Articles récents \ Matrimoine Précieuses rebelles ou les salons parisiens du XVII ème siècle

Les Précieuses, un terme inventé par des doctes satiristes. Pourtant nombre d’auteurs se réfèrent à ces femmes de culture. Elles ouvrent leur salon à « l’art de la conversation » où règnent le respect de chacun·e et « l’esprit de joie ». A rebours de la domination masculine dans le mariage forcé ou le libertinage, elles proposent un art d’aimer qui est aussi un art de parler « naturel ». Elles simplifient et enrichissent le langage, durablement.

On les appela « Précieuses » au XVIIè, une raillerie contre les femmes « savantes ». Précieuses et savantes sont en effet les mêmes, que Molière joua si bien à ridiculiser, et d’autres après lui.

Traversons le miroir déformant pour rendre la portée « rebelle » des pratiques des salons parisiens qu’elles animent, dès 1608 comme Catherine de Rambouillet. Puis Mme de Sablé, Mme de Clermont, Mme de Sévigné, Mme de Montpensier, Mme de Lafayette et « la souveraine des Précieuses », Madeleine de Scudéry.

Une représentation qui traversa les siècles

Dès l’avènement de Louis XIV en 1654, se trouve ternie la gloire des « femmes fortes » de la Fronde, telle « la grande Mademoiselle» future duchesse de Montpensier. Ces  « Amazones », « monstres qui voulaient détruire la nature ». laissent le champ de bataille et le terrain politique pour l’espace privé des salons qui convient à leur sexe. S’y côtoient des Loyalistes comme Madeleine de Sablé et des Frondeuses comme Anne-Geneviève de Longueville ou Anne de Maure, laquelle s’indigne que «  des gens se prennent en haine  parce qu’ils sont d’opinions contraires ». Le salon, un espace à part, où l’on invente de nouvelles formes de liberté.

La satire masculine se déchaîne alors contre ces « façonnières », « figures d’horloge » montées sur « ressorts » dit Charles Sorel. Tantôt on leur prête des « saturnales galantes», « je ne puis souffrir cette liberté » dit Chapelain. Tantôt on ironise sur leur laideur, ou on se plaint de leur froideur « cruelle » de « coquettes ». Prévaut désormais l’idéal de la « femme honnête » et « modeste ».

De l’ouverture à « l’esprit de joie »

A l’écart de la cour de Versailles, dans les « ruelles » (quelque 62 salons parisiens) naissent d’autres valeurs, impulsées par des femmes : l’ouverture, une égalité dans les pratiques sociales de la conversation, le respect de la parole des un·es et des autres.

Les Précieuses ouvrent leurs bâtiments sur des jardins, peuplés d’animaux, où l’on évolue au contact de la nature. Elles accueillent aussi des roturier·es (Catherine Bernard écrivaine, Angélique Paulet, chanteuse, Vincent Voiture, poète). Madeleine de Scudéry ouvre sa bibliothèque, rue de Beauce, dès 1652, aux femmes désireuses de s’instruire et de préparer des sujets de « conversation ». Conférences, concerts, lectures, permettent les rencontres de musicien·nes, Antoinette Déshoulières, François Couperin, d’auteurs/autrices, Sévigné, La Rochefoucauld, Malherbe, Corneille, Racine,  Molière, Vaugelas, de savants, Pascal, Ménage.

L’esprit de la conversation est un art de vivre : « on ne cherche pas à avoir raison de l’autre », les femmes y régulent la  propension des hommes aux rivalités (les duels ne sont pas loin !). On y cherche une harmonie, ouvrant à « l’esprit de joie », on joue aux portraits, aux proverbes, aux épigrammes, à l’analyse des rêves. Les débats restent ouverts, comme les baies vitrées, lorsque l’on passe au cabinet des miroirs, rue de Beauce, reflétant le parc, espace de conciliation et de poésie. On n’apprécie guère le « style soldat » d’un La Rochefoucauld et sa fermeture sur « la  pointe ». La juxtaposition des points de vue se retrouve d’ailleurs dans l’écriture de la Clélie de Madeleine de Scudéry. L’esthétique de l’ouverture permet la nuance de l’analyse, à l’inverse du fameux « style soldat ». Une esthétique précieuse respectueuse des différences et fondée sur la courtoisie.

De la courtoisie au souci du langage

Héritières de la courtoisie médiévale et de son respect pour la « dame », maîtresse du jeu amoureux, les Précieuses ont foi en la sublimation des désirs par le langage. Il s’agit de « débrutaliser l’amour », dit Madeleine de Scudéry, car « dans l’amour tout est langage ». L’amour sincère est possible à condition de parler vrai. Encore faut-il s’entendre sur le sens des mots. Le verbe permet alors « la science du cœur » dit Mme de Lafayette, le cœur de l’autre et du sien propre.

D’où l’attention particulière des Précieuses à la définition des mots : elles sont à l’origine du premier Dictionnaire de l’Académie, 1694. Leur jugement fait autorité. Elles proposent de simplifier l’orthographe et les tournures issues du latin : « fait »et non « faict, « noces » et non « nopces », « car »  remplacera « pour ce que ».

Résolument « modernes », elles argumentent contre les Anciens et leurs modèles antiques, prétendument éternels (selon Racine, La Fontaine, Boileau). Le cours du monde est changeant et apporte des représentations nouvelles. Elles sont suivies en cela par Fontenelle ou Perrault. 

Il s’agit de s’exprimer de façon personnelle, sans ostentation, dans un langage « naturel », simple, comme le personnage de Clélie, peinte par Madeleine de Scudéry « nulle contrainte dans ses paroles, son discours est clair et facile ». L’autrice critique d’ailleurs le galimatias de ces gens qui « disent bien souvent le contraire de ce qu’ils veulent dire ».

Les mots sont les choses. Purifier la langue de ses vulgarités  élève l’esprit vers le raffinement. Le raffinement du langage est raffinement des moeurs. On ne dira plus un « cul » d’artichaut mais un « fond » d’artichaut. On évitera autant la rudesse que l’affectation, par respect des sensibilités.

Pétries de jeux poétiques et de culture italienne, elles inventent également des italianismes « furieusement », « terriblement », « salon », des hyperboles « enthousiasmer », « terriblement ». C’est que le mot n’est pas séparé de l’émotion du corps propre à l’oralité de la conversation: « La Précieuse donne force aux mots qu’elle dit » selon Michel de Pure dans La Prétieuse. La vie prime l’écrit. Elles jouent à inventer des métaphores, dont les détracteurs, en les mettant bout à bout, fabriqueront un jargon comique qui fera florès.

On ne leur pardonne pas de se mêler de l’usage du français. Modifier la langue c’est remettre en question l’ordre du monde. L’enjeu est bien politique. Seul le Roi est maître du langage. A tout le moins les hommes savants, certainement pas de « simples femmes ».

La préciosité à rebours du patriarcat

La recherche de raffinement du langage et des mœurs est une rébellion contre l’ordre patriarcal. La liberté d’aimer et de s’épanouir selon « son sentiment propre » comme femme ne va pas de soi : le mariage forcé assigne la femme au rôle de reproductrice et gardienne du clan familial. Le mariage tout court aussi, pour Madeleine de Scudéry : «  L’amour peut aller au-delà du tombeau, mais rarement au-delà du mariage ». Elle choisit le célibat et se surnomme Sapho, pour « être libre » de choisir son  destin d’autrice.

A une époque où la femme est promise au mariage ou au couvent, selon les normes de la société patriarcale. Laquelle contrôle le corps des femmes : le père, pour transmettre ses biens doit contrôler sa progéniture donc la virginité puis la fidélité de l’épouse.

 L’amitié, aussi essentielle que l’amour, selon les Précieuses, entre femmes (Sévigné et Lafayette), entre hommes et femmes (Sablé et La Rochefoucauld) est fondée sur la « tendresse » (selon Madeleine de Scudéry) qui permet le perfectionnement de soi dans la communication.

A égale distance du jeu libertin, fondé sur la séduction et le mensonge, dans le but de faire chuter l’autre, l’amour ou l’amitié précieuses échappent au principe de la domination masculine.

Contre le pessimisme augustinien du temps, les Précieuses ont confiance dans la nature humaine. Car nous sommes  capables de maîtriser nos passions, par la raison et la volonté, de nous connaître nous-mêmes par la parole, d’atteindre à la transparence des cœurs et à l’unité de l’être. 

Edith Payeux 50-50 Magazine

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