n’accueille pas d’enfants entre ses murs, elle accompagne les femmes en cas de grossesse et les aide à trouver par la suite un hébergement plus adapté. 

“En quatre ans, nous sommes devenues trois lieux”

Parallèlement au CHRS, l’association a ouvert deux autres structures.En 2019 est créé le LAO, un lieu d’accueil et d’orientation. Ouvert même aux mineures à partir de 15 ans, cet établissement a été fondé conjointement avec l’Observatoire des violences envers les femmes de Saint-Denis et de Paris, les Services de l’État en Ile-de-France et la ville de Bagnolet et est soutenu par le FSE (fonds social européen).

Le LAO a trois grandes missions : prévenir les violences sexistes sexuelles tout en repérant les jeunes femmes victimes de ces violences, accueillir ces femmes et favoriser leur émancipation. Ainsi, elles sont accompagnées par une équipe de professionnel·les, qu’elles/ils soient psychologues, éducatrices spécialisées, ou encore juristes. Pour Séverine Lemière, “il y a un vrai accompagnement individuel et collectif”. Depuis sa création, le LAO a ainsi suivi près de 450 jeunes femmes. 

L’année suivante, en 2020, FIT ouvre des places d’hébergement d’urgence. Les jeunes femmes victimes de violences peuvent ainsi être mises en sécurité rapidement. Ces places permettent alors de prévenir des risques d’exclusion, d’évaluer les besoins de chaque femme et de les orienter par la suite vers des structures adaptées. Contrairement au CHRS où les femmes signent un contrat de six mois renouvelable, ici, elles signent pour un mois, toujours de manière renouvelable. Elles restent ainsi 2 ou 3 mois alors que dans le CHRS la moyenne est de 17 mois. 

“Sur le terrain, globalement, nous ne sommes pas financées à hauteur des besoins des jeunes femmes”

Les jeunes femmes trouvent chez FIT un endroit sécurisé et un réel accompagnement. En ce qui concerne la vie quotidienne, pour celles qui n’ont pas les ressources nécessaires, des tickets-services sont mis à leur disposition. Puis, elles sont accompagnées par des travailleuses sociales qui vont travailler sur le parcours et le projet de chaque femme, qu’il soit professionnel ou personnel. 

Pour ce qui est de la vie sociale, FIT ne la laisse pas de côté. Dans la cuisine collective, des cours sont organisés, mais aussi des temps d’échange autour d’un apéro. L’association propose également des sorties en extérieur, que ce soit en période de fin d’année où elles partent ensemble à la découverte des lumières de la ville ou l’été où elles vont à la plage et font des sorties d’accrobranche. 

Les places d’urgence et le CHRS sont financés en grande majorité par la DRIHL ( la Direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement). Malgré ces aides financières, pour Séverine Lemière “sur le terrain, nous ne sommes pas financées à hauteur des besoins de ces jeunes femmes et à la hauteur de la complexité du travail qui est mené”. 

Si la présidente note une vraie avancée en 10 ans, notamment sur la libération et l’écoute de la parole des femmes victimes de violences, avec un niveau de conscientisation de la société plus élevé, le milieu social souffre d’un manque de moyens. Les travailleuses sociales et toutes les personnes travaillant aux côtés de ces femmes abattent un travail considérable, pour autant il est sous-estimé. 

Selon Séverine Lemière “il y a une vraie méconnaissance de toutes les compétences professionnelles  qui sont nécessaires pour accompagner les jeunes femmes”. Ces métiers, très stéréotypés “métiers de femmes” sont ainsi sous-valorisés, notamment d’un point de vue salarial. Des actions politiques sont donc nécessaires pour permettre à ces métiers d’être mieux reconnus, mieux rémunérés et donc plus attractifs. 

“Ici il y a toujours eu une réflexion sur l’accès à l’emploi des jeunes femmes”

Au fil des années, FIT a développé une réelle expertise sur l’impact des violences dans l’insertion des femmes dans le monde du travail. L’association a créé récemment une méthode d’accompagnement et de formations afin d’améliorer l’accès à l’emploi et la prise en compte des violences dans le milieu professionnel. Elle a d’abord travaillé avec EDF dans la mise en œuvre de leur accord d’égalité professionnelle. 

Après avoir fait un diagnostic au sein de l’entreprise, FIT s’est rendu compte que 40% des personnes-ressources interrogées (assistant· es sociales/sociaux, RH, médecine du travail ou représentant·es du personnel ) avaient entendu parler de violences conjugales subies par des salariées.  Après ce diagnostic, EDF “s’est outillé de plusieurs pratiques qui existaient déjà mais qui se sont ouvertes à un nouveau public, celui des victimes de violences conjugales comme des aides financières, des appartements hôtels, des changements d’horaire ou de mail”, détaille Séverine Lemière. Elle ajoute que ces formations permettent également de “comprendre le phénomène d’emprise, de repérer les signaux et de savoir se positionner en osant poser la question tout en restant à sa place”. Depuis le début de ces formations, EDF a soutenu plus de 400 femmes salariées victimes de violences conjugales.

Après EDF, l’association a collaboré avec d’autres entreprises comme Enedis, elle s’est aussi mise en relation avec les Centres d’information des droits des femmes et des familles. Avec eux, FIT travaille sur une méthodologie à destination des employeurs, déployable dans de plus petites entreprises sur l’ensemble du territoire.  

Une femme un toit continue ainsi à se développer dans de nouveaux lieux parisiens, dans de nouvelles régions et espaces de travail. Prochainement, l’association a pour projet de déménager son CHRS afin d’augmenter sa capacité d’accueil et de pouvoir faire du bâtiment actuel un lieu d’accueil d’urgence.

Camille SP 50-50 Magazine

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