Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Violences sexistes en Outre-mer : davantage de besoins et moins de moyens

Juillet 2023 • Après un an d’enquête auprès d’associations d’Outre-mer, En avant toute(s) dévoile les résultats d’un rapport sur les violences faites aux femmes et aux personnes LGBTQIA+ dans ces territoires. Le constat principal : alors que leurs besoins sont accrus et spécifiques, les territoires d’Outre-mer ont moins de moyens. Des solutions numériques, telles que le tchat Commentonsaime.fr, peuvent contribuer à apporter une réponse.

Un pont entre les territoires d’Outre-mer et l’Hexagone : un rapport inédit

Pour son rapport, En avant toute(s) a rencontré en visioconférence plus d’une vingtaine de structures (associations, observatoires…) d’Outre-mer, plus précisément dans les zones de l’océan Atlantique (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Guyane), de l’océan Indien (Réunion et Mayotte), ainsi que de l’océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française).

Les échanges ont permis de dresser un état des lieux de l’existence des violences dans ces territoires, et d’accroître la compréhension des besoins des associations. En particulier, le rapport permet de saisir les spécificités communes à tous les territoires d’Outre-mer, mais aussi celles qui sont propres à chacun d’entre eux. Cette étude a été enrichie par une revue de littérature pour intégrer une perspective démographique, statistique et territoriale. « Nous avons orienté notre rapport autour de trois axes rarement pris en compte : les jeunes, les violences LGBTQIA+ et le numérique en raison des contraintes propres aux Outre-mer », précise Aurélie Garnier-Brun, Directrice du développement et du mécénat d’En avant toute(s).

Cette méthodologie permet à En avant toute(s) de livrer un rapport inédit sur les territoires d’Outre-mer.

En Outre-mer, les violences contre les femmes et personnes LGBTQIA+ sont accrues

Premier constat du rapport : en Outre-mer, les violences sont plus nombreuses qu’en France métropolitaine. Les données croisées relevées par En avant toute(s) mettent en exergue des chiffres accablants :

À la Réunion, les femmes sont 3 fois plus victimes de violences conjugales que dans l’Hexagone.

La Guyane est le département où le nombre de femmes victimes enregistrées pour 1000 habitant·es est le plus élevé en 2021.

Alors que l’exclusion et la précarité favorisent l’émergence de situations de violences, à Mayotte, 77 % à 79 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Ainsi, plus d’une femme sur 10 a déclaré avoir subi au moins un type de violence.

En Martinique, près d’une femme sur cinq est en situation de violences conjugales et une femme sur 3 déclare avoir subi des violences psychologiques au sein de son couple. Au travail, le harcèlement sexuel est à hauteur de 5 %, soit le double du taux enregistré dans l’Hexagone.

Partout dans les territoires ultramarins, on constate le manque de données criant concernant les personnes LGBTQIA+. Les quelques données existantes sont révélatrices d’une loi du silence concernant les pratiques et les discours qui conduisent les victimes d’homophobie et de transphobie à s’isoler, à garder le silence et à s’autocensurer.

« Le bilan est clair : partout, dans les territoires ultra-marins, la situation des violences est accrue par rapport à l’Hexagone », relève Aurélie Garnier-Brun. Cela s’explique par de multiples facteurs qui fragilisent les personnes victimes, tels que la précarité, l’insularité ou les difficultés géographiques d’accès aux institutions, les phénomènes culturels et sociaux…

Cette revue de littérature soulève néanmoins un enjeu qui limite la prise de conscience : les chiffres sont plus que sous-estimés. D’une part, de nombreuses données n’existent pas. L’inceste et les violences LGBTQIA+ en particulier sont des sujets peu abordés et étudiés, malgré leur ampleur constatée sur le terrain.
D’autre part, quand elles existent, les données reposent parfois uniquement sur les faits dénoncés aux forces de l’ordre, et ne montrent donc pas l’ampleur des violences en dehors des plaintes déposées.
Enfin, la réalité sociétale accentue le tabou sur les violences et le secret, ce qui continue de complexifier l’analyse statistique.

Pour pallier ce manque d’informations, l’écoute des associations de terrain est essentielle. Le rapport d’En avant toute(s) permet de compléter l’analyse quantitative avec un volet qualitatif, grâce à des témoignages extrêmement précieux pour une compréhension des réalités locales.

La parole des associations territoriales permet en effet de mieux comprendre les causes et conséquences des violences. La vie locale apparaît ainsi comme l’un des motifs du silence. Farah Viotty de la Croix-Rouge Saint-Martin, explique : « C’est une vie de petit village ici, donc la parole est compliquée, on veut rester discret. Si les victimes tentent des déplacements dans les établissements, elles vont se faire repérer, il n’y a pas moyen de rester anonyme ». L’interconnaissance entre les différents membres de la communauté, qu’ils soient agresseurs, avocat·es, juges, policier·es et victimes, est également un obstacle à la prise de parole (par exemple en raison de la peur du qu’en dira-t-on ou de détruire la famille de ses proches), et à la lutte contre les violences. Loin de la réalité des centres urbains de métropole, les victimes d’Outre-mer sont confrontées à des spécificités qui méritent d’être prises en compte.

De plus, le poids culturel et familial reste encore très lourd selon les associations. Au planning familial 974 (La Réunion), on souligne par exemple qu’il est essentiel de déconstruire les schémas de violences transmis de génération en génération pour briser le cycle de violence. Autre exemple, en Martinique, les tabous pèsent beaucoup pour les personnes LGBTQIA+. Sabine Chyl, co-présidente de KAP Caraïbe, précise : « Ceux qui militent sont ceux qui ont pu s’affirmer et consolider leur identité en métropole. Ceux qui sont restés ici en Martinique ont beaucoup de mal à se rendre visibles ». Plus encore que le poids culturel, il existe dans certains territoires une différence entre droit commun et droit coutumier. En Nouvelle-Calédonie par exemple, la famille est régie par le droit coutumier, dont l’application se fait par des chefs coutumiers, qui peuvent avoir des appréciations du droit qui diffèrent selon l’individu et les contextes.

Plus largement, nombreuses sont les associations qui relèvent que le contexte social précaire est un terreau fertile pour les violences, notamment les violences économiques. Dans certains endroits, les femmes n’ont ainsi pas toutes de comptes en banque ni de biens, rendant plus difficile leur reconstruction.

Enfin, le contexte réglementaire est également à prendre en compte. Ainsi, le Dr David Mété du CHU de la Réunion rappelle que la fiscalité du rhum, très élevée en métropole pour prévenir les risques, n’est pas la même dans les Outre-mers : « On sait que ce sont des alcools qui favorisent la violence, les études sont nombreuses. On pratique donc une fiscalité forte pour prévenir les risques, sauf dans les Outre-mers. Or, ce n’est pas un privilège mais une inégalité très dangereuse: les citoyens d’Outre mer ne sont pas protégés comme les autres citoyens français ».

En Outre-mer, toutes les structures déplorent un manque de moyens.

En raison de la spécificité des violences et de leur ampleur, les besoins des associations locales sont décuplés. La spécificité géographique des territoires, si elle est un facteur d’accentuation des violences, est aussi un facteur de complication pour les structures d’accompagnement. Par exemple, d’après l’association Nariké M’sada à Mayotte, il n’y a souvent pas de transports en commun et lorsque c’est le cas, il peut y avoir des problèmes d’insécurité, ce qui complique les actions sur le terrain. « Pour faire une action de 2h, il faut compter 4 à 5h en incluant les trajets. Ce n’est donc pas facile de développer le volume d’activité ».

Bien sûr, le manque de moyens financiers est relevé par tous les territoires. Seule la Guyane fait figure d’exception : si le fonds de pauvreté a récemment annoncé 122 000 euros pour l’aide aux femmes précaires, la problématique de la région vient de la nécessité de bien connaître le contexte local, et de prendre en compte la résistance de la population locale envers les dispositifs venus de France hexagonale.

Ces moyens financiers insuffisants ne permettent ni de développer des programmes de prévention, ni de former les différents acteur·ices du réseau, en particulier les membres de la police et de la justice.

Le recrutement de personnel qualifié est un autre exemple de difficulté mise en avant par les associations dans le rapport. En Guyane par exemple, ce problème est exacerbé par un fort turn-over des postes puisque le personnel de la France hexagonale ne reste en moyenne qu’un an ou deux, ce qui complique la mise en place d’une équipe stable et expérimentée. De même, en Polynésie française, l’association Vahine Orama No Ramata note le manque d’avocat·es sur l’île et la difficulté à se faire accompagner.

Manque de moyens, besoin de réponses adaptées et durables : le rapport d’En avant toute(s) illustre donc à quel point les territoires d’Outre-mer font face à des défis complexes dans le cadre des violences faites aux femmes et personnes LGBTQIA+, qui fragilisent les personnes victimes comme les associations d’accompagnement.

Commentonsaime.fr : un début de réponse aux besoins

Lors des rencontres, En avant toute(s) a pu constater que son tchat Commentonsaime.fr, dispositif de prévention et d’accompagnement face aux violences, pourrait constituer une piste de solution. En effet, l’introduction de ce dispositif pourrait combler les lacunes géographiques des territoires (zones éloignées et/ou sans moyen de transport) et au manque de structures locales. Le tchat serait également bénéfique aux jeunes, aux personnes LGBTQIA+ et aux victimes de violences incestueuses – qui sont encore plus susceptibles de rechercher l’anonymat face aux tabous ou à l’interconnaissance.

« Rendre accessible Commentonsaime.fr en Outre-mer offrirait un outil complémentaire aux dispositifs existants de lutte contre les violences, anonyme, sécurisé et gratuit, qui permettrait une première écoute et une redirection adaptée vers les structures en place. Nous allons proposer cette ouverture dans les prochains mois, en particulier avec un projet pilote en Martinique d’ici 2024 », annonce Aurélie Garnier-Brun.

En Avant Toute(s)

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