Articles récents \ France \ Politique Dix ans de mariage… Et l’amour aussi ! 2/2

De nombreuses actions parfois violentes et toujours très virulentes ont à la fois blessé et galvanisé nombre de lesbiennes pour obtenir un droit qu’elles ne revendiquaient pas toujours à titre personnel. C’est le cas de Chantal et Mireille qui vivaient ensemble depuis 20 ans et qui nous expliquent ce que ce combat a changé pour elles.

Qu’est-ce qui vous a le plus motivé à l’époque pour militer pour le mariage pour tou·tes ?

Chantal Pour ma part j’ai considéré cette procédure de mariage comme un acte militant, c’était important de poser cet acte comme un acte militant. Il fallait s’en emparer afin de montrer qu’on existait, que c’était important pour nous d’acquérir ces nouveaux droits.Le Pacs ne garantissait pas de copropriété possible. Si l’une décédait, l’autre devait payer des droits de succession importants. Maintenant la conjointe survivante a les mêmes droits que dans un couple hétérosexuel, c’est une protection. En permettant aux couples homosexuels de bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels, cette loi a apporté une sécurité aux couples qui vivent ensemble. Nous étions pacsées mais l’accès au mariage pour les homosexuel·es était important aussi pour la question de l’égalité de droit ; Pour moi cela renvoie aussi à la déclaration de droits de l’Homme – que chaque individu ait les mêmes droits – quel que soit le domaine… Après on peut être pour ou contre le mariage, on peut lutter contre le mariage en général.

Vous avez fait beaucoup de manifestations, est-ce que vous sentiez beaucoup d’opposition à la loi dans votre région du Jura ?

Mireille Nous sommes aujourd’hui retraitées mais les jeunes vont bénéficier des fruits de nos luttes, de cette loi… Ils seront peut-être plus hardis. Nous, on porte quand même encore une sorte de stigmate – le mot est un peu fort mais… on a connu en 1982 la loi de dépénalisation de l’homosexualité – même si les hommes étaient davantage visés à l’époque. L’homosexualité féminine était représentée surtout au travers des fantasmes masculins à son sujet – comme le film Bilitis, sorte d’image d’Épinal qui présentait des amourettes entre filles, sous le regard des hommes. Nous n’avions aucune  visibilité ni reconnaissance sociale et c’est difficile de vivre sans reconnaissance sociale ! Le mariage allait permettre cette reconnaissance, c’était un signe fort de reconnaissance sociale, une puissance de légitimation. Pour moi le droit au mariage pour les homosexuel.les est une arme aussi importante que les lois anti-discriminatoires pour les afro-américain.es aux États-Unis. Je considère que c’est une sacrée victoire. C’est pour cela que certaines familles bourgeoises avaient peur, que certaines catégories se sont senties en danger. Elles perdaient leurs privilèges !

Chantal À titre personnel, nous n’avons jamais vraiment souffert de quolibets ou de remarques de la part de nos connaissances. Nous nous sentons bien intégrées dans notre environnement rmais il est vrai qu’au moment des manifestations, une lettre anonyme homophobe avait été placardée sur un mur de la mairie. Aujourd’hui je ne pense pas que cela pourrait encore se faire mais on est tellement confirmées dans notre choix qu’on ne s’occupe pas trop des ragots s’il y en a. Ici tous les gens sont cordiaux avec nous mais on n’idéalise pas non plus la situation. Au moment de notre mariage on avait une petite inquiétude quand même. Maintenant ça se passe bien, mais nous sommes discrètes. On n’a ni à se cacher ni à se surexposer, nous voulons juste pouvoir vivre « comme tout le monde »…

Vous avez donc décidé de vous marier dès le passage de la loi afin de faire vivre ce droit, vous venez de fêter vos dix ans de mariage, qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Mireille C’est vrai qu’après le vote de la loi j’ai pu dire plus facilement « ma compagne », ou rectifier quand on me parlait de mon conjoint… dire « non, ma conjointe ». Cela m’a procuré de la force pour m’affirmer – à la poste ou dans n’importe quel lieu où l’on te pose des questions sur ton statut marital… Aujourd’hui je suis fière de dire que je suis mariée, et mariée avec une femme.

Chantal  Ben oui, moi aussi. On est fières, c’est une reconnaissance, une force. (M) Pour moi le mariage n’est pas une entrave, si on ne s’entendait plus, on se séparerait, même si on fait tout pour entretenir notre relation. Avec le droit au mariage, on a aussi obtenu le droit au divorce, le mariage n’est plus indissoluble. Il est question de choix de vie et non de servitude!

Tout de même, ce droit au mariage c’est une sécurisation, cela permet une émancipation des personnes homosexuelles – je pense aux jeunes aussi. Cela a permis la libération de la parole.La plupart des gens modérés ne s’opposeraient plus à cette loi, il n’y a que les extrémistes qui veulent la supprimer.

Mireille Beaucoup de gens ont évolué sur ce sujet, ils ont vu  que ça ne bouleversait pas la société. Les fantasmes les plus absurdes de l’extrême droite ne s’étant pas concrétisés, la plupart des opposants se sont calmés. Beaucoup de gens sont aussi plus ouvertement concernés – un enfant, un parent, un frère, une sœur, des ami·es…  Le fait que ce soit une loi votée par les député·es, cela a permis à des familles d’être rassurées par ce cadre légal auquel on ne peut pas s’opposer.

J’ai une collègue dont la fille vivait avec une autre femme, et sa fille avait très peur de l’annoncer à son frère parce qu’elle pensait qu’il ne l’aimerait plus, une jeune femme d’une vingtaine d’années ! L’homosexualité reste quand même quelque chose qui peut être potentiellement compliqué à assumer. Ce n’est pas seulement une question d’âge. C’est aussi comment ses pairs vont l’accepter ou pas. Il y a encore des endroits où c’est difficile à afficher. Quand on voyage dans certains pays on ne va pas forcément le dire ni l’afficher.

Chantal Nous le vivons bien mais nous sommes  bien conscientes qu’il y a des jeunes – et des moins jeunes – qui souffrent ou gardent le silence sur leur homosexualité. Le mariage est un bon porte-drapeau mais il n’a pas supprimé l’homophobie. C’est donc un socle très important pour la reconnaissance de l’homosexualité, pour l’égalité des droits…

L’homosexualité a été dépénalisée en 1982 mais il a fallu 30 ans pour accéder à cette loi, malgré la déclaration des droits humains qui dit que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ; Ils ont conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »… Nous l’avions citée sur notre faire-part de mariage le 28 septembre 2013, après 21 années de vie commune. Nous l’avons précieusement gardé dans notre livret de famille !

Depuis dix ans, un peu plus de 70 000 couples homosexuels se sont mariés (environ 3% des mariages), ils sont d’ailleurs plus nombreux aujourd’hui à recourir au PACS qu’au mariage. À l’époque du débat sur la loi, Marie Docher est sortie de sa réserve et entrée elle aussi en résistance contre l’homophobie et l’hétéronormativité agressive qui laissaient libre cours à leur violence et à leur mépris. Blessée dans sa dignité de femme et d’être humain, elle s’est jetée dans une lutte qui a d’abord vu la parution de Je suis devenue une Indien d’Amérique (aux éditions Ixe)  petit livre dans lequel elle consigne ses réflexions et ses émotions pendant cette période. Elle sort aujourd’hui un nouveau livre :  Et l’amour aussi. 

Ce livre, récemment publié par La Déferlante, est issu de la grande commande photographique passée en 2021 à 200 photographes par la BNF : «  Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » – financée par le Ministère de la Culture. Dix ans après la loi sur la mariage pour tou·tes, la photographe Marie Docher se posait la question « Qu’est-ce qu’être lesbienne en France aujourd’hui ? ». Comment les choses et les mentalités ont-elles évolué depuis les outrances et les violences qui ont accompagné le débat et le vote de la loi en 2013 ? Pour y répondre elle a sillonné la France à la rencontre de femmes qui ont bien voulu lui confier leur image et lui dévoiler des pans de leur vie. C’est avec beaucoup de délicatesse et d’empathie que Marie les a écoutées et photographiées, seules ou en couples, parfois avec leurs enfants. Chacune choisissait le lieu où elle souhaitait être photographiée et avec qui – et tous ces magnifiques portraits « sonnent justes ». Ils sont habités par les personnes qui y figurent toutes en tant que sujet et non comme objets mis en scène malgré eux, comme la photographie nous en livre trop souvent, surtout lorsqu’il s’agit de femmes.


De tous âges et conditions, parfois venues se réfugier en France pour échapper aux persécutions que leur préférence amoureuse engendre dans leur pays, elles nous offrent des récits intimes et touchants, souvent poignants, qui disent la force et la détermination qu’il leur faut pour exister en étant pleinement elles-mêmes. Certaines choisissent la chaleur et l’énergie du militantisme qui aide, soutient et revendique dans la joie et la sororité, tandis que d’autres préfèrent la discrétion qui protège leur intimité ou leur liberté. Mais en s’associant dans cette série photographique et ce livre, elles manifestent toutes leur désir de combattre la lesbophobie sous toutes ses formes – dont certaines ont été victimes. Que ce soit Murielle, harcelée au travail, ou Catherine et Christine insultées dans la rue encore récemment alors qu’elles marchaient simplement l’une à côté de l’autre.

Quand les femme sont la cible du masculinisme, les lesbiennes sont le cœur de la cible – impossibles à inféoder ou soumettre aux désirs masculins qui se voudraient encore tout puissants et dominants.
Comme leur visibilité reste faible – et davantage encore si elles sont handicapées ou étrangères, les lesbiennes manquent à la fois de modèles et de représentations positives auxquelles s’identifier. Ce livre a l’ambition de faire bouger les lignes. Il nous parle d’amour, de respect, de tolérance, de bonheur et de liberté mais il insuffle aussi la force de lutter pour changer le monde et faire que chacune et chacun puisse se sentir libre d’aimer sans encourir nulle part ni sarcasmes, ni insultes, ni violences ou discriminations. Être une lesbienne en France aujourd’hui, c’est encore un sport de combat mais il y a de plus en plus de Queen kong pour ouvrir les portes aux plus jeunes et défendre celles qui ont besoin d’être protégées et encouragées pour éclore dans leur chrysalide lesbienne. Ces fragments de discours amoureux sont à mettre d’urgence entre toutes les mains, il font du bien et ils contribuent à tenir la bêtise et la haine à distance de toutes les femmes !

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

Photo de Une © Marie-Hélène Le Ny. A gauche Chantal, à droite Mireille

 

 

 

 

 

 

 

 

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