Articles récents \ France \ Économie Les Travailleuses : « L’idée, c’était de démocratiser des informations juridiques parfois complexes… »

Basée à Nantes, les travailleuses, est une association crée en 2021 qui aide et accompagne les femmes lors de situations complexes au travail. Marie-Océane Gelly  et Colombe Le Tarnec en sont les cofondatrices. Elles suivent de nombreuses femmes victimes de harcèlements, de discriminations …

« Nous avons créé l’association Travailleuses ! en novembre 2021 et animé nos divers évènements à compter d’avril 2022. Les premiers mois de l’association ont été consacrés à la construction de notre site savec, d’abord, cette volonté de transmettre l’information : dire ce que prévoit la loi, informer les femmes sur leurs droits au travail et la façon dont elles peuvent réagir si leurs droits ne sont pas respectés. »

Marie-Océane Gelly est avocate en droit du travail, spécialisée dans la défense des salarié·es. Colombe Le Tarnec est formatrice et accompagne les reconversions professionnelles. Dans ce cadre, elles suivent de nombreuses femmes qui ont vécu des discriminations, des burn-out, du harcèlement. L’idée de l’association a germé lorsque Colombe Le Tarnec a très mal vécu son retour de congé maternité il y a 7 ans, et s’est trouvée démunie : “J’ai vécu plusieurs mois de harcèlement qui se sont soldés par un licenciement abusif. Je me suis sentie très dépourvue : je ne savais pas vers qui me tourner ni quels étaient les recours à ma disposition. Mon histoire a fini aux Prud’hommes mais j’ai gardé cette idée en tête : si cela arrive à d’autres femmes, il faut qu’elles aient un espace ressource où trouver les recours qui sont à leur disposition”. Les recours dépendent, cela va de soi, de chaque situation. Le site de Travailleuses ! répertorie de nombreuses informations sur le sujet, les recours existants, des statistiques, des illustrations, les articles de loi.

Cette idée a pris un nouveau tournant lorsque Colombe Le Tarnec a cherché à entrer en contact avec des avocat·es en droit du travail, via un post Facebook explicitant son projet et dans lequel elle évoquait son retour de congé maternité. Marie-Océane Gelly a tout de suite été intéressée : “Dans le cadre de mon activité, je suis amenée à défendre beaucoup de femmes qui ne retrouvent pas leur poste en rentrant de congé maternité. Elles ne savent pas toutes que ce n’est pas normal ; elles viennent parfois pour autre chose car la situation a dégénéré mais l’origine, ce sont des discriminations et du harcèlement. En tant qu’avocate, mes armes sont juridiques. J’élabore des stratégies pour les aider à l’échelle individuelle. Mais je voulais m’investir dans quelque chose de plus collectif. Je voulais participer à la diffusion plus large des informations et permettre à des personnes qui vivent ces situations complexes de se retrouver afin de développer une sorte de sororité sur ces sujets. J’ai contacté Colombe via son post Facebook, et nous avons accroché très rapidement.”

Les retours de congé maternité sont fréquemment source de discriminations envers les femmes, et il existe beaucoup d’idées reçues sur cette question”, nous explique Marie-Océane : “Premièrement, aucune étude officielle ne prouve que les femmes sont moins disponibles parce qu’elles viennent d’avoir un jeune enfant. Le congé maternité renvoie les femmes à leur fonction reproductive qui n’est ni prévue ni pensée par le modèle de l’entreprise. Cela vient percuter l’image typique du parfait salarié. Le salarié, masculin neutre qui, de facto, est un homme. Lors de l’annonce d’un congé maternité, l’entreprise – qui a un but lucratif, se doit d’être productive – le perçoit généralement comme un problème. Une salariée absente, un retour qui n’est pas certain. Comment l’entreprise doit-elle gérer cette question ? Pour y répondre, le Code du travail prévoit des dispositifs qui protègent les femmes enceintes, celles qui viennent d’accoucher et qui sont considérées comme vulnérables. Une femme qui part en congé maternité revient à l’issue de cette période, et la loi prévoit qu’elle retrouve son poste et poursuive sa carrière. Les entreprises devraient à mon sens davantage s’interroger sur les questions relatives à la parentalité et évoluer sur leur vision du salarié au masculin neutre.”

Sur le site de l’association Travailleuses !, les deux femmes ont créé ce qu’elles nomment une boîte à outils : “L’idée, c’était de démocratiser des informations juridiques, parfois complexes, pour que les personnes prennent conscience de ce qu’elles vivent : discrimination, harcèlement, le fait qu’il y ait des situations au travail qui ne sont pas normales. Une première rubrique “des chiffres et du droit” met en lien des statistiques avec des situations concrètes, des exemples et des définitions juridiques. Par exemple, la définition du harcèlement, sur Legifrance, est assez abstraite et on peut parfois ne pas s’y retrouver. Le deuxième volet concerne les démarches : qu’est-ce que je peux mettre en place pour me protéger, pour faire valoir mes droits ? Plusieurs outils sont proposés, détaillant les premiers réflexes à avoir, les recours existants. Enfin, le troisième volet est à destination des proches et des témoins : comment aider une personne qui est en difficulté au travail ? Bien souvent, on ne sait pas comment se rendre utile, mais les proches et témoins peuvent jouer un rôle important” précise Colombe Le Tarnec.

Le travail de l’association est effectué par les deux cofondatrices, épaulées par une salariée travaillant pour l’association une journée par semaine, embauchée en 2022 grâce à une subvention de la Fondation des Femmes. Une dizaine de membres actives participent à la réflexion globale et à l’évolution des projets de Travailleuses ! Plus d’une centaine de femmes ont déjà été accompagnées par l’association, individuellement ou collectivement. Travailleuses ! est soutenue et financée par la Fondation des Femmes et par la ville de Nantes. Pour l’heure, les deux cofondatrices ont fait le choix de ne pas demander de subventions à des entreprises, ni à des fondations d’entreprise : “Nous redoutons le ‘féminisme washing’, précise Marie-Océane Gelly, nous voulons avoir une liberté de parole qui risque d’être limitée si nous sommes dépendantes financièrement d’une entreprise.” Colombe ajoute : “Nous souhaitons surtout rassurer les personnes qui subissent des inégalités et nous assurer que chacune se sente accueillie au sein de l’association. Est-ce qu’une personne travaillant pour une entreprise qui nous finance se sentirait à l’aise à l’idée de nous contacter ? Probablement pas. Cela nous rend la tâche plus difficile bien sûr, mais c’est notre choix à l’heure actuelle. Finalement, on en revient toujours à l’éternelle question : la fin justifie-t-elle les moyens ? La réponse à cette question est propre à chacun·e.”

Le rapport à la justice par les femmes

Depuis le mois d’avril 2022, Marie-Océane Gelly et Colombe Le Tarnec proposent de nombreux ateliers questions-réponses sur des thématiques variées, telles que la santé au travail, les discriminations, le harcèlement sexuel et moral, le burn-out, le retour de congé maternité, les agissements sexistes. ”Nos ateliers se déroulent en deux temps : un premier temps d’information où nous expliquons ce dont on parle, et ce que dit la loi. Le second temps est un moment d’échanges : nous répondons aux questions, qui sont nombreuses, et les participantes échangent parfois quelques conseils, se soutiennent.

Nous proposons également, trois à quatre fois par an, des rencontres avec des conférencières, des autrices, des sociologues, spécialistes des sujets qui nous intéressent. L’an dernier, nous avons accueilli Haude Rivoal, sociologue et autrice, qui est revenue sur les différents facteurs qui favorisent le maintien des hommes à des postes de pouvoir, stratégiques et décisionnels ; Juliette Cermeno, chercheuse en sciences de gestion, qui travaille sur le lien entre les violences et discriminations et la productivité ; ou encore Marie Garrau, philosophe, spécialiste du travail du care, qui nous a expliqué en quoi sa répartition genrée et sa faible rémunération participaient aux inégalités de genre. Ces rencontres permettent de rendre accessibles de passionnants travaux de recherche.

Enfin, nous lançons cette année un nouveau format, très plébiscité par les femmes que nous accompagnons : un cycle de cercles de parole pour venir poser les mots sur ce qui a été vécu, partager cette expérience avec d’autres femmes, et se sentir moins seule face à ces inégalités.”

Mais n’est-ce pas intimidant, voire difficile pour une femme d’aller aux Prud’hommes, surtout pour les femmes précaires ? “Tout d’abord, précisons que le dépôt de dossier aux Prud’hommes n’est pas le seul recours. D’autres pistes peuvent être envisagées, sans passer par la case Prud’hommes” rappelle Marie-Océane. Colombe ajoute : “Si on fait le choix de recourir aux Prud’hommes, oui, bien sûr qu’il y a une question d’argent. Beaucoup de femmes pensent que cela ne sert à rien d’aller aux Prud’hommes puisqu’elles ne peuvent pas se permettre de payer un·e avocat·e. Moi la première, alors que je ne fais pas partie des femmes précaires ! Mais j’avais cette appréhension. C’est pour ça que dans notre boîte à outils, nous avons inclus un volet sur les questions d’argent. Mais la peur d’aller aux Prud’hommes s’explique aussi par la peur que la situation, telle qu’on l’a vécue, ne soit pas reconnue. C’est le cas parfois, souvent faute de preuves, et c’est très difficile à vivre. J’ai la chance de ne pas avoir vécu cette situation, et d’avoir vu mon employeur condamné. C’est d’une grande aide pour la reconstruction. Mais c’est une souffrance supplémentaire si la justice estime que les preuves sont insuffisantes. J’en profite pour préciser, car cela peut également être un point bloquant pour certaines, que, si on est accompagné d’un·e avocat·e, il n’y aucune obligation de venir à l’audience. On peut être entièrement représenté par l’avocat·e, pour être sûr de ne pas se retrouver nez à nez avec son employeur·euse.”

Marie-Océane Gelly poursuit : “Consulter un·e avocat·e n’est pas toujours le premier réflexe, c’est quelque chose qui est plus fréquent dans les milieux les plus favorisés, d’où le fait que dans le cadre de l’association, nous diffusons des informations pour que tout soit le plus accessible possible. Se dire “oui, mon positionnement est légitime” n’est pas toujours évident. Il faut aussi savoir, notamment en droit du travail, qu’avoir un·e avocat·e ne signifie pas nécessairement qu’il y aura une action judiciaire aux Prud’hommes, car beaucoup de choses peuvent être négociées. Mes clientes peuvent avoir une image de la juridiction prud’homale très intimidante, avec des choses vues dans les séries, des films avec des audiences très théâtralisées. Dans les faits, la juridiction prud’homale est une juridiction tout à fait accessible. A titre d’exemple, contrairement à une idée répandue, les conseiller·ères prud’homaux·ales ne portent pas de robes

Océane Koukodila 50-50 Magazine

Photo de Une : à gauche Marie-Océane Gelly , à droite Colombe Le Tarnec

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