Articles récents \ France \ Société Africa 93 : l’auto-organisation des femmes

Depuis 1987, l’Association Africa 93, créée par des femmes issues de l’immigration habitant à la Courneuve, s’auto-organise pour aider les habitant·es de leur quartier. Mimouna Hadjam, une des fondatrices d’Africa 93 et sa porte-parole, ouvre les portes de cette association solidaire. 

Il y a 35 ans, le Front National, qui n’était alors qu’un parti embryonnaire, réalise un très bon score aux élections européennes (10,95 % des suffrages exprimés). La France assiste ainsi à une montée de l’extrême droite et plusieurs crimes racistes font l’actualité. En 1983, un enfant de 9 ans du nom de Toufik Ouanes habitant à la Courneuve est tué par un homme du voisinage. En 1986, Abdel Benyahia est tué par un policier et en 1987 un autre jeune l’est également. Face à ces meurtres, les femmes de ce quartier décident de s’organiser en créant l’association Africa 93. “Nous voyons les conséquences de ce climat, il touche les hommes de nos familles”, explique Mimouna Hadjam.

Les femmes issues de l’immigration sont occultées 

 En 1983, la première marche pour l’égalité arrive à la Courneuve et ce sont 100 000 personnes qui ont ainsi défilé dans les rues. Cette manifestation a permis l’accès à une carte de séjour de 10 ans et elle a apporté une visibilité sociologique sur les enfants de l’immigration devenu·es adultes. Pourtant, les femmes et les problématiques qui leur sont propres sont effleurées. Mimouna Hadjam, travaillant à ce moment-là dans un centre d’accueil pour femmes, explique : “’il n’y avait pas vraiment de débats féministes sur la place des femmes immigrées ou issues de l’immigration dans la société”. Dans les mouvements anti-racistes présents comme le MRAP, les femmes sont aussi évincées. En 1987, un collectif de femmes décide de s’organiser et de monter l’association. 

La création d’Africa 93 n’a pas été sans embûche. La Courneuve était, à la fin des années,80 un bastion communiste où régnait une gauche frileuse quant au sujet de l’immigration. “Nous n’avions pas que des amis”, concède Mimouna Hadjam. Pendant la première année de l’association, un procès retentissant fait l’actualité après l’excision de deux jeunes filles par leur famille. Africa 93 décide de prendre position en faveur d’une condamnation des familles, mais sans l’emprisonnement des femmes. “Les femmes font ça pour les hommes, elles avaient potentiellement vécu la même chose”, clarifie Mimouna Hadjam. L’excision est ainsi un sujet dont on ose parler dans l’association malgré le tabou qui l’entoure. 

“Nous étions là pour les valoriser et valoriser les familles”

Africa 93 va commencer par créer des ateliers de soutien scolaire avec l’aide de professeur·es bénévoles. “Nous l’avons fait pendant 16 ans, avec comme objectif d’apporter une aide immédiate mais aussi de travailler sur l’environnement culturel de ces enfants en organisant des sorties à Paris par exemple”, explique Mimouna Hadjam. Aujourd’hui la fondatrice est fière du chemin parcouru par ces jeunes, certains sont devenus enseignant·es, d’autres avocat·es ou psychologues. Elle précise que bien sûr ce n’est pas seulement grâce aux bénévoles qui étaient là pour les valoriser. Les activités de l’association se sont ensuite étendues au fil des années.

“Le travail le plus important c’est l’accompagnement social et juridique des immigré·es et des habitant·es du quartier, même si la dominante femme est présente”, développe Mimouna Hadjam. Africa 93 est en effet mixte même si elle accueille 80 % de femmes. Cette mixité a pour objectif de ne pas oublier les ainés, souvent isolés. Alors que les services sociaux ont un délai de 4 à 5 semaines pour un rendez-vous, beaucoup de personnes se tournent ainsi vers l’association. “Africa 93 est une association politique, mais non politicienne”, précise la fondatrice. Elle se positionne sur les problèmes de société comme le déficit de logements sociaux, le chômage, l’isolement des ainés ou encore le surendettement et accueille toutes personnes qui en auraient besoin. 

“Beaucoup de femmes n’osent pas prendre la parole”

Pour aider les femmes victimes de violences conjugales, un des enjeux principaux de l’association, Africa 93 déploie toute son énergie. Des groupes de paroles sont ainsi organisés par des femmes qui ont réussi à sortir de ces violences. Leurs récits permettent parfois de repérer de potentielles victimes qui n’oseraient pas encore prendre la parole. L’accompagnement de ces femmes est un long travail, “elles ont besoin de soutien mais absolument pas de jugement”, souligne Mimouna Hadjam. Parfois, cela peut prendre jusqu’à trois ans pour sortir de la relation violente, il existe “une pression de la famille, de la communauté, du quartier”

“Nous avons eu deux féminicides dans le quartier, plus une tentative. À chaque fois, c’est l’occasion d’organiser des marches blanches et de dire aux femmes : regardez”, explique la porte-parole de l’association. Africa 93 montre ainsi à ces femmes que la violence est un continuum mais qu’elle est aussi partout. Il y a une vraie méfiance quant au fait de raconter son vécu de violences par peur de faire du mal à sa communauté. Que ce soit avec la communauté chinoise ou maghrébine qu’elles accueillent, Mimouna Hadjam le remarque: “Il y a cette peur d’aggraver le racisme contre sa communauté” . Contre cela, les bénévoles les rassurent et leur disent : “’il n’y aura pas de mal dit de votre communauté, le problème est mondial et nous combattrons les récupérations racistes”

“Peu de personnes s’intéressent aux vies de femmes dans les quartiers, que ce soit au niveau économique, social, mais aussi de leur vie en tant que femme”

Même si Mimouna Hadjam note une amélioration sur la prise en considération de ces violences, le manque de moyens financiers impacte durement l’accueil des victimes. “Sur la question des violences, on est à fond avec le milieu féministe pour réclamer le fameux milliard que l’on a jamais eu […] Si j’avais un hébergement à leur proposer il y a des femmes qui partiraient”, dénonce Mimouna Hadjam. Mais, avec seulement quatre appartements relais à la Courneuve, l’offre n’est pas suffisante. Africa 93 a pourtant demandé à la ville et au département de doubler au minimum les places disponibles et d’ajouter chaque année cinq logements supplémentaires. 

Africa 93 connaît également un désengagement financier de l’État après le covid qui a lourdement impacté leurs actions, mais aussi la vie des femmes qu’elles accueillent. En attendant des dispositifs publics adaptés, l’association se lie avec d’autres organisations. Elle est notamment soutenue par la Fondation des Femmes qui paye parfois des nuits à l’hôtel quand une femme est en grand danger. La Maison des Femmes de Saint-Denis permet, quant à elle, d’accueillir des femmes envoyées par Africa 93 pour déposer plainte. Même si pour Mimouna Hadjam la situation dans les commissariats s’est améliorée, porter plainte reste plus facile grâce à ce dispositif. Pour pallier la baisse des subventions de la mairie, Africa 93 s’est aussi tournée vers le Fonds pour les Femmes en Méditerranée qui depuis six ans leur apporte un réel soutien financier. 

“C’est une goutte d’eau, mais on le fait quand même, ça aide les femmes”

En parallèle de cet accueil des femmes victimes de violences, l’association étend ses activités grâce à la vingtaine de bénévoles présentes. Avec la Fondation des femmes, Africa 93 s’est intéressée au problème de la précarité menstruelle et au manque des produits d’hygiène, notamment pour les enfants. “Nous recevons des femmes qui n’arrivent plus à allaiter alors, nous pouvons les dépanner […] et l’Agence du don en nature nous donne beaucoup de produits pour les enfants comme des couches”, précise Mimouna Hadjam. Africa 93 prépare également la rentrée scolaire 2023 en mettant à disposition du matériel scolaire pour près de 150 familles. 

Deux nouveaux ateliers seront prochainement organisés, un sur la danse thérapie et l’autre sur la santé sexuelle. Grâce au soutien financier du fonds Ulmann, ceux qui ont commercialisé la pilule du lendemain et la pilule abortive, Africa 93 aura à sa disposition des tests de grossesse. Mimouna Hadjam précise néanmoins que la structure ne sera pas pour autant médicalisée, mais pourra réaliser des séances de prévention, informant ainsi les femmes sur les méthodes de contraception disponibles. Ces questions de santé sexuelle sont arrivées à l’association grâce à de nouvelles bénévoles. Africa 93 abordait déjà les questions d’addiction, mais ce tournant va pouvoir permettre de parler d’IVG, un sujet qui, alors qu’il était abordé plus facilement il y a quelques années, est redevenu tabou. Une autre nouveauté pour l’association c’est l’arrivée de femmes venues de Syrie ou encore d’Égypte qui ont connu des violences extrêmes.

Africa 93 continue ainsi son accueil et sa lutte car comme le dit sa porte-parole : “en visibilité nous avons  gagné mais en profondeur nous n’y sommes pas encore”.  

Camille SP 50-50 Magazine

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