Articles récents \ Culture \ Livres Caroline Darian : Et j’ai cessé de t’appeler papa

En avril 2023, Caroline Darian publie son livre « Et j’ai cessé de t’appeler papa ». Dans ce témoignage poignant, l’autrice raconte les agissements de son père et leurs répercussions. Il est accusé d’avoir drogué sa mère pendant des années afin de la violer et de la livrer à d’autres hommes. À partir du moment où elle est convoquée au commissariat et apprend les actes de son père, Caroline Darian constate l’ampleur et la méconnaissance qui entoure la soumission chimique dans la sphère privée. 

Il y a trois ans, Caroline Darian est convoquée au Commissariat de Carpentier sans s’attendre aux révélations que vont lui faire les officiers qui la reçoivent. Arrêté pour avoir filmé sous les jupes de trois femmes, son père est placé en garde à vue après la perquisition de son domicile. Dans son matériel informatique, ils découvrent une réalité bien plus sinistre. Caroline Darian apprend qu’il drogue sa mère depuis une dizaine d’années pour la violer et la faire abuser par d’autres hommes. “On va découvrir qu’ils sont plus de 80 hommes à œuvrer entre 2011 et 2020 et qu’ils ont tous pu bénéficier de ce protocole sinistre qui consiste à violer une femme sans son consentement et dans un état presque comateux”, révèle l’autrice. Ces hommes ont entre 22 et 70 ans, et sont parfaitement insérés dans la société. On retrouve un pompier, un chauffeur routier, un conseiller municipal ou encore un infirmier et un journaliste. 

L’instruction est désormais terminée et le procès aura lieu l’année prochaine, sans que l’on connaisse la date précise. Caroline Darian se prépare à la forte médiatisation de ce procès: “ on a rarement vu autant d’auteurs pour une seule victime ”. Pour faire face à cette situation particulièrement violente, elle se met rapidement à écrire. Personne dans sa famille n’était au courant ou susceptible de deviner la violence qu’exerçait son père sur sa mère. “ On savait que ma mère avait des insomnies, des problèmes de mémoire ”, se remémore Caroline Darian. Avec ses frères, ils l’avaient même encouragé à consulter plusieurs médecins, mais la fratrie “ était à 10 000 lieux de chercher au bon endroit ”. 

“C’est généralement un proche qui drogue à des fins criminelles” 

La soumission chimique est définie comme “l’administration d’une ou plusieurs substances psychoactives à l’insu des victimes ou sous la menace, à des fins criminelles ou délictuelles”. Très vite, Caroline Darian se rapproche d’expert·es en addictologie et en pharmacovigilance pour comprendre comment les médicaments qui ont été utilisés par son père ont pu être délivrés aussi facilement. Ce n’étaient pas des drogues comme le GHB, appelé la drogue du violeur, qui ont été utilisées comme on pourrait le penser, mais bien des médicaments vendus directement en pharmacie ou sur ordonnances. Ce sont en effet des anxiolytiques, hypnotiques ou encore des antiallergiques qui sont détournés pour sédater les victimes. 

En investiguant de son côté, l’autrice se rend ainsi compte que la soumission chimique est présente là où l’on ne s’attend pas. Quand est arrivé le #Balancetonbar qui permettait aux victimes de dénoncer les lieux où elles avaient été droguées, la présence de la soumission chimique a seulement été considérée dans la sphère festive. Pourtant, dans plus de 50 % des cas, c’est bien dans la sphère privée qu’on l’exerce. “ C’est généralement un proche qui drogue à des fins criminelles : agressions sexuelles, extorsion, vols, même si dans la majorité des cas, c’est pour agresser sexuellement ”, démystifie Caroline Darian. D’ailleurs ces actes ne concernent pas seulement les femmes mais aussi les enfants. 

“La majorité des cas passe inaperçue pendant des années”

Après plusieurs mois d’investigations, Caroline Darian se procure la dernière enquête de l’ASNM réalisée par la Docteure Leila Chaouachi. Cette dernière a pour objectif d’analyser “ sur enquête judiciaire le type de substances médicamenteuses retrouvées dans les affaires d’agressions ”, précise l’autrice. Mais cette étude ne prend pas en compte les victimes qui n’ont pas déposé plainte. On estime alors qu’il y aurait environ 500 victimes par an, un chiffre largement sous-estimé pour Caroline Darian. 

Les victimes de soumission chimique mettent souvent plusieurs années à comprendre leurs symptômes. En se rapprochant de la Maison des Femmes de Saint Denis, l’histoire de Caroline Darian fait écho à celles entendues par la Dr. Ghada Hatem-Gantzer, la créatrice de cette structure. “ Elle voit passer des femmes qui sont soumises malgré elles […] nous nous sommes mises autour de la table et nous nous sommes dits qu’il y avait vraiment un enjeu de santé publique ”, se rappelle Caroline Darian. Avec les docteurs Leila Chaouchi, Ghada Hatem-Gantzer, et Arnaud Gallais, elles décident alors de monter la campagne de sensibilisation “M’endors pas”.

“Il y a un vide de prise en charge”

La campagne a deux objectifs : alerter le grand public sur le fait que cela peut arriver à n’importe qui et que cela ne relève pas du fait divers. Puis interpeller les pouvoirs publics. Caroline Darian espère prochainement être reçue par le Ministère de la Santé, et que de cette rencontre naisse une véritable action. “Aujourd’hui, que ce soit les médecins généralistes ou les spécialistes, en passant par les gynécologues, elles/ils ne sont pas formé·es à diagnostiquer ce type de cas dans leur patientèle”, explique Caroline Darian. Pour qu’il y ait un véritable changement dans la formation des professionnel·les de santé, il  est nécessaire qu’il vienne du ministère. Car si le mouvement a beaucoup touché le grand public comme le montre la pétition de #Mendorspas qui a été signée par plus de 21 000 personnes, l’autrice estime qu’il a touché seulement 10 % des médecins. 

Pourtant, ce sont elles/eux qui sont en première ligne. La mère de Caroline Darian “semblait en état d’ivresse avancée ou de fatigue, elle n’arrivait pas à aligner deux phrases ou ne se souvenait pas de discussions qui avaient eu lieu le matin même”, se souvient-elle. Pour elle, ce sont des symptômes qui devraient alerter les professionnel·les sans les rattacher obligatoirement à des maladies comme Alzheimer. Des signes comme l’amnésie, les chutes, voire des accidents sur la voie publique à répétition sont à repérer, tout comme les effets secondaires du sevrage.  “Il faut que les professionnels de santé se disent qu’il y a peut-être un loup et demandent des tests toxicologiques plus ciblés, qui ne sont pas juste une prise de sang”, exhorte l’autrice. 

“Il faut lever le voile” 

La méconnaissance qui entoure la soumission chimique est aussi due aux idées préconçues, notamment sur le viol. L’idée selon laquelle un viol se passerait seulement dans une rue, dans un parking, au milieu de la nuit et par un inconnu est encore omniprésente. Pourtant c’est bien dans la sphère privée, dans la sphère familiale, que la majorité des cas de viols et d’agressions sexuelles sont recensés. Pour Caroline Darian, “cela veut dire mettre à mal la maison, le foyer, l’endroit qui est censé être protecteur, ce qui demande une démarche psychologique importante”. Quand on parle de soumission chimique il faut aussi enlever l’idée qu’elle touche essentiellement les jeunes femmes, comme ce fut le cas lors du mouvement #Balancetonbar.

Pour continuer cette sensibilisation auprès du public, Caroline Darian et son équipe aimeraient réaliser un spot publicitaire pour qu’il soit diffusé sur les chaînes de télévision, mais aussi dans les cinémas. L’autrice envisage également de transformer son mouvement en association pour réaliser un plus grand nombre de projets. En ce qui concerne les professionnel·les de santé, l’autrice attend de vraies actions après sa rencontre avec le ministère de la Santé. “ Il faut prendre le sujet à bras-le-corps, cela signifie qu’il faut lancer des modules de formation auprès de tous les médecins de France […] il y a tant à faire pour toucher les victimes potentielles ”, explique Caroline Darian.

Cette campagne, soutenue par une trentaine de personnalités comme Olivia Ruiz, Daphnée Burki ou encore Fatou N’Diaye, espère ainsi sortir ces femmes et ces enfants de cette camisole chimique. 

Camille SP 50-50 Magazine

M’endors pas

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